Trois street-artistes ont réussi à troller la série américaine en intégrant aux décors de la saison 5 des graffitis qui critiquent sa représentation du Moyen-Orient.
« Homeland est raciste« , « Homeland est une grosse blague », « cette série ne représente pas les opinions des artistes« . Ces phrases, rédigées en arabe, ont toutes été taggées sur des décors du tournage de la cinquième saison de la série de Showtime. L’une d’entre elles (« Homeland est raciste ») est passée à l’écran le 11 octobre dernier, alors que la chaîne câblée américaine diffusait le deuxième épisode de son cinquième volet. À la place du mot « Homeland » (que l’on peut traduire par « terre natale » en français), il est écrit « AlWatan », le nom de la série traduit en arabe, qui signifie « patrie ».
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Cet exercice de trolling en règle a été rendu public trois jours plus tard par les street-artists eux-mêmes, sur le site de l’une d’entre elles, Heba Amin. Avec deux autres artistes, Caram Kapp et Stone, elle raconte comment elle a été mise en relation en juin dernier avec la production de Homeland pour tagger des murs sur le tournage de la saison 5 à Berlin.
« Ils cherchaient des ‘street artists arabes’ pour apporter de l’authenticité à un décor censé représenter un camp de réfugiés syriens à la frontière entre la Syrie et le Liban », écrivent les trois artistes.
« Vue la réputation de la série, nous nous sommes montrés très difficiles à convaincre. Avant de considérer le fait que cette intervention pourrait nous servir à relayer notre mécontentement (et celui de beaucoup d’autres personnes) envers la série. »
Ils ont ensuite immortalisé leurs graffitis et ont publié les photos des murs de briques taggés sur leur site. Selon eux, la production de Homeland leur a donné plusieurs photos de tags pro Bachar El Assad (« apparemment très fréquents dans les camps de réfugiés« , ironisent les artistes) dont ils devaient s’inspirer pour créer des graffitis similaires, mais en rendant les leurs « apolitiques ».
Comment de telles phrases ont-elles pu passer inaperçues ? D’après Heba Amin, Caram Kapp et Stone, comme l’équipe de tournage n’avait que 48h pour recréer ces décors à Berlin, « personne ne faisait attention à [eux] »:
« Le contenu de ce qui avait été écrit sur les murs ne les intéressaient pas. A leurs yeux, l’écriture arabe était simplement un supplément visuel qui complétait leur fantasme horrifique du Moyen-Orient, un poster qui déshumanise toute une région et transforme [ses habitants] en figures à peine humaines en burqa noires, ou, dans cette saison, en réfugiés. »
De nombreuses critiques depuis 2011
Le texte fait référence à de nombreuses critiques qu’a essuyées Homeland depuis ses débuts en 2011 outre Atlantique. En 2014, Showtime avait diffusé une image promotionnelle de la quatrième saison, sur laquelle on pouvait voir l’héroïne Carrie Mathison, les cheveux blonds à peine cachés par un voile rouge pétant, au milieu d’une dizaine de silhouettes de dos arborant des burqas noires. Une internaute avait partagé sur Twitter le poster avec un commentaire amer : “Regardez, c’est le petit chaperon raciste ! Est-ce que blondie va survivre dans cette marée de femmes couvertes de la tête aux pieds ?“
Look! It’s Little Red Riding Racist! Can blondie survive in a sea of cloaked women?? #Homeland show poster. pic.twitter.com/XIgxeMjWN5
— Zahra Noorbakhsh (@ZahraNoo) 19 Juillet 2014
Au-delà des symboles, la série a également été la cible de dizaines de tribunes qui lui reprochaient sa représentation apocalyptique de certaines régions du Moyen-Orient. Dans la saison 2, une rue très populaire de Beirut, Hamra Street, était ainsi montrée comme un coupe-gorge boueux dans lequel les guet-apens étaient monnaie courante. En réalité, Hamra Street est une rue des rues huppées de la capitale, comme l’ont montré plusieurs internautes, dont l’auteur Louay Khraish qui en a publié une tribune incendiaire sur son blog Imagining Lebanon.
Le ministre du tourisme libanais Fadi Abboud avait à l’époque menacé de porter plainte contre la production de la série. « La série représente Hamra Street comme une rue où grouillent les milices. Cela ne reflète pas la réalité. Cela n’a pas été tourné à Beirut et ça ne montre pas la vraie image de Beirut« , avait-il affirmé, insistant sur le fait que le tournage avait eu lieu en Israël et non au Liban.
>> A lire aussi: quels sont tous les reproches formulés à l’encontre de Homeland ?
Plus globalement, c’est la manière de parler du monde arabe et des relations entre différents groupes qui a été largement réprimandée, notamment par le Washington Post qui a publié en octobre 2014 un billet assassin intitulé « Homeland est la série la plus sectaire et intolérante à la télévision« . “Depuis le premier épisode, Homeland a produit des stéréotypes islamophobes à tour de bras, comme si les scénaristes étaient payés au cliché“, a asséné la journaliste Laura Durkay.
“Toute la structure de Homeland est construite sur un principe : mélanger toutes les manifestations politiques existantes de l’Islam, des Arabes, musulmans et tout le Moyen-Orient en un monstre digne de Frankenstein qui serait une menace terroriste”, conclut-elle.
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