L’Allemagne peut faire oublier Derrick et ses lunettes fumées. La preuve avec la sautillante série d’espionnage Deutschland 83.
Quel rabat-joie refuserait de jeter un œil sur une série qui laisse traîner dans nos oreilles 99 Luftballons et résonner dans son générique l‘imparable refrain de Major Tom par Peter Schilling, entre autres madeleines gentiment désuètes ? Les années 1980 résonnent très fort dans Deutschland 83. Pour une génération, cela suffit à faire envie, même si The Americans donne le change, et bien plus encore, sur la question depuis trois saisons.
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Les allergiques aux chansonnettes resteront aussi, car il n’y a pas que l’amour des tubes qui compte. La série se joue ailleurs que dans la généalogie du dernier âge d’or de la variété. Et tout le monde ne se trémousse pas, loin de là, dans les huit épisodes de ce drame situé au temps des ultimes relents hystériques et flippants de la guerre froide en Europe. Une époque étrange et tournée vers le passé.
L’idée d’une destruction atomique entrait dans les cerveaux
L’Occident pensait vraiment que l’URSS, via son alliée la RDA, allait envoyer des bombes sur l’Allemagne d’Harald Schumacher. L’idée d’une destruction atomique entrait dans les cerveaux. Deutschland 83 glisse à l’intérieur de ce tableau géopolitique globalement angoissant via un pitch classique de la fiction d’espionnage.
Recruté par son pays, un jeune et joli Allemandde l’Est prénommé Martin, élevé dans la foi communiste, se retrouve à Berlin pour infiltrer l’armée ennemie, celle de la RFA. Il devient malgré lui le témoin de la montée des hostilités entre les deux Allemagnes, six ans avant la chute du Mur – nos excuses pour le spoiler. Quelques complications s’ensuivent : trahisons, amours contrariées, danger à tous les étages.
Jusqu’à la douloureuse épidémie de sida
La cocréatrice de la série, Anna Winger, parle de ce garçon comme d’un type normal échoué au milieu de circonstances extraordinaires. Martin serait un innocent dans un monde coupable, donc un héros posthitchcockien ? Peut-être bien. Mais c’est plutôt à des figures candides ou rêveuses (Le Magicien d’Oz, Alice au pays des merveilles…) que souhaite faire référence la scénariste quand elle évoque la série. Elle travaille ici en duo avec son mari Jörg, en charge de la production.
Ensemble, ils ont inventé un monde précis historiquement – des crises diplomatiques successives jusqu’à la douloureuse épidémie de sida – mais également coloré et pop, parfois en phase avec les amusantes exigences du soap. Ce mélange des genres possède parfois une grâce toute simple, presque enfantine.
Mécanique prévisible
A d’autres moments, Deutschland 83 reste un peu à la surface des événements – notamment dans ses derniers épisodes moins convaincants que l’entrée en matière – et patine dans une mécanique prévisible. La tentative reste malgré tout d’un bon niveau et surtout assez neuve. Nous faire réaliser qu’en termes de séries l’Allemagne est aujourd’hui capable de produire autre chose qu’un énième inspecteur à lunettes fumées relève en soi de l’exploit. Deutschland 83 se vend dans le monde entier.
Il faut dire que l’ADN de ces huit épisodes penche légèrement de l’autre côté de l’Atlantique. D’origine américaine, même si installée à Berlin depuis quinze ans, Anna Winger écrit tous ses scénarios en anglais avant que son mari ne les traduise.
Une certaine tradition européenne plus artisanale
La rencontre entre l’art des séries US et une certaine tradition européenne plus artisanale produit son petit effet. Ce que l’on appelait il y a quelques décennies l’europudding (un type de production internationale pas très digeste) a peut-être trouvé un héritier assez agité pour s’imposer. D’ailleurs, l’histoire n’est pas finie : les époux Winger prévoient deux autres saisons de la série, l’une située en 1986, l’autre en 1989.
Deutschland 83 à partir du 11 janvier, 20 h 45, Canal+
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