L’adaptation sur France TV Slash de l’émission culte américaine de Ru Paul crée l’événement.
La culture queer a toujours peiné à exister en France dans le mainstream, si ce n’est à travers des figures old school comme Michou, le roi du cabaret mort en 2020. Mais un frémissement joyeux s’annonce cet été, avec l’adaptation française de Ru Paul’s Drag Race, show de téléréalité phénomène aux États-Unis depuis 2009 (dispo en France sur Netflix) par la plateforme France TV Slash.
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Un vrai geste de service public présenté par Nicky Doll, la seule drag queen française à avoir participé à l’émission originale (saison 12) en compagnie de Daphné Bürki et du merveilleux Kiddy Smile (dont l’album de 2018 One Trick Poney reste une référence), les autres membres du jury, amené·es à être accompagné·es chaque semaine par des guests.
Pour la première – avec une diffusion exceptionnelle en deuxième partie de soirée sur France 2, une exposition inédite –, Jean-Paul Gaultier et Iris Mittenaere sont venu·es apporter leur répartie, bien aidé·es par l’écriture de Raphaël Cioffi, découvrant pour l’occasion le concept limpide de Drag Race France : une compétition entre neuf drag queens sélectionnées parmi 450 candidates, avec au programme des épreuves plus ou moins scénarisées – séance photo, performance et un lip sync final sur Céline Dion pour les deux candidates sur la sellette…
Un étonnement et un ravissement
Après un week-end de Pride, c’est à la fois un étonnement et un ravissement de savoir qu’un tel programme existe dans nos contrées où la pop culture, surtout dans ses manifestations les plus outrancières, continue à souffrir d’une forme de snobisme, en plus de la LGBTQIphobie qui interdit souvent les expressions libres au-delà d’un périmètre restreint.
Ici, la scène s’ouvre et tout resplendit, sans souci du bon goût. Les neuf candidates pionnières – moins une, éliminée lors de la première émission, dont on ne spoilera pas l’identité mais qu’on regrette déjà – s’appellent La Briochée, La Big Bertha, Elips, La Grande Dame, La Kahena, Kam Hugh, Lolita Banana, Lola Ladiva, Paloma et Soa de Muse. Cette dernière est non binaire, tandis que La Briochée est une femme trans. Et pour la première fois à la télé française, les queens font le récit, sans être regardées de l’extérieur. Cela peut paraître anodin mais c’est évidemment le fond de Ru Paul’s Drag Race depuis longtemps, cette manière de mêler culture LGBTQI+, sexualisation choisie et réalisme social, du point de vue de celles qui le vivent.
Un événement politique à la télévision française
Façonnée comme une émission de téléréalité classique dont les codes seraient explosés de l’intérieur, Drag Race France possède déjà cette énergie et ce côté fait à la maison qui lui donnent son charme. Mine de rien, il s’agit à la fois d’un événement politique et d’une évolution notable dans la représentation. Ici, tout est léger mais rien n’est anodin, que ce soit l’emploi furtif mais net du terme “racisée” pour désigner l’une des candidates ou les conversations filmées dans la salle de maquillage et de préparation, quand certaines racontent leur histoire personnelle, entre vannes et confessions.
La caméra reste alors fixée sur leurs corps parfois normés, parfois atypiques, qui assument leur statut et leur beauté comme inventée en direct sous nos yeux. Voir une femme trans seins nus, dans un contexte non sexuel ? C’était impossible, Drag Race France l’a fait. Une culture underground se dévoile, le spectacle et son envers marchent main dans la main, toute la notion de performance de genre prend un sens à la fois festif et concret. Les moments où Nicky Doll apparaît en tenue “de ville” enfoncent le clou : l’émission prouve que chacun·e peut opérer un glissement et choisir la manière dont le monde les regarde. La bienveillance n’est plus un vain mot.
Pour chipoter, on notera quand même que pour l’instant, le niveau des numéros n’atteint pas vraiment les sommets, avec une frontière parfois fine entre l’entertainment et l’amateurisme – même si ce dernier terme fait aussi partie intégrante de la culture drag. On constate, une fois de plus, la différence fondamentale entre le sens du spectacle américain et celui qu’un pays comme la France est capable de produire. Mais l’ensemble reste très correct et surtout, d’une fraîcheur et d’une émotion totales. On restera devant tout l’été, en espérant que les neuf queens deviennent des stars dans les campings, les boites et les salons du thé du XVIe.
Drag Race France, chaque jeudi à 20 h sur France TV Slash. Disponible en replay.
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