Héroïne de The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate, la série événement qui arrive sur OCS cette semaine, Elisabeth Moss ne cache pas son désir de radicalité. De plus en plus iconique, l’actrice révélée par A la Maison Blanche et Mad Men sera aussi au centre de la seconde saison de Top of the Lake de Jane Campion.
Lors d’une discussion entre comédiennes organisée récemment par le magazine Hollywood Reporter, la légendaire Jessica Lange (vue ces dernières années dans American Horror Story et Feud) expliquait à plusieurs de ses collègues comme Nicole Kidman ou Reese Witherspoon l’étrangeté de jouer des scènes violentes qui mettent en cause l’intégrité physique d’une héroïne. “Ce qui est incroyable quand on est actrice, c’est que le corps ne comprend pas que l’on fait semblant.”
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Cette décharge de vérité inquiétante, Elisabeth Moss a semblé la connaître souvent. A son aînée, la jeune femme de bientôt 35 ans a d’ailleurs répondu par un seul mot, bercé d’évidence : “Exactement”. Depuis l’apparition de la série The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate devant nos pupilles ébahies, nous comprenons parfaitement ce qu’elle veut dire, de quelles extrémités elle se montre capable à travers les rôles qu’elle choisit. Elisabeth Moss est une actrice radicale dans le monde des séries et au-delà – elle tient un rôle discret mais majeur dans The Square de Ruben Ostlund, récente Palme d’or à Cannes.
Contrôler le cadre pour mieux plonger dans l’abîme
Dans l’adaptation glacée et effrayante du roman dystopique de Margaret Atwood publié dans les années 1980, les femmes n’ont plus le droit de lire. Elles peuvent tout juste penser par elles-mêmes si elles y parviennent encore. Alors qu’une catastrophe écologique a fait brusquement chuter le taux de natalité, la République de Gilead, une théocratie, a réduit celles qui sont encore fertiles au rôle de reproductrices. En chapeau blanc et robe rouge, elles subissent les pires outrages et sont régulièrement violées par leurs “maîtres” accompagnés de leurs épouses.
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Ces scènes étouffantes où Offred, le personnage d’Elisabeth Moss, est pénétrée par un homme tandis que la femme de ce dernier lui maintient les bras en arrière, ont marqué les esprits. Elisabeth Moss les a traversées en veillant à ce que la victime qu’elle incarne “s’absente le plus possible d’elle-même”. Productrice de la série en plus d’y tenir le rôle principal, elle a tenu à vérifier que “rien ne serait sexuel dans la mise en scène, au sens où personne ne prend de plaisir”. Une manière de contrôler un cadre pour mieux plonger dans l’abîme sans retenue.
“Je mets toujours la main au feu. Le défi n’est pas la performance physique, mais émotionnelle”
Regarder Elisabeth Moss jouer, c’est observer comment elle s’approche des flammes, comment elle met la main au feu sans crainte de la douleur. Cette idée est devenue claire vers la fin de la première saison de Mad Men, diffusée en France en 2009. Son personnage, Peggy Olson, mettait au monde un petit garçon après un déni de grossesse et décidait de l’abandonner. Une décision marquante que l’actrice jouait avec un mélange étonnant de candeur et de détermination.
de rouge et coiffée d’un bonnet blanc, elle est Offred, une femme réduite aux seules tâches de reproduction. © George Kraychyk/OCS
“J’aime me brûler, c’est vrai, dit-elle de sa voix assurée-amusée par sa propre audace. Je mets toujours la main au feu. Le défi n’est pas la performance physique, mais émotionnelle. J’en ai besoin, j’aime être poussée très loin. Je cherche les moments qui me bousculent, c’est là que je m’amuse le plus. Le pire, ce serait de m’ennuyer sur un plateau de tournage. En temps normal, je suis extrêmement solitaire, je reste beaucoup chez moi sans prendre l’air, je ne suis pas du tout aventureuse. Donc c’est une façon d’avoir tout ça dans ma vie. Ma vie personnelle est assez ennuyeuse mais heureuse. Il ne faut peut-être pas avoir une vie trop intense et excitante, cela signifie que les choses ne vont pas si bien !”
“Sans une écriture solide, on est mauvaise”
Quand elle avait 10 ans, Elisabeth Moss écoutait Gershwin ou des chanteuses de jazz, tout en suivant les préceptes de l’Eglise de scientologie. Un tropisme familial pour la secte dont elle ne parle plus trop aujourd’hui – surtout pas avec les journalistes français – et qui ne doit pas empêcher de voir en elle une actrice dont la liberté crève l’écran. Son parcours incroyable parle de lui-même. Dès le début des années 2000, la planète séries l’avait découverte dans A la Maison Blanche, la merveilleuse série politique d’Aaron Sorkin qui paraît aujourd’hui venue d’un autre monde plus classe et plus chic.
Elle endossait le rôle de Zoey Bartlet, la fille ado du Président. “Cela a été mon école de jeu entre 17 et 23 ans, avec des personnes qui en savaient beaucoup plus que moi. Cette expérience avec les mots d’Aaron Sorkin, le scénariste, a placé la barre assez haut et me pousse toujours à me montrer difficile. A la Maison Blanche m’a appris la valeur et l’importance d’une bonne écriture. On peut être aussi investie que possible, sans une écriture solide on est mauvaise. En revanche, on peut avoir l’air très bien grâce à une écriture fine, même si on est nulle !”
