Avec “Drôle”, sa nouvelle série, Fanny Herrero passe du monde des agents de stars à celui du stand-up. Tombée en amour pour ce milieu dont elle ignorait tout, la scénariste de “Dix pour cent” a imaginé, avec toute la justesse de son regard, la vie de quatre jeunes humoristes en devenir.
Après la tornade Dix pour cent, succès public et critique, la nouvelle création de la scénariste Fanny Herrero, qui a signé un contrat d’exclusivité avec Netflix, était attendue. Drôle suit les vies douces et intenses d’Aïssatou, Nezir, Apolline et Bling, quatre jeunes garçons et filles occupé·es, à Paris, par leur passion dévorante du stand-up.
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Déclaration d’amour à un milieu mais aussi manifeste pour une fiction en prise avec les corps et les sujets contemporains, Drôle réussit son pari avec une forme de modestie qui en fait la valeur. Nous avons rencontré la créatrice, sûre de son ambition : raconter des histoires populaires autrement, loin de ce à quoi nous ont habitué·es les séries françaises.
Comment as-tu vécu l’après-Dix pour cent ? Tu as quitté la série avant la dernière saison.
J’ai eu besoin de couper. Je n’ai littéralement pas touché mon ordinateur pendant un an. Netflix est arrivé au bon moment, quand j’avais de nouveau envie. L’idée de Drôle est venue d’un dîner avec Gad Elmaleh, qui m’a été présenté par notre agent américain commun. Il m’a raconté à quel point il se passait des choses sur la scène stand-up à Paris. Je connaissais seulement Blanche Gardin et un peu Fary.
Je n’avais jamais mis les pieds dans un comedy club de ma vie. Je suis allée au Paname [salle référence du stand-up à Paris], et là, j’ai eu une espèce de choc, comme une révélation mi-artistique, mi-amoureuse, dans cette cave qui ne sent pas très bon [rires] avec les gens collés sur des bancs inconfortables, proches de la micro-scène. Se sont succédé six jeunes gens entre 25 et 35 ans, venus chacun parler d’un sujet intime et contemporain, mais aussi de la France. Le tout en te faisant marrer. J’ai eu la sensation de voir une diversité à l’œuvre qui m’a bouleversée.
Comment as-tu transformé ce choc en fiction ?
J’ai fait un travail de scénariste qui aime le réel. Pendant des mois, je suis allée rencontrer des gens, petits et gros stand-uppers, j’ai traîné dans les comedy clubs, écouté des podcasts. Les consultants Marina Rollman et Jason Brokerss m’ont raconté leur parcours, le fonctionnement du milieu, leurs doutes… Ensuite, le travail de la fiction, c’est d’oublier le vrai pour entrer dans l’histoire.
Pourquoi le stand-up t’a-t-il à ce point accrochée ?
C’est un métier qui a beaucoup à voir avec la mise en scène de l’intime. Je comprends leur travail. D’autre part, le stand-up français est transverse sur les origines sociales, ethniques et géographiques : beaucoup sont issus de l’immigration, d’autres viennent de milieux plus bourgeois. C’est aussi une forme artistique qui permet à n’importe qui, avec le sens de l’écriture et de la drôlerie, de se lancer. Il y a juste besoin d’un micro.
Je me suis demandé quelle autre forme d’art rassemble à ce point autant de jeunes gens de toutes couleurs de peau et origines. Le théâtre et le cinéma, la littérature sont des arts plus bourgeois. Nous ne sommes pas allés chercher la diversité, car elle était présente dans le sujet. Ces personnages viennent raconter leurs expériences de vie totalement françaises, ici et maintenant.
“Cette série souhaite donner ses lettres de noblesse à un art jeune et souvent cantonné à des clichés, comme le rap à ses débuts. J’avais envie de leur témoigner tout mon respect.”
Comment as-tu constitué l’équipe créative ?
Dans la salle d’écriture – mais aussi chez les stand-uppers qui ont apporté leur aide, les consultants et les conseillers artistiques –, il y avait beaucoup de personnes concernées directement. Il faut s’interroger sur nos propres stéréotypes. Parfois malgré soi, on les met à l’œuvre. Pour le personnage d’Aïssatou, il m’est arrivé de dire à Shirley Souagnon [humoriste française, conseillère et autrice stand-up pour Drôle] : “Je ne suis pas une femme noire, j’ai besoin d’avoir ton avis.”
