La série du romancier américain Blake Crouch nous immerge dans le multivers. Une aventure malheureusement teintée d’un fort sentiment déjà-vu (dans une autre vie?).
C’est devenu la marotte d’un nombre exponentiel de productions, science-fictionnelles ou non, depuis, disons, une dizaine d’années. Démocratisé par l’industrie lourde hollywoodienne, avec le MCU (l’univers cinématographique Marvel) en fer de lance, et auréolé de la razzia aux Oscars glanée par Everything Everywhere All at Once en 2023, le multivers a essaimé tous les registres de fiction, jusqu’à quasiment devenir un genre en soi. Au risque de décharger le concept du vertige existentiel qu’il est censé inoculer ? Pas impossible.
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Avec Dark Matter, le romancier américain Blake Crouch, déjà auteur de Wayward Pines (qui avait donné lieu à une série produite par M. Night Shyamalan), se reconvertit showrunner, et adapte lui-même son roman paru en 2016.
Double vie
On y suit Jason Dessen (Joel Edgerton), physicien de Chicago à la vie rangée et quelque peu dépassionnée. S’il file le grand amour avec sa femme Daniela (Jennifer Connelly) et assure pour leur fils Charlie un rôle de père aimant, c’est professionnellement qu’il s’ennuie ferme. Prof dans une université médiocre, où il fait cours à des élèves démissionnaires, Jason voit l’un de ses anciens camarades de fac obtenir un prestigieux prix scientifique qu’il convoitait sans le dire.
Un soir, alors qu’il sort d’un bar, Jason est kidnappé et séquestré par un individu masqué qui semble tout savoir de lui. À son réveil, il découvre stupéfait que sa vie n’est plus vraiment la même : il n’est plus marié à sa femme, n’a pas d’enfant, et dirige une firme de neurotechnologie révolutionnaire.
L’hypothèse de la folie écartée, Jason se rend à l’évidence : il a été aspiré dans une version alternative de sa vie, tandis qu’un autre Jason, autrement moins sympathique, s’est infiltré dans la sienne. S’enclenche un chassé-croisé haletant entre ses vies parallèles, où Jason réalisera que son plus grand adversaire n’est autre que lui-même.
Et si…
Si l’on passera sur la justification scientifique, peu crédible et coupablement commune, qui rend possible cette exploration de vies alternatives (avec la fameuse formule magique : chat de Schrödinger + superposition d’états + tambouille quantique = multivers), elle occasionne quelques trouvailles formelles plutôt réussies, et se double d’une romance forcément contrariée, et par endroits poignante, entre deux amant·es prisonnier·ères de leurs mondes respectifs.
Car, ce qui occupe véritablement Dark Matter, c’est bien évidemment l’auscultation de vies potentielles à l’aune des choix déterminants qui constellent l’existence. À cet égard, