Canal+ a placé les chercheurs d’or au cœur de sa nouvelle série Guyane. Sur le terrain, le métal précieux est plus convoité que jamais, par les miséreux qui s’y perdent et les politiques qui y voient une solution aux problèmes de développement de la région. Pendant ce temps, les acteurs de la protection de la nature cherchent à préserver le joyau mondial méconnu qu’est aujourd’hui la forêt amazonienne de Guyane.
“Les garimpeiros creuseraient jusqu’en enfer pour une pépite.” Cette sentence, tirée du premier épisode de la série Guyane, résume le quotidien des chercheurs d’or illégaux, ces forçats originaires des Etats pauvres du nord du Brésil et du Suriname venus en Guyane pour nourrir leur famille. Ces esclaves modernes triment dans la boue et le mercure, accablés par la chaleur humide de la jungle, dans l’espoir de gagner la poussière d’or qu’ils dépenseront en alcool et en femmes. Certains deviennent fous, d’autres se tuent à la tâche.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
La plus vaste région française, grande comme l’Autriche, recouverte à 95 % de forêts, regorge du précieux métal. Depuis de nombreuses années, des chantiers d’extraction illicite rongent l’écosystème de la forêt amazonienne guyanaise et posent de graves problèmes de sécurité pour les populations autochtones. Les autorités ont mis en place des dispositifs d’intervention qui font régulièrement refluer le phénomène, en accentuant leur présence sur le terrain
Entre cinq mille et dix mille à “creuser en enfer”
Mais les chercheurs d’or, misérables, reviennent inlassablement et s’adaptent. Ils se font plus discrets, cachent leurs camps sous les grands arbres de la forêt primaire, creusent des galeries étroites à la manière des mineurs d’il y a deux siècles. Selon WWF France, ils seraient entre cinq mille et dix mille à “creuser jusqu’en enfer”.
Les résultats 2016 concernant le parc amazonien de Guyane sont catastrophiques : les sites clandestins d’extraction d’or ont augmenté de 24 % en un an, menaçant la biodiversité de cette immense aire protégée de 3,4 millions d’hectares et de ses populations locales. Le pire bilan depuis le début des missions de surveillance aérienne lancées en 2008, un an après la création du parc.
Doté d’un budget de 7 millions d’euros, le parc amazonien de Guyane est le plus grand espace protégé européen
Fin novembre, les inspecteurs ont recensé cent trente-neuf sites actifs d’orpaillage illicite rien que dans le parc. Doté d’un budget de 7 millions d’euros, c’est le plus grand espace protégé européen. WWF alerte les autorités sur le retour de ce “fléau”. “Une explosion à mettre en relation avec la diminution récente du nombre de gendarmes mobilisés sur cette même zone”, précise l’ONG.
C’est à Maripasoula, commune située au sud-ouest de la Guyane, que la situation est la plus critique, avec quatre-vingt-onze sites repérés, soit deux fois plus qu’en mars 2016. En juillet déjà, il était possible d’apercevoir du ciel les prémices de cette dégradation : des parcelles de forêt primaire défrichées, des chantiers boueux abandonnés et des bras de rivière marron – la turbidité atteste d’une activité aurifère clandestine.
Tout se paie en cash ou en or
A Maripasoula, la commune française la plus étendue, le fleuve Maroni sert de frontière naturelle entre la Guyane et le Suriname. Sur la rive surinamaise, les magasins tenus par la communauté chinoise approvisionnent en matériel les orpailleurs hors-la-loi. Tout se paie en cash ou en or. Une partie des habitants de Maripasoula vivent de l’orpaillage illégal. Ici, la vie s’écoule entre l’école, Pôle emploi, le bureau de poste qui distribue les allocations et l’église évangéliste.
“Parfois, à Maripasoula, c’est un peu le Far West, même si je n’aime pas cette expression. D’un coup, tu peux voir passer une quarantaine de pirogues qui ravitaillent un chantier”, raconte un agent du parc. Les populations d’Amazonie sont les premières victimes des activités aurifères sauvages. Les garimpeiros volent leur bétail et les moteurs de leurs pirogues polluent les rivières et les nappes souterraines. Pour extraire 1 kg d’or, il faut 1,3 kg de mercure, un poison qui se concentre ensuite dans les poissons et contamine l’ensemble de la chaîne alimentaire. A Saül, les chercheurs d’or avaient réimporté le paludisme, jugulé depuis.