Avec ce rôle dont tous les sériephiles se souviennent – cf. le rocambolesque enlèvement de Zoey –, Elisabeth Moss a inauguré une lignée de personnages féminins fascinants dont l’accumulation fait sens. Alors que l’époque favorisait les héros masculins tourmentés, elle a construit sa maison dans une semi-pénombre, mais avec de la suite dans les idées. Pour l’une de ses premières apparitions dans la série d’Aaron Sorkin, elle se faisait engueuler par son père après avoir été harcelée dans un bar. Il lui demandait à demi-mot si elle se comportait de manière aguicheuse, elle répondait avec son air jamais impressionné : “Je ne flirtais pas avec ces types, et même si ça avait été le cas, ça n’aurait pas justifié leur comportement.”
Traverser les genres et les temps
Cette propension à l’émancipation, Moss l’a travaillée avec une grande constance. Peggy Olson a commencé Mad Men en encaissant les coups du sexisme dominant dans l’ambiance sixties de la série, mais elle en est sortie triomphante : l’ancienne secrétaire naïve était devenue une créative incontournable. On se souvient dans la septième saison de l’un des derniers plans d’elle au ralenti dans un couloir, portant à bout de bras ses affaires, lunettes noires au nez et cigarette à la bouche, le jour de son arrivée dans une entreprise concurrente. Le GIF de Peggy en working girl puissante circule toujours largement sur le net.
Elisabeth Moss dit avoir voulu faire de Peggy un personnage auquel hommes et femmes pouvaient s’identifier, y compris dans la société d’aujourd’hui. Cette manière de vouloir traverser les genres et les temps lui appartient, même si l’actrice incarne spécifiquement des femmes en lutte pour leur liberté à conquérir. Son alliance avec Jane Campion pour Top of the Lake le prouve un peu plus. Après une première saison diffusée en 2013 où la cheffe flic qu’elle incarne révélait avoir été violée à l’âge de 15 ans, la série prend une nouvelle dimension avec une deuxième saison où Elisabeth Moss croise notamment le chemin de Nicole Kidman.
“La condition donnée par Elisabeth pour accepter de tourner cette nouvelle saison, c’était d’emmener son personnage encore plus loin dans la noirceur”
Les premiers épisodes, que nous avons pu voir au Festival de Cannes avant leur diffusion en fin d’année, montrent l’étendue du talent de Moss, sa violence rentrée, alors que son personnage traverse un orage émotionnel d’une intensité totale. “La condition donnée par Elisabeth pour accepter de tourner cette nouvelle saison, a expliqué Jane Campion, c’était d’emmener Robin, son personnage, encore plus loin dans la noirceur.”
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Cette deuxième saison majestueuse de Top of the Lake devrait définitivement installer la comédienne comme l’une des icônes d’un mouvement féministe à l’écran. Même si quelques éléments laissent penser qu’un certain chemin lui reste à faire dans la vraie vie. Lors d’une des premières interviews consacrées à The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate, Moss a en effet refusé de labelliser la série. “Pour moi, il ne s’agit pas d’un récit féministe. C’est une histoire humaine, parce que les droits des femmes sont des droits humains. Je n’ai jamais eu l’intention de jouer Peggy comme une féministe, idem pour Offred dans The Handmaid’s Tale.”
“Je ne vois pas comment on peut ne pas être féministe”
Devant la levée de boucliers qui a suivi ses déclarations, la comédienne a probablement réalisé qu’elle avait donné une définition du féminisme, tout en niant le mot. Elle dit aujourd’hui tout autre chose : “Les rôles que je choisis interrogent la question du féminin, c’est vrai. Il y a certainement un processus inconscient qui me fait graviter vers cela. J’essaie au maximum d’interpréter des femmes qui sont comme moi et comme celles que je connais.
Cela concerne ensuite autre chose de plus large comme l’inégalité, les complications liées au fait d’être une femme dans un monde d’hommes – c’était par exemple le cas avec Peggy dans Mad Men. Je ne vois pas comment on ne peut pas être féministe. Dans la pièce The Heidi Chronicles que j’ai jouée à Broadway et bien sûr The Handmaid’s Tale, j’explore ces sujets de manière vraiment personnelle. Maintenant, j’ai envie de produire des séries et des films qui mettent en avant les femmes.”
A force de demander aux actrices de tenir un discours aussi acéré sur leur travail qu’un éditorialiste politique, il ne faudrait pas en oublier de les regarder pour ce qu’elles sont : de remarquables productrices de sens et de sensations. Quand on découvre, souffle coupé, les puissantes introspections d’Elisabeth Moss dans The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate, sa manière de dire les mots rageurs de son héroïne en voix off, sa facilité à passer en quelques plans de la terreur la plus profonde à l’esquisse d’un désir retrouvé, son jeu courageux avec la beauté et la laideur, tout commentaire devient superflu.
The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate à partir du 27 juin, 20 h 40, OCS Max
Top of the Lake saison 2 prochainement sur Arte
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