Dans le courant de la première saison d’Engrenages, diffusée au milieu des années 2000, la fougueuse et émouvante capitaine de police Laure Berthaud (Caroline Proust), notre personnage préféré, se trouvait inexplicablement placardisée de la fiction. Centrale au début de l’histoire, elle devenait une figure comme une autre, attisant nos regrets de ne pas la voir […]
La meilleure des séries policières françaises, Engrenages, confirme son statut particulier en mettant l’accent, dans cette sixième saison, sur les trajectoires intimes de ses héroïnes.
Dans le courant de la première saison d’Engrenages, diffusée au milieu des années 2000, la fougueuse et émouvante capitaine de police Laure Berthaud (Caroline Proust), notre personnage préféré, se trouvait inexplicablement placardisée de la fiction. Centrale au début de l’histoire, elle devenait une figure comme une autre, attisant nos regrets de ne pas la voir se battre et tout renverser sur son passage.
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Ce n’est qu’avec l’arrivée de la scénariste Virginie Brac pour la deuxième saison, puis la reprise en main par Anne Landois (toujours aux commandes aujourd’hui) qu’Engrenages a entamé sa mue, admettant que sa force romanesque et animale passait d’abord par la capitaine. Aujourd’hui, Laure Berthaud, mais aussi la dure et mélancolique avocate Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) font le sel de la meilleure série policière française.
Grâce à ces deux femmes si différentes et souvent en conflit, on peut voir cette nouvelle saison, la sixième en douze ans, dans un contexte général de représentation audacieuse du féminin. Ces derniers mois, Big Little Lies, I Love Dick et The Handmaid’s Tale, pour ne citer que les plus évidentes, ont attiré l’attention sur des trajectoires intimes courageuses, politiques et parfois violentes.
Quand Laure Berthaud tourne en rond dans les premières scènes à l’hôpital où se trouve son bébé prématuré qui nécessite des soins intensifs ; quand une partie de l’intrigue principale met en jeu des jeunes femmes dont le corps est maltraité et utilisé ; quand, enfin, Joséphine vit une épreuve qui la dépossède de sa confiance et de sa liberté, il devient clair que le combat des femmes pour leur capacité d’agir et le respect de leurs choix infuse chaque épisode. Cela se confirme assez magistralement tout au long de la saison, jusqu’à une dernière scène marquante, jamais vue dans une série d’ici ou d’ailleurs.
Les hommes se fissurent
Au sein d’un genre aussi “couillu” que le polar, ce n’est pas anodin, même si Engrenages ne sera jamais une série de revendication féministe militante. Elle est néanmoins parvenue à autre chose d’aussi fort : faire que les personnages masculins (notamment le Droopy attachant Gilou, et son collègue Fromentin, en pleine crise morale dans cette saison) laissent leurs tentations de flics masculinistes au placard, pour explorer d’autres contrées moins stéréotypées. Les mecs sont de plus en plus définis par contraste avec leurs pendants féminins, comme des satellites. Même le génial juge Roban, en proie désormais à la maladie, voit son statut d’homme de pouvoir et d’autorité s’effriter.
Cette nouvelle saison impressionne comme toujours par sa mécanique, cette manière de faire avancer la fiction par petits cliquetis qui donne son titre à la série. Pourtant, l’autre thème central, qui a trait aux rapports des quartiers à la police et à la crise de l’institution, s’avère par moments moins limpide et tranchant. Alors que l’affaire Théo et quelques autres ont secoué l’imaginaire collectif, Engrenages ne détourne pas les yeux, évoquant même frontalement la corruption et la violence des uniformes. Mais elle conserve le désir profond de filmer du côté du pouvoir.
Devenir le The Wire français
En milieu de saison, une intervention dans un camp rom, pendant laquelle des manifestants appartenant à la gauche radicale sont présentés comme des ahuris, montre que la série ne parvient pas à sortir de cette ornière. On aimerait parfois qu’Engrenages profite de sa position proéminente dans le PAF – une septième saison est déjà en écriture – pour se mettre en danger.
Elle pourrait, toutes proportions gardées, devenir le The Wire français, en présentant tous les points de vue à égalité, ceux des flics, des voyous, des innocents et des coupables. Elle reste malgré ses manques un phare dans la nuit de la fiction hexagonale.
Engrenages A partir du 18 septembre, 20 h 50, Canal+
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