A Miami, David est partagé entre le ghetto où il vit et le collège principalement blanc qu’il fréquente. Un récit adolescent qui séduit par les trouées oniriques qui viennent bousculer son réalisme.
C’est l’histoire d’un jeune homme noir de 14 ans que l’adolescence et le danger guettent. C’est un héros qu’on n’oublie pas, dans un monde pourtant saturé de séries. Un héros singulier pour plusieurs raisons, mais d’abord pour celle-ci, presque impalpable : ce garçon ne souffle à aucun moment sur les braises de l’antipathie ou de la figure du salaud qu’on aime détester. David, ce serait tout le contraire, une sorte d’astre accueillant et tout en intériorité qui s’invente scène après scène, plan après plan, un monde vivable dans lequel il lui sera supportable d’habiter. C’est aussi ce qu’on demande aux récits contemporains et qu’on obtient rarement, ce désir d’arpenter la réalité selon des constructions nouvelles qui ne seraient pas jouées d’avance – en termes de style, de genre, d’imaginaire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
https://www.youtube.com/watch?v=Q7vBym8dlgQ
Il s’agit d’une lutte de tous les instants pour David, issu du cerveau (et de la vie) du dramaturge Tarell Alvin McCraney, scénariste oscarisé de Moonlight de Barry Jenkins en 2017 et du film réalisé par Steven Soderbergh pour Netflix, High Flying Bird. Dans les environs de Miami, ce fils d’une ancienne junkie – elle n’est jamais à la maison parce qu’elle travaille tout le temps – s’occupe de son demi-frère et tente d’avancer dans une existence scindée, voire déchirée en plusieurs morceaux.
A chaque rencontre ou moment fort, c’est comme si le personnage changeait
Son existence et son parcours révèlent un flot de contradictions entre l’endroit d’où il vient, ce monde de la pauvreté subie par la population noire américaine, et l’endroit où il désire aller, à définir dans un futur proche. Il est élève dans un collège huppé principalement blanc où il ne se sent pas particulièrement à sa place, tandis que les dealers de son bloc d’immeubles aimeraient l’embaucher pour travailler avec eux. Il va devoir choisir ou s’inventer un destin de toutes pièces.
Diffusée par OWN, la chaîne câblée américaine créée par Oprah Winfrey (mais aussi disponible en version originale non sous-titrée sur YouTube), produite par Michael B. Jordan (Friday Night Lights, Black Panther), David Makes Man reprend les codes du conte initiatique pour en montrer à la fois la force et les limites à exploser. Tout l’enjeu pour Tarell Alvin McCraney consiste à offrir une enveloppe novatrice à une histoire déjà vue sous de multiples formes. Pour cela, il a imaginé un récit (déjà expérimenté dans Moonlight) où les diverses couches de la vie de David glissent l’une vers l’autre.
A chaque rencontre ou moment fort, c’est comme si le personnage – et le monde autour de lui – changeait ou menaçait de muter. Un choix beaucoup plus original qu’on pourrait le penser au premier abord. Dans ses deux premiers épisodes diffusés au moment où nous écrivons ces lignes, la série croit dur comme fer en la puissance évocatrice de tous les mondes qui se bousculent dans la vie mais aussi dans la tête de son héros. Le réalisme brut d’une fiction du ghetto se trouve sans cesse rejoué et remis en cause par une forme d’onirisme surprenant : rêves, discussions avec un mentor qui lui tient lieu de conscience, moments de fatigue extrême où David semble perdre tout sens commun.
La grande idée des débuts de la série consiste à incarner les divers états de David de manière très concrète, à travers les trajets qu’il doit effectuer, toujours ric-rac pour aller au collège ou à un rendez-vous, pour attraper un bus. Il court, il transpire, il s’épuise dans la chaleur poisseuse de Floride. Souvent, la fiction décolle pendant un moment inattendu et paniqué – une discussion à un arrêt de bus, quand il doit emprunter son téléphone à une femme pour appeler sa mère…
Malgré quelques défauts liés à son lyrisme (les effets sont parfois un peu appuyés), David Makes Man vaut plus que le coup d’œil car elle effectue le même parcours que son héros. Elle tente à tous les instants, sans être sûre d’y parvenir, d’élargir les limites de son univers. La manière dont la fin du deuxième épisode ouvre un infini de possibilités à travers la rencontre avec des prostituées trans menées par Trace Lysette (vue dans Transparent) fait définitivement décoller ce qui s’impose déjà comme l’une des séries les plus originales de l’année.
David Makes Man sur la chaine YouTube de OWN
{"type":"Banniere-Basse"}