Lancée cette semaine sur Amazon Prime Video, « Deutsch-les-Landes » raconte la cohabitation forcée de Français et d’Allemands dans un petit village du sud-ouest de la Fance. Festival de clichés et de mauvaises vannes, la première série française du géant du commerce en ligne souffre surtout d’un mode de diffusion ubuesque, obligeant les spectateurs français à subir une VF désastreuse. Chronique d’un naufrage.
On pensait qu’avec Marseille, première production française estampillée Netflix, la série made in France avait touché le fond. Nous revient, de sinistre mémoire, le badbuzz généralisé qui avait suivi sa diffusion, alimenté notamment par un tumblr tristement comique, qui recensait les répliques les plus affligeantes du show, devenues cultes malgré elles ; « Vous trouvez pas ça bizarre, qu’on se touche le zob en parlant de Picasso ? ». Never forget.
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On pensait naïvement qu’un tel accident industriel ferait jurisprudence, et servirait d’avertissement aux créateurs français désireux de se jeter dans le grand bain de la SVOD. Pourtant, Deutsch-les-Landes, première production hexagonale proposée par Amazon Prime Video rendrait Marseille presque regardable. Le fiasco est total.
Katastrophe !
Co-production franco-allemande, Deutsch-les-Landes nous plonge dans le village landais de Jiscalosse (vous l’avez ?), berceau d’irréductibles gaulois contraints d’accueillir, du jour au lendemain, près de 200 Allemands afin de renflouer les caisses de la commune, au bord de la faillite. C’est que la maire courage du patelin (campée par Marie-Anne Chazel) a vendu une partie des terres municipales à un riche industriel bavarois, tombé amoureux du sud-ouest, qui décide d’y délocaliser une branche entière de sa compagnie. Sur fond de choc des cultures, et au gré d’un feu nourri de clichés ininterrompu, la série rejoue à l’échelle d’un bled paumé du sud de la France, les rivalités ancestrales et les amours contrariés de deux nations qui adorent se détester.
Fait remarquable, le fiasco Deutsch-les-Landes tient moins à son écriture indigente qu’à son mode de diffusion. Tirant bénéfice d’une production et d’un casting franco-allemands, la série a été tournée dans les deux langues, avec des acteurs français (Marie-Anne Chazel, Sylvie Testud) et allemands (Christoph Maria Herbst, Rufus Beck) offrant aux scénaristes des gags linguistiques tout trouvés. Sauf que voilà, Amazon a fait le choix délirant de diffuser la série entièrement doublée en français, sans possibilité de basculer en version originale sous-titrée (une hérésie en 2018). Résultat, les Allemands sont censés parler allemand, mais parlent en fait français.
Outre une synchronisation labiale d’un autre âge, cette décision insensée fait passer à la trappe un nombre invraisemblable de quiproquos censés reposer sur l’incompréhension mutuelle des villageois français avec leurs homologues germaniques. Ainsi, lorsque l’un des cadres de la compagnie allemande s’exerce au français en répétant avec difficulté « faut pas pousser mémé dans les orties », son doubleur (français), fait mine d’apprendre à parler français… en français. Si les vannes tombent invariablement à l’eau, on se surprend néanmoins à réfréner un fou rire occasionnel , effaré par l’incohérence de scènes entières au ressort comique tué dans l’oeuf, se demandant si l’on a pas atterri par mégarde au beau milieu d’un épisode inédit de Kamoulox. A défaut de rire avec, on rit volontiers contre.
Cury wurst et gésier de canard
Ne nous méprenons pas, exempte de cet imbroglio linguistique, Deutsch-les-Landes n’en deviendrait pas pour autant intéressante, ni même drôle, tant la série enquille les clichés les plus balourds, faisant de la chronique d’une cohabitation franco-allemande forcée, un pot-pourri de vannes éculées. Les allemands roulent sans surprise dans de grosses berlines noires, sont foncièrement psychorigides et s’adonnent sans complexe au naturisme sauvage. Les Français sont passionnés, un brin lunaires, et aiment autant faire la grève que boire un bon pinard. On ajoute à la tambouille quelques allusions douteuses aux deux guerres mondiales, une ou deux références footballistiques, un zeste de nationalisme rance, et le tour est joué. Le tout passé au filtre d’un humour censément bienveillant, mais qui, sous couvert d’une répartition équitable des vannes, ne fait qu’entretenir avec bêtise des poncifs largement gâtés.
La série s’avère également incapable de jongler avec les genres, passant sans préavis de l’humour potache à la dramédie familiale. La faute à des personnages inconsistants et caricaturaux, tout juste crédibles en tant qu’êtres humains, et à une intrigue sans ampleur, distillée sur les 10 épisodes de 26 minutes que constituent cette première (et espérons-le unique) saison. La présence au casting de Roxane Duran (découverte dans Le ruban blanc) qui campe le seul personnage un tant soit peu intéressant, ne parvient pas à sauver les meubles.
Créée par Alexandre Charlot (co-scénariste de Bienvenue chez les Ch’tis) et son homologue allemand Thomas Rogel, Deutsch-les-Landes est un naufrage complet, qu’une version française incompréhensible, et impossible à contourner, vient un peu plus fragiliser. Un accident industriel qui en dit long sur l’incapacité des géants américains du streaming à proposer dans leur catalogue une série française de qualité, à l’heure où la fine fleure de la production hexagonale, de Dix pour cent à Hippocrate, emporte les suffrages du public et de la critique. Avec son mode de diffusion anachronique, ses vannes éculées et son festival de clichés, Deutsch-les-Landes ferait presque passer Plus belle la vie pour du David Simon.
Deutsch-les-Landes, disponible sur Amazon Video Prime depuis le 30 novembre
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