Autrefois rose bonbon, la série pour adolescents s’est assombrie : jadis vertueux et gentillets, les jeunes qu’elle dépeint sont aujourd’hui cruels, égoïstes et paumés.
Quiconque s’est déjà retrouvé chez lui, fiévreux un jour de la semaine, à zapper entre la première et la sixième chaîne, sait combien les séries télé aiment les ménagères de moins de 50 ans. Disponible et fidèle, la femme au foyer constitue une cible facile. Juste derrière elle, l’adolescent affiche un beau profil de victime potentielle : les horaires fixes de son emploi du temps lui assurent une véritable assiduité, tandis que le groupe de pairs auquel il appartient l’encourage à rester à jour, sous peine de passer pour un gros ringard si jamais il devait louper la trente-deuxième rupture entre Brenda et Dylan.
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Sur un nuage
Au début des années 90, la plus célèbre des séries pour ados succède à la gentillette Sauvés par le gong et s’intitule Beverly Hills 90210. Son propos est aussi simple que ses héroïnes sont blondes : une gentille famille wasp déboule de son Minnesota natal dans le très bourgeois quartier de Los Angeles. Pendant dix ans, le monde va suivre les péripéties des jumeaux Walsh, entre sessions shopping et soirées dans les villas de Bel Air, premières amours et parties de beach volley. Décor doré et vie de rêve : la série dépeint alors une jeunesse qui n’existe (quasiment) pas et une Amérique blanche et friquée, où les filles ont les cheveux qui brillent et les garçons ressemblent à Ken.
http://youtu.be/Cfve0myxr0w
Le premier épisode de la série, pourtant, est diffusé quelques mois avant la sortie de Nevermind de Nirvana : alors que le grunge explose, Beverly Hills 90210 lui oppose une version édulcorée de la jeunesse US. En Australie, la série pour ados se complexifie avec Hartley, coeurs à vif, qui relate le quotidien d’une bande de lycéens dans un quartier de Sydney. Moins chochotte et davantage ancrée dans le réel, avec ses familles issues de l’immigration, ses parents amochés et ses adolescents bancals, la série s’inscrit dans la lignée des Années collège, série québécoise parue à la fin des années 80 dans laquelle les protagonistes prenaient des drogues, fuguaient, avortaient et mettaient fin à leurs jours.
A la même époque, en France, les drogues et la lose brillent par leur absence des séries pour ados : AB Productions, avec Premiers baisers et Hélène et les garçons, dessine une vie de Bisounours où les étudiants passent leurs journées à la salle de gym et où l’on roule des pelles en buvant des cocktails sans alcool. Au pays de Dorothée, la télévision publique se charge tout de même, avec Seconde B, de rappeler que tout n’est pas rose et que tout le monde n’est pas blanc.
L’ère du doute
Aux Etats-Unis, fin des années 90, Dawson’s Creek commence à dresser un pont entre les bébêtes séries d’hier et celles, plus réalistes, de demain. Autour de Dawson, une petite bande de lycéens (parmi lesquels la future madame Tom Cruise, Katie Holmes) se posent tout un tas de questions, fréquentent les hôpitaux psychiatriques ou décident d’assumer leur homosexualité. Jadis débile et bodybuildé, l’adolescent apparaît alors comme un être dévoré par le doute, fragile et mal dans sa peau.
Idem chez les petits copains de Buffy contre les vampires : la série raconte le passage de l’adolescence à l’âge adulte via les aventures de Buffy, une tueuse de vampires luttant contre les forces du mal. Les adultes s’y transforment en monstres, les héros maléfiques y corrompent les jeunes filles : sous une forme ludique, la série pour ados devient de plus en plus trash. Une immoralité qui semble devenue le mot d’ordre du genre dans les années 2000. En Angleterre, Skins propose ce qui se fait de plus subversif en la matière. La série raconte crûment le quotidien de lycéens de Bristol : ils couchent, prennent toutes les drogues du monde, se bastonnent et meurent – à tel point que la version américaine a finalement été abandonnée aux Etats-Unis.
http://youtu.be/vcsROX2jWX
Par souci de coller parfaitement avec le quotidien des adolescents, le synopsis de Skins est écrit, en Angleterre, par un groupe de scénaristes d’une vingtaine d’années. Celui de la saison 6 a même fait l’objet d’un concours de scénario ouvert à tous. Même violence et même tension dans Misfits, série britannique racontant les déboires d’une troupe de jeunes délinquants qu’un orage a dotés de superpouvoirs. Si Skins a disparu du paysage télé US, l’immoralité n’est pas pour autant censurée outre-Atlantique : gâtés pourris, égoïstes, décadents, scandaleusement incultes dans leurs prisons dorées, les héros de Gossip Girl, correspondants new-yorkais des protagonistes californiens de The OC (Newport Beach), sont tout simplement détestables – et c’est pour ça qu’on les adore.
http://youtu.be/tXmBlgtIXsc
Se déplaçant uniquement en taxi ou en jet privé, ne fréquentant que les palaces et les boutiques de luxe, enchaînant les verres de scotch dès le réveil, couchant avec des call-girls, les héros de la série ressemblent à ceux des pages people. Héritière de Gossip Girl, la très bitchy Pretty Little Liars mêle glamour, meurtre et secrets, choquant l’Amérique puritaine avec un personnage de lesbienne assumée. Dans un registre comique, Glee, série camp coinventée par le créateur de Nip/Tuck, Ryan Murphy, tire son épingle du jeu.
Autour d’un gentil prof ressemblant terriblement à Justin Timberlake, une chorale réunit les losers d’un lycée de l’Ohio. Les adolescents y reprennent Coldplay et Kanye West, et la série, plus attachante et décalée que les risibles films High School Musical, séduit par sa bizarrerie.
Johanna Seban
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