Easy, la série anthologique de Joe Swanberg, reprend les codes du cinéma indé et scrute les habitants de Chicago avec une séduisante verve pointilliste.
Quand la deuxième saison de Easy a été mise en ligne (plutôt discrètement) par Netflix le 1er décembre, le critique américain Matt Zoller Seitz écrivait un article au titre mélancolique – “Easy est toujours l’une des meilleures séries dont personne ne parle” – accompagné d’un tweet tout aussi tristoune : “Est-ce que quelqu’un d’autre que moi regarde Easy ?”
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La solitude (réelle ou ressentie) du spectateur de séries est un fait nouveau. Il n’y a encore pas si longtemps, on imaginait les séries comme un incubateur de sentiments collectifs, une forme culturelle capable d’agréger les foules à des récits-univers.
Un découpage en niches, en centres d’intérêt plus restreints
Puis la frénésie de la hype est arrivée, et Hollywood a décidé que ce genre était désormais son avenir, produisant deux fois plus de contenus épisodiques en à peine une décennie. Les séries s’étalent maintenant des expériences surréelles de Twin Peaks – The Return au bon sens populaire de The Good Doctor.
Il est arrivé au petit écran (désormais démultiplié) ce qui arriva en son temps au cinéma : un découpage en niches, en centres d’intérêt plus restreints, en expériences personnelles difficiles à partager, presque des amours secrètes.
Il reste, d’un côté de la galaxie sérielle, quelques pépites mainstream et néanmoins vibrantes comme This Is Us – qui choisit expressément d’inclure un “nous” pluriel à son titre. De l’autre côté du spectre, se promènent quelques objets fragiles, plus petits, dont tout porte à croire qu’il y a une décennie ils n’auraient même pas existé, sinon sous la forme d’un film indépendant estampillé Festival de Sundance.
Joe Swanberg, un parangon du mouvement ciné indé mumblecore
Le scénariste et réalisateur unique de Easy, Joe Swanberg, est d’ailleurs considéré, depuis le milieu des années 2000, comme le parangon du mouvement ciné indé mumblecore – mumble signifie marmonner en anglais –, qui s’est démarqué par des histoires quotidiennes, une large part du travail créatif réservée à l’improvisation et, surtout, des budgets riquiquis. Son allégeance au monstre Netflix, capable de produire Stranger Things tout comme sa série minimaliste, ne surprendra personne. Le cinéma américain est aujourd’hui incapable de donner à Swanberg la place qu’il mérite.
Pour sa deuxième saison, Easy reprend la formule de ses débuts, soit huit épisodes d’une trentaine de minutes aux thématiques contemporaines – la communauté américaine, le sexe et les relations conjugales aux temps numériques, les enjeux de genre, etc. – traitées sous une forme modeste.
Une sorte de flux tranquille où flotter, un univers changeant à humer dans l’air de Chicago
Il n’y a pas ou très peu de constructions narratives exaltées à habiter, plutôt une sorte de flux tranquille où flotter, un univers changeant à humer dans l’air de Chicago. Comme Fargo ou Black Mirror (lire pp. 50-53), la série a fait sien le principe anthologique – une intrigue et des personnages différents à chaque épisode – qui change le rapport empathique aux héros et héroïnes.
Malin, Swanberg a tout de même repris certains personnages découverts l’an dernier et nous laisse voir ce qui a changé dans leurs vies. On retrouve un couple déjà en proie à des difficultés après la naissance d’un enfant dans l’épisode Open Marriage, l’un des meilleurs, puis deux frères lancés dans un business de bière (l’inégal Spent Grain).
Swanberg excelle dans l’art pointilliste des détails
Les épisodes les plus convaincants n’ont rien à voir l’un avec l’autre : Lady Cha Cha met en scène avec une fougue assez réjouissante un couple de jeunes femmes en proie à une crise autour des questions de féminisme et de possession, tandis que Baby Steps montre la résilience d’une trentenaire tout juste larguée par son mec. Celle-ci remonte doucement la pente en s’occupant de l’enfant d’une autre, ce qui ne manque pas de lui donner la mélancolie d’une famille qu’elle n’a pas encore eue.
Swanberg n’est ni cruel ni exagérément doux, il excelle dans l’art pointilliste des détails. Il sait, en quelques plans, construire et déconstruire des personnages, comme s’il traçait devant nous des esquisses sans cesse retravaillées. Le charme de Easy se loge dans cette croyance en la série comme une forme autorégénérante, capable de produire des récits et du désir à l’infini. Olivier Joyard
Easy Saison 2 sur Netflix
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