Qu’est-ce que la figure de l’“escort boy” hétérosexuel peut nous apprendre de la sexualité contemporaine ? Sur Prime Video, un documentaire et une série tentent (maladroitement) d’y répondre.
Au fil des témoignages, le documentaire Escort Boys : ceux que veulent les femmes d’Olivia Barlier dessine un paradoxe : donner la parole à ces travailleurs du sexe revient avant tout à s’intéresser au plaisir et au désir féminin. Pour une clientèle féminine, ces relations tarifées apparaissent comme des solutions temporaires pour s’extraire de schémas de domination patriarcaux et phallocentrés et se font la chambre d’échos d’une confiance fragilisée entre les femmes et les hommes.
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Si l’escort boy hétérosexuel reste une figure minoritaire dans la représentation de la prostitution à la télévision ou au cinéma, il offre un angle inhabituel et critique pour aborder certaines interrogations contemporaines liées à la sexualité. Malgré l’intérêt suscité par ces témoignages, la structure très banale et scolaire du documentaire, associée à un emballage visuel particulièrement ingrat et indigent, peine à nous captiver et à donner du relief aux paroles recueillies.
Un regard neuf sur la sexualité ?
La série Escort Boys de Ruben Alves se propose aussi de partir de la prostitution masculine pour rebattre les cartes de la représentation du sexe dans le paysage audiovisuel mainstream français, en érotisant avant tout les corps masculins ou en filmant la sexualité de femmes âgées. Ainsi, quatre hommes décident de se lancer dans l’escorting pour sauver le domaine apicole de leur enfance.
Chacun d’entre eux correspond à un profil-type de la masculinité (le jeune qui cherche à prouver sa virilité, le trentenaire romantique, le père de famille, etc), si bien que cette requalification prendra la forme d’un apprentissage ou, si l’on veut utiliser les grands mots, d’une “déconstruction”. Dans cette dimension presque pédagogique, la série évoque Sex Education avec une manière similaire d’intégrer (très) explicitement à chaque scène de sexe des interrogations contemporaines liées à la conflictualité des rapports hommes-femmes, à la masculinité, à la misogynie ou au plaisir féminin.
Un symptôme du monde contemporain
Disons-le d’emblée : Escort Boys est beaucoup moins convaincante que son modèle britannique, même si ce pari raté n’est pas pour autant sans intérêt. Si Sex Education réussissait à couler ces enjeux contemporains dans une dramaturgie comique, ici, ils en restent à des intentions scénaristiques appuyées, greffées maladroitement aux scènes de prostitution à coup de lignes de dialogues très artificielles et explicites.
Étrangement, la série fait également coexister des discours contradictoires : une cliente interprétée par Carole Bouquet soutient par exemple que les hommes sont traumatisés par MeToo et la question du consentement si bien qu’ils n’oseraient plus approcher les femmes aujourd’hui ; un épisode plus tard, une séquence caricature et tourne en dérision une artiste féministe (elle porte un sarouel, évidemment) qui a recours à un escort pour mettre son plaisir sexuel au premier plan ; à la fin de la série, l’un des escorts acceptera, après un premier mouvement de recul, de coucher avec une femme trans, etc.
Ces positions conservatrices et progressistes ne s’articulent pas selon une logique dialectique ou critique, mais se mélangent pêle-mêle dans un grand pot-pourri qui multiplie les signes du contemporain sans jamais développer les situations et assumer véritablement un regard ou une prise de position par rapport à ces différents enjeux. Là où Sex Education faisait corps avec son discours, Escort Boys semble parfois embarrassée par ses propres situations. Mais c’est dans cette inconséquence que la série se révèle curieusement la plus intéressante : au lieu de nous livrer un discours édifiant, elle nous invite, malgré elle, à se lire comme le symptôme d’une masculinité en crise et qui tente de se réinventer.
Malheureusement, cet intérêt relatif s’efface progressivement à mesure que la série développe des sous-intrigues sentimentales, familiales et même entrepreneuriales destinées à donner un semblant de profondeur psychologique à ses personnages. Escort Boys se rabat alors sur une écriture sérielle balisée et mal digérée, qui culmine dans le mauvais goût avec des séquences de transition filmées en drone, que l’on croirait tirées de publicités pour une agence de tourisme camarguaise. Malgré ses promesses, la série demeure anecdotique et reste à la surface de son sujet sans parvenir à se déprendre d’une vision un peu complaisante et aseptisée de l’escort boy.
Escort Boys, documentaire d’Olivia Barlier. Sortie le 12 janvier 2024 sur Amazon Prime Video.
Escorts Boys, série de Ruben Alves, disponible sur Amazon Prime Video.
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