Même si elle ne représente pas toutes les femmes noires, son point de vue m’importait. J’ai aussi beaucoup échangé avec Younès Boucif, l’acteur qui joue Nezir, pour savoir, par exemple, à quoi ressemblait sa chambre. L’époque me passionne car nous sommes tous confrontés à la parole d’autres gens qui nous demandent de les écouter. On a essayé de le faire avec sensibilité et curiosité dans Drôle.
La série insiste sur la façon dont les sketches s’écrivent et sur le processus créatif. Il y a un vrai parallèle avec les scénaristes.
Savoir à quoi je sers en faisant ce métier m’habite beaucoup. Parfois, je suis découragée. Trouver mes “petits-cousins”, ces gens qui font du stand-up, c’est génial. Cette série souhaite donner ses lettres de noblesse à un art jeune et souvent cantonné à des clichés, comme le rap à ses débuts. J’avais envie de leur témoigner tout mon respect. Comme nous, ils travaillent sur la rythmique d’une phrase, d’une dramaturgie, obsédés, à la virgule près. À travers eux, on valorise ce que veut dire être un artiste : se creuser la tête pour choisir le mot juste. Un mot, c’est immense, c’est une culture.
Mais une culture pas toujours reconnue. Comment as-tu vécu les discussions parfois houleuses sur le rôle des scénaristes (amoindri, selon certain·es, au profit de la valorisation de celui des réalisateurs et réalisatrices) qui secouent le milieu des séries depuis un an ?
Je vois bien l’importance que les séries prennent alors que le cinéma est en difficulté à cause de la pandémie. Les plateformes se battent pour avoir les talents, les talents étant les auteurs en premier lieu. Il reste des combats à mener, mais ça bouge. À titre personnel, être showrunner de Drôle le prouve.
Tu ne revendiquais pas le terme à l’époque de Dix pour cent.
Je le dis maintenant parce que c’est clair et contractuel. Sur Dix pour cent, je faisais tout le travail d’une showrunner, mais de façon officieuse, sans qu’on me le reconnaisse. Sur Drôle, non seulement j’ai cette charge, mais en plus je suis coproductrice de mon travail. Il n’y a plus de débat. En cas de conflit, c’est ma voix qui va l’emporter.
“Parfois, quand on fait un enfant, et c’est mon cas, on se demande si l’énergie qu’on y met, on n’aurait pas pu la mettre ailleurs”
On adorait Hervé (Nicolas Maury) dans Dix pour cent. Avec Drôle, tu confirmes ton goût pour les personnages borderline à travers Apolline, la grande bourgeoise qui se lance dans la blague.
Elsa Guedj a apporté au personnage cette touche en plus qu’il est difficile de décrire. J’ai eu un énorme coup de cœur pour elle avec Bryan Marciano et Farid Bentoumi, les réalisateurs. On sent chez elle la bourgeoisie, mais aussi le doute, la fêlure, la perdition, l’étrangeté. Pour elle, le stand-up est un acte de rébellion.
Il y a un avortement dans la série. Comment y as-tu réfléchi ?
C’est instinctif. En coécrivant une série sur des garçons et des filles de 25 à 32 ans, je sais que je vais me confronter à un moment où la construction d’une famille et la construction d’une carrière deviennent des questions. Je suis une femme : ces choses-là, je les ai vécues dans mon corps. Prendre ma part au récit collectif en racontant ce que je trouve pertinent, ça me plaît.
Dans la série, Aïssatou prend sa décision tout de suite, même si elle en parle avec son mec. Elle a besoin de consacrer son énergie à autre chose qu’à un enfant. C’est une interrogation que je connais et comprends. Parfois, quand on fait un enfant, et c’est mon cas, on se demande si l’énergie qu’on y met, on n’aurait pas pu la mettre ailleurs. Les hommes se posent cette question aussi, mais elle pèse plus sur les femmes, via la grossesse et le moment de la petite enfance. C’est important d’en faire un sujet dont on peut discuter, dans la tendresse et la douceur. Mes personnages s’aiment et ils traversent cela à deux.
Sur la sexualité, tu en montres plus que la plupart des séries françaises.
J’adore pouvoir faire une scène de comédie et d’émotion où un jeune homme d’origine maghrébine, Nezir, fait l’amour avec une jeune fille très bourgeoise, Apolline, qui commence à se masturber pendant qu’il la pénètre. Cela le déroute complètement. Je suis en joie d’écrire des scènes comme ça. Il y a une motivation dans Drôle, c’est vrai, pour montrer des choses que je n’ai pas encore vues. Moi, ça m’a serré le cœur et bouleversée dans ma chair. Cela peut toucher d’autres personnes.
L’un des points de départ de la série est le récit public du doigt dans les fesses que met Aïssatou à son mec. C’est très pertinent, mais j’ai regretté que ce soit seulement dit.
Nous avions écrit une scène de pénétration, que l’on a supprimée de nous-mêmes du scénario. Ça n’est pas venu de Netflix. Montrer la sexualité, c’est une question importante, mais on s’est dit que le stand-up servait aussi justementà ça, à aborder des thématiques parfois taboues tout en créant du hors-champ. Dans le cas d’Aïssatou, ce sketch inattendu où elle parle du doigt est vecteur d’émancipation. C’est une jeune femme contemporaine qui raconte qu’elle a un peu renversé les choses dans les rapports classiques pénétrant/pénétrée au sein d’un couple hétéro.
On ne voit pas leur sexualité avec son mec, mais elle est racontée, on imagine plein de choses… Concernant Apolline et Nezir, je trouvais pédagogique de raconter des gens qui se parlent du sexe. Dans mon trajet de personne, je pense que je n’ai pas suffisamment parlé de sexualité avec mes partenaires. C’est un sujet qu’on laisse trop béant. Dans la scène que j’évoquais, avec la masturbation, c’est elle qui le guide. Il est important de ne pas considérer a priori que c’est l’homme qui sait. Nous aussi on sait, mais souvent, on n’ose pas trop le dire. On considère qu’il faut un peu se glisser dans le désir de l’autre. Mais non. Il faut se réapproprier notre plaisir, notre corps, nos organes, et le dire à l’autre.
“Trouver la justesse d’une émotion et d’une relation, la surprise d’une réaction très humaine, ça demande de fouiller en soi”
Tu regardes encore beaucoup de séries ?
Quand je travaille, je me mets dans ma bulle. Je ne dépasse jamais vraiment le stade des pilotes – c’est juste pour me tenir informée. Les dernières séries que j’ai vraiment aimées, c’est Succession et The White Lotus. Avant, il y a eu I May Destroy You. Il faut beaucoup d’invention pour m’intéresser et un rapport aux personnages très fort. Les séries basées sur l’action et les péripéties, je suis moins cliente.
Cela se voit avec Drôle. Tu es vraiment une autrice de personnages avant tout.
Pour moi, la série reste un art du récit par les personnages. On se fixe dans un monde avec des gens pendant des heures…
C’est une lutte par les temps qui courent. Drôle avance sans cliffhanger classique.
On a plutôt construit des cliffhangers émotionnels, des moments de latence. Moi, ma série-culte et de cœur, c’est Friday Night Lights. Je ne sais pas si Drôle s’inscrit dans la filiation, mais j’aimerais, avec cette idée d’un récit où il se passe des choses, mais pas forcément dans la violence, la trahison ou le rebondissement effréné. On reste sur des petits détails de la vie, et c’est probablement ce qu’il y a de plus difficile à écrire. Trouver la justesse d’une émotion et d’une relation, la surprise d’une réaction très humaine, ça demande de fouiller en soi.
Six épisodes, c’est court. À quand la suite ?
Je ne sais pas comment font celles ou ceux qui sortent dix ou douze épisodes par saison et arrivent à revenir un an plus tard. Six, c’est gérable, écrivable, réalisable… Quant à la suite, voyons déjà ce qui se passe ! Mais Drôle est faite pour durer.
Drôle saison 1 de Fanny Herrero, avec Younès Boucif, Elsa Guedj, Mariama Gueye, Jean Siuen. En ouverture du festival Séries Mania et sur Netflix le 18 mars.
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