Dans la pirogue qui remonte le Maroni, une délégation de WWF Guyane venue récolter des infos sur le terrain croise une barge d’orpaillage artisanale qui aspire les sédiments du fleuve. La gendarmerie en détruira treize cinq mois plus tard. A l’entrée du premier village, un drapeau français et un collecteur jaune de La Poste. Une femme prépare le cassave, pain traditionnel au manioc. On entend Adele chanter “I am sorry”.
“Les gendarmes ne viennent plus, ils nous ont oubliés”
Dans un autre village, le “capitaine” se plaint de l’action publique : “Le poisson est contaminé, les gendarmes ne viennent plus, ils nous ont oubliés, les gens du parc ne protègent pas assez la forêt.” Un boulot difficile : un salarié du parc fait l’objet d’un mandat d’arrêt brésilien pour avoir tiré sur un orpailleur qui le menaçait. Un jeune Amérindien, qui vit aujourd’hui à Cayenne, “déteste les garimpeiros” : “Quand les jeunes retournent au village après les études, ils ne font rien, ils travaillent parfois avec des orpailleurs, il y a des petits braquages, les Brésiliens leur donnent de la cocaïne, du crack, et ils deviennent fous.”
Parallèlement à la déstructuration des sociétés amérindiennes, c’est la société guyanaise dans son ensemble qui est en ébullition. Le plus petit territoire d’Amérique du Sud devrait passer de 230 000 habitants à 460 000 d’ici vingt ans. Près de 60 % de la population y a moins de 25 ans. Jusqu’à présent, l’Etat français s’est contenté de faire des chèques pour acheter la paix sociale, sans penser le développement économique du département d’outre-mer sud-américain.
La Guyane détient un triste record : celui du nombre de meurtres par habitant
La capitale, Cayenne (moins de 60 000 habitants), emploierait autant de fonctionnaires que la ville de Toulouse. Avec un taux de chômage de 22 %, dont 50 % pour les moins de 25 ans, ce système est à bout de souffle. La Guyane détient un triste record, dont le ministère de l’Intérieur ne se vante guère : celui du nombre de meurtres par habitant. En 2016, la région accuse une quarantaine d’homicides, contre trente-quatre pour les Bouches-du-Rhônes (Marseille).
Dans un quartier populaire du nord de Cayenne, sur la route de Trou Biran, on retrouve Yvan Télémaque, 29 ans, en short de basketteur et claquettes-chaussettes. Son dos arbore un tatouage hommage à sa mère décédée. Dans la série Guyane, il joue Tomazinho, mercenaire brésilien qui cherche à s’emparer du camp d’un parrain de l’or. Lorsqu’il avait 3 ans, la mère d’Yvan a fui la misère du nord du Brésil pour s’installer en Guyane. A l’entrée du quartier, des centaines de boîtes aux lettres plantées sur des bâtons témoignent du développement anarchique du bidonville.
Des taudis sur pilotis pour les migrants
Les plus anciens, comme Télémaque le naturalisé, logent dans les habitations légales avec compteurs situées le long de la route. Derrière, les taudis sur pilotis poussent au rythme des arrivées de migrants. Ce bout d’Europe à 7 000 km de Paris attire les populations pauvres d’Amérique latine : 50 % des Guyanais n’y sont pas nés et 30 % ne sont pas français. Certains jours, les hélicoptères de la police survolent la zone. Parfois, les autorités expulsent, comme sur la colline en face, où les constructions de fortune menacent d’être emportées par des glissements de terrain.
“On a commencé à faire la fête”, sourit Télémaque, une bouteille de Jack Daniel’s quasi vide à la main. Le soundsystem géant du camion orange et vert garé devant chez lui crache un dance-hall ragga qui fait trembler la tôle des maisons. A gauche et à droite des baffles, deux formes creuses peuvent accueillir des bouteilles de Jack. “Si t’es motivé, tu peux t’en sortir, en Guyane. Tu as des possibilités, des aides… Mais j’ai beaucoup d’amis qui partent en couille. Certains sont morts, d’autres en prison”, raconte Yvan, le carrossier-acteur. En Guyane, la réglementation sur les armes est plus laxiste, elles proviennent du Suriname.
