Actrice mystérieuse aux personnages dangereux, apatrides et hors du temps, Eva Green explose en 2014 avec des prestations de plus en plus remarquables.
Sur le net circulent les informations les plus extravagantes sur Eva Green. Avec la somme astronomique de 58 millions de dollars, elle serait l’actrice la mieux rémunérée de 2014. Son labrador Spinee (un retriever femelle à robe jaune) serait en convalescence après une lourde opération le 8 juillet (et l’actrice recevrait des milliers de messages de soutien sur Twitter). Enfin, Eva Green serait compromise dans une affaire d’État ayant provoqué une déclaration publique du président de la République, à propos de laquelle les intellectuels se déchireraient et se diviseraient en deux camps : les pro et les anti-Green.
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Tous ces articles sont bien sûr totalement mensongers et diffusés par le site parodique d’information Mediamass, qui fait une drôle de fixation sur l’actrice. Une actrice qui, malgré une ascendance illustre (âgée de seulement quelques semaines, elle fait la couverture de Paris Match avec sa soeur jumelle dans les bras de sa maman, Marlène Jobert, l’une des actrices les plus populaires des seventies), se signale plutôt par une certaine discrétion médiatique et une résistance à la peoplelisation. Enfin, si Eva Green n’est évidemment pas l’actrice la mieux payée d’Hollywood, 2014 n’en est pas moins son année la plus faste depuis longtemps : se sont enchaînés pas moins de deux blockbusters (300 – La naissance d’un empire, puis Sin City – J’ai tué pour elle), une série de prestige (l’inquiétante Penny Dreadful) mais aussi un film d’auteur arty (White Bird in a Blizzard de Gregg Araki).
Une belle année pour l’actrice donc, mais tout de même, que sa carrière est bizarre ! Sans équivalent, même. Après avoir fait ses débuts en France, dans les cours d’art dramatique, au théâtre (chez Didier Long, qui lui vaut une nomination de révélation féminine aux Molière), dans des rôles minuscules (elle apparaît fugitivement dans les derniers plans de La Pianiste de Michael Haneke), sa filmo se déploie presque exclusivement aux Etats-Unis. Conquiert très vite les faveurs des très grosses productions hollywoodiennes (un Ridley Scott à grand spectacle – Kingdom of Heaven, où elle est reine de Jérusalem au temps des Croisades –, un James Bond – Casino Royale –, une féerie numérique pour enfants – A la croisée des mondes – La boussole d’or). Et manifeste aussi un goût et une aptitude pour les prouesses physiques, les scènes d’action et de combat.
Plante vénéneuse
Une femme dangereuse, une séductrice aussi retorse que ces luxuriantes plantes vénéneuses qu’elle contemple, fascinée, au bras de Dorian Gray dans l’épisode 4 de Penny Dreadful. Son étreinte est-elle un préliminaire sexuel ou une mise à mort ? 300 radicalise l’équivoque dans un délirant combat amoureux où la belle enserre de tout son corps le sculptural guerrier grec Thémistocle (Sullivan Stapleton) pour un corps à corps entre saillie et wrestling. Si on s’éprend d’elle, elle vous trahit (Vesper Lynd, l’amoureuse duplice qui brise le cœur pourtant caparaçonné de James Bond). Si on la quitte, elle vous jette un sort dont les effets maléfiques se répercutent sur des siècles (Dark Shadows de Tim Burton, où elle transforme Johnny Depp en vampire, l’enterre et trucide tous ses proches).
Dès son premier rôle marquant, sur un mode mineur, moins criminel mais néanmoins déjà perturbant, elle est dangereuse. Elle retourne les sens d’un jeune Américain rêveur (Michael Pitt), entretient un lien régressif et incestueux avec son frère (Louis Garrel), imite tour à tour Garbo et Marlene, ouvre le gaz pour un suicide collectif avant de se raviser et d’ouvrir la fenêtre.
http://www.youtube.com/watch?v=xzfb4tCiOe0
C’était Innocents de Bertolucci, chromo naïf et suave de la génération 68, décalcomanie éroticopop des Enfants terribles de Cocteau. Perverse, mais en toute innocence, un corps incendiaire aussi, une cambrure marquée, des seins magnifiques aux larges aréoles (et un téton qui a valu une interdiction d’affichage à Sin City – J’ai tué pour elle), un port et une vigueur d’amazone, c’est comme ça que l’a vue et a d’une certaine façon fixé son image, Bernardo Bertolucci.
Son œuvre forme un texte étonnamment cohérent, trace une ligne, avec des figures récurrentes, des motifs insistants. Outre ce tropisme pour les rôles de guerrière, à cheval, armée parfois d’un sabre parfois d’un arc, le nombre de fois où on l’a vue trépasser de mort violente, un certain goût pour les atours gothiques aussi (Dark Shadows, Dark World, un film indé où elle est une jeune femme suicidaire au look corbeau, Eva est souvent très dark), des liens plus secrets se tissent entre ses personnages.
Actrice apatride
Si l’actrice a migré (de la France à Hollywood), ses personnages sont souvent apatrides, transfuges, déterritorialisés : dans 300, elle est une enfant grecque à la famille décimée qui épouse la cause de l’ennemi perse par vengeance ; dans Dark Shadows, elle est une domestique qui trahit à la fois sa classe sociale et ses maîtres. Dans Penny Dreadful, elle campe un territoire incertain, entre morts et vivants, humains et vampires, son corps de médium servant de passage entre des univers parallèles.
Apatride, elle oscille entre les mondes. Mais curieusement, elle résiste aussi à s’inscrire dans le présent. A l’écran, elle a traversé les années 60-70 (Bertolucci, Burton), le XIXe siècle (Penny Dreadful, le western avec Mads Mikkelsen, The Salvation), l’Antiquité (300), le Moyen Age (Kingdom of Heaven), flirté avec l’anticipation (l’apocalyptique Perfect Sense) et la dystopie (Sin City – J’ai tué pour elle), mais compte assez peu de rôles contemporains (ou alors un James Bond), inscrits dans un univers réaliste et quotidien (même dans le Gregg Araki, elle interprète une mère de famille qui subitement disparaît, laissant sur son passage une traînée de mystère).
http://www.youtube.com/watch?v=pP75w7IbVmA
Mystère, danger, maléfices, rôles en costumes et rêverie gothique, la trajectoire d’actrice avec laquelle résonne le plus celle d’Eva Green est celle de Nicole Kidman. Sans avoir strictement joué ensemble, elles se sont pourtant croisées dans un film, A la croisée des mondes – La boussole d’or. Nicole Kidman y incarne une humaine maléfique, persécutant une petite fille. Eva Green, à l’inverse, y interprète une gentille sorcière, qui sauve cette même petite fille. Un double inversé donc. Certes, la seconde n’a pas encore rencontré de rôles aussi forts et de metteurs en scène aussi grands que la première. Mais l’accélération récente de sa carrière et la puissance de certaines de ses interprétations (dont celle très réussie dans Penny Dreadful) autorisent tous les espoirs.
Jean-Marc Lalanne
série Penny Dreadful sur Showtime films The Salvation de Kristian Levring (le 27/08), Sin City – J’ai tué pour elle de Frank Miller et Robert Rodriguez (le 17/09), White Bird in a Blizzard de Gregg Araki (le 15/10)
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