Disponible à partir du 20 avril sur Disney+, “The Dropout” raconte comment Elizabeth Holmes a bâti sa société sur un mensonge.
C’est une tendance de fond qui semble se dessiner sur les plateformes de SVOD depuis le début de l’année : après L’Arnaqueur de Tinder, documentaire Netflix sur un escroc ayant soutiré des dizaines de milliers d’euros à d’infortunées jeunes femmes à partir d’un compte Tinder frauduleux, et Inventing Anna, série de Shonda Rhimes basée sur l’histoire vraie d’Anna Delvey, jeune femme russe parvenue à duper la jet-set et les hautes sphères de la finance new-yorkaises en se faisant passer pour une riche héritière allemande. Ici, c’est un nouveau récit d’imposture, à très grande échelle, qui fait son arrivée sur Disney+ ce 20 avril. Diffusée outre-Atlantique sur Hulu depuis le 3 mars, The Dropout retrace l’ascension spectaculaire et la chute retentissante d’Elizabeth Holmes, jeune prodige de l’entrepreneuriat qui, à seulement 19 ans, fonda Theranos, une entreprise visionnaire de la Silicon Valley, destinée à révolutionner l’industrie pharmaceutique américaine. À ceci près que l’empire financier que deviendra Theranos, colosse aux pieds d’argile valorisé à pas moins de 9 milliards de dollars, s’est bâti sur un brevet frauduleux, et une technologie censément révolutionnaire, en fait parfaitement fallacieuse. Une fraude sans précédent, aux répercussions délétères.
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Think different
C’est l’histoire d’une adolescente habitée par une intuition : celle de pouvoir changer le monde. Avantagée par un lignage favorable (la jeune femme vient d’une famille de riches industriels), et entretenue par les préceptes inspirants d’un père putatif (des posters de Steve Jobs constellent sa chambre) l’intuition vire à l’idée fixe, et l’idée fixe à l’obsession. Alors à 19 ans, Elizabeth Holmes, étudiante émérite de la prestigieuse université de Stanford, abandonne (en anglais : drop out) les études pour fonder sa société, Theranos, bâtie sur une épiphanie : et si à partir d’une simple goutte de sang (en anglais : a drop) on pouvait réaliser, de manière automatisée et peu coûteuse, plus de 1 000 analyses médicales ? Alors on révolutionnerait l’industrie pharmaceutique américaine, qui plus est dans un pays dénué d’assurance maladie, où le coût des soins s’avère prohibitif.
Encore faudrait-il que la science suive. Spoiler : ce ne sera jamais le cas. Mais en pipant les résultats du prototype d’analyse sanguine censément révolutionnaire, qui conduira à un brevet frauduleux, Elizabeth parvient à faire de Theranos le nouveau joyau de la Silicon Valley, une société visionnaire promise à un avenir radieux, précédée d’un storytelling à faire frémir n’importe quel journaleux en quête de gros titres : une femme, jeune de surcroît, s’apprête à révolutionner l’industrie médicale américaine, en promouvant une méthode d’analyse accessible à tous·tes. Alors tout s’emballe : Walgreens, chaîne de pharmacies géante aux États-Unis, s’associe à Theranos pour mettre en place des welness center, sorte d’Apple Store dédié au bien-être et aux analyses médicales, tandis qu’Elizabeth Holmes est canonisée par la machine médiatique américaine, qui en fait sa “nouvelle Steve Jobs”.
Fatalement, le château de cartes finit par s’effondrer, et malgré des méthodes dignes du Kremlin pour tenter de camoufler la fraude, la vérité éclate au grand jour suite aux efforts conjugués de lanceurs d’alertes échaudés (ancien·nes employé·es écoeuré·es, concurrent revanchard) et d’un journaliste opiniâtre. Theranos n’était qu’une vaste imposture, les résultats des tests sanguins étaient falsifiés.
Symptômes de l’imposteur
De cette affaire encore chaude, qui recèle tous les ingrédients d’un rise and fall dans les règles de l’art, Elizabeth Meriwether (showrunneuse de la sitcom New Girl, entre autres) tire une série fascinante, à infusion lente. C’est d’abord le portrait d’Elizabeth – superbement incarnée par Amanda Seyfried, qui prête au personnage ses yeux bleus invariablement ébahis, comme sujets à des visions qui nous échapperaient – , aînée d’une famille prospère, dopée aux mantras perfusés d’une religion qui ne dit pas son nom, celle du personal development et de la fièvre entrepreneuriale comme réalisateurs de son soi profond. Cette fièvre qui tourne à la folie, poussant Elizabeth à poursuivre, malgré sa technologie inopérante et les dangers d’une imposture généralisée, sa mission quasi-mystique jusqu’à la déraison, comme une prophétie auto-réalisatrice. C’est moins l’objet de son invention (frauduleuse) que l’idée même d’inventer qui anime Elizabeth, disciple zélée de Steve Jobs, manitou concassé d’un american dream renouvelé.
C’est ensuite le portrait de la Silicon Valley et de ses néo-cols blancs en chemise à fleurs et claquettes-chaussettes, qui sous le glacis d’une coolitude à toute épreuve, et de valeurs qu’on affiche en caractères géants dans les couloirs de bâtiments high-tech, n’en demeure pas moins une machine à broyer de l’humain.
C’est enfin la chronique d’un storytelling, d’une entreprise parvenue à duper experts médico-légaux et hautes sphères de la finance en racontant une histoire à laquelle on aurait aimé croire, portée par une jeune femme qu’on a cru aimer. Car en affichant un féminisme spécieux, Elizabeth Holmes a surtout porté préjudice à d’autres femmes entrepreneures, injustement éclaboussées par les retombées du scandale, prouvant qu’en affaires le féminisme est moins un combat qu’une question d’image.
En déroulant son récit sur huit épisodes, de 2002 à 2017, The Dropout détisse méticuleusement l’ascension et la chute d’Elizabeth, et saisit le défilement des années au gré des tubes qui ont agité les années 2000 (on y entend entre autres Justin Timberlake, LCD Soundsystem ou Amy Winehouse) et, jolie astuce, à travers les produits Apple successifs qui ont envahi le marché, devenus les marqueurs temporels de notre histoire récente.
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