“On vit une période chaude avec ces meurtres”, se désole Lostyca, un des fondateurs du label BHP. Dans son studio, les clips de hip-hop défilent sur un écran géant. Il travaille au nouvel album de Shizu, 40 ans, représentant du rap créole, qui dénonce dans ses chansons cette jeunesse désœuvrée qui joue aux caïds mais finit par servir de mule aux barons de la drogue.
“On envoie des fusées mais on est en mode tiers-monde”
“A l’époque de mon grand-père, il y avait une vingtaine d’usines. Aujourd’hui, il ne reste que des fonctionnaires. On envoie des fusées mais on est en mode tiers-monde, tout est trois fois plus cher, les loyers, la bouffe”, explique Lostyca, avant d’ajouter, provocateur : “La Guyane, ce n’est pas que la jungle et les Amérindiens. Certains disent que c’est pas écolo, mais je suis pour développer les mines d’or, il faut bien travailler la terre. Ici, c’est encore un eldorado.”
La Guyane est restée un trésor de biodiversité intouchée. “C’est un des fleurons français de la biodiversité, explique Laurent Kelle, chargé du bureau WWF France de Guyane. La forêt recouvre pratiquement tout le territoire. Le plateau des Guyanes (Guyane, Suriname et Guyana) représente 8 % de la forêt amazonienne, les plus préservés au monde. Il comprend 80 % de forêts primaires, ce qui est exceptionnel.”
Sous l’impulsion des politiques nationaux et locaux, nombreux à penser que la Guyane est le nouveau Canada
Il y a quelques dizaines de sites aurifères légaux. Ces structures semi-artisanales sans mercure ne représentent que quelques pourcents du PIB, contre 16 % pour la base spatiale de Kourou, avec des retombées fiscales faibles. Or, sous l’impulsion des politiques nationaux et locaux, nombreux à penser que la Guyane est le nouveau Canada, cela risque fort de changer. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, avait souhaité réformer le code minier et établir une charte qui développe la notion de “mine responsable”. Rodolphe Alexandre, président de la collectivité territoriale de Guyane, y voit une formule pour lutter contre le chômage et l’endettement.
Un projet minier gigantesque va peut-être voir le jour. Un consortium russo-canadien veut exploiter la bien nommée “Montagne d’or”, située dans le nord-ouest de la Guyane. Le potentiel de cette concession, prospectée par le canadien Columbus Gold, est estimé à 12 milliards de dollars. C’est la société minière Nordgold, détenue par le milliardaire russe Alexei Mordashov, qui exploiterait le filon dès 2021, si le projet est accepté.
“On ne connaît pas de mines responsables”
Pour convaincre les pouvoirs publics, Columbus et Nordgold se sont appuyées sur la notion de “mine responsable”, en promettant trois mille emplois et la réhabilitation du site après fermeture. Et sur le fait que la région et l’Etat français comptent sur le développement du secteur minier pour chasser les orpailleurs illégaux.
Un argument fallacieux pour les associations de défense de l’environnement, qui estiment que ce chantier donnera le feu vert à la venue d’autres multinationales. “On ne connaît pas de mines responsables, c’est une des pires industries au monde. Dire que la mine est la solution pour le développement et le chômage des jeunes est un fantasme populaire”, indique un membre d’une association locale.
De son côté, WWF alerte sur les forts enjeux environnementaux et sociaux. “Est-ce que la Guyane peut échapper à la malédiction des matières premières ? Est-ce que la présence de la France peut donner du minier responsable et éviter de suivre le chemin du très pauvre Suriname et de son minier dégueulasse ?, s’interroge Pascal Canfin, directeur du WWF France. Aujourd’hui, toute la question est de savoir quel modèle de développement va s’imposer en Guyane. Est-il possible de faire autre chose que du minier ou du offshore ? De valoriser le bloc naturel, comme le Costa Rica l’a fait en développant un tourisme durable ?” Il semblerait que cette option ne soit pas la priorité des politiques locaux.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}