Crime organisé, corruption, réintégration des Farcs, la série colombienne « Distrito Salvaje » s’attaque à des sujets particulièrement sensibles dans un pays qui peine à sortir de cinquante ans de conflit armé.
Voilà plus de deux ans que les Farcs ont déposé les armes. Deux ans qu’une paix relative s’installe dans un pays meurtri par des années de conflit. Depuis novembre 2016, les anciens guérilleros suivent comme ils le peuvent le chemin vers la réintégration dans une société colombienne qui ne les accepte qu’à moitié.
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C’est dans ce contexte socio-politique particulièrement sensible que Distrito Salvaje prend racine. John Jeiver – campé par l’acteur Juan Pablo Raba – est un ancien combattant d’élite Farc. Dans le cadre des accords de paix, il fuit la guérilla et rejoint le programme de réintégration national. A Bogotá il retrouve une mère aux rides marquées et un fils adolescent qu’il n’a pas vu grandir. Il découvre surtout une vie en société qui lui échappe complètement après vingt ans passés comme un maquisard dans la jungle. Alors qu’il s’efforce de trouver ses marques et de renouer des liens avec sa famille, il est happé dans un univers de crime et de corruption.
Diffusée depuis octobre 2018, la première série colombienne entièrement produite par Netflix séduit presque autant qu’elle irrite. En cause : les thématiques abordées dans Distrito Salvaje qui sont loin de mettre tout le monde d’accord.
Une mise en scène caricaturale du conflit
Isabela Peñadora lève les yeux au ciel quand on lui demande ce qu’elle pense de la série. Pour cette anthropologue spécialiste du conflit colombien, c’est un pari raté. « Malheureusement nous sommes toujours dans un cinéma qui offre une vision sensationnaliste et étriquée du conflit colombien », explique-t-elle.
Distrito Salvaje promettait pourtant de rompre avec cette longue tradition d’un cinéma colombien plein de stéréotypes lorsqu’il s’agit d’aborder la question du conflit armé. Dans cette série pas de soap opera, ni de scénarios d’action trop testostéroné à la gloire de la guérilla. Encore moins d’intrigues amoureuses caricaturées. Mais plutôt une nouvelle manière de raconter le conflit.
Dans les faits la thématique est toutefois traitée de façon confuse selon l’anthropologue. Ce qui l’agace, ce sont d’abord les inexactitudes sociales et historiques que véhiculent Distrito Salvaje, “qui aborde des thèmes très sensibles mais s’arrange avec les faits”, montre Isabela Peñadora. “ La série donne par exemple l’impression que la guérilla est réticente aux processus de réintégration alors que la plupart des combattants veulent en finir avec la violence. C’est un choix de scénario irresponsable en plein processus de paix« .
Ce qui dérange les Colombiens c’est aussi ce dont Distrito Salvaje ne parle pas. Ce qu’elle semble oublier alors que l’avenir du processus de paix est plus qu’incertain depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président Ivan Duque. « Les dissidents Farcs sont incriminés mais le rôle du gouvernement dans la crise actuelle est carrément occulté tout au long de la série« , dénonce Carlos Flores, étudiant en lettres modernes à Bogota. « C’est le plus insultant pour les victimes comme pour les anciens Farcs qui peinent à se réinsérer« . Reste que cette vision critique ne fait pas l’unanimité. « Je pense qu’il faut d’abord voir ça comme une fiction. Pour beaucoup de Colombiens, la série montre une facette plus sombre et réaliste du conflit et ça c’est une première. Cela ouvre de nouvelles perspectives », insiste le réalisateur Juan Martinez.
Un portrait plus réaliste de la corruption
En tout cas il y a bien un sujet sur lequel Distrito Salvaje met tout le monde d’accord. Ou presque. Et c’est la façon dont la série aborde la question de la corruption en Colombie. Recruté en sous-main par les services spéciaux, Jonh Jeiver infiltre un réseau mafieux de Bogotá et pousse la porte d’un monde où politique, grandes entreprises et crime organisé entretiennent des liens étroits.
Des petites mains de la mafia en passant par les magnats de la construction, les juges ou les procureurs, la série dépeint avec froideur cet autre aspect du conflit colombien. Celui qui se joue à l’ombre des buildings. Caché au cœur des grandes jungles urbaines comme Bogotá ou Medellín. C’est finalement là où l’on pourrait penser que le scénario prend ses distances avec la réalité qu’il est en fait le plus proche des faits.
Dans un pays où la corruption est un fléau, « c’est l’une des rares séries à montrer comment fonctionne la politique colombienne, avec toutes les magouilles, les meurtres et les ententes qui se jouent en sous main. Aujourd’hui la plus grande forme de violence en Colombie c’est la corruption« , explique Carlos Flores, très actif dans les mouvements anti-corruption de la capitale. En attendant la referendum anti-corruption organisé en août dernier dans le pays s’est soldé par un échec, faute d’un nombre de votants suffisant.
Comme toutes séries qui traitent de sujets d’actualité sensibles, Distrito Salvaje cristallise les débats. Mais elle se démarque par sa volonté d’apporter de la nouveauté au monde des séries colombiennes, loin du format soap opéra traditionnel. Quant à la saison 2, Netflix n’a pas encore confirmé de date de diffusion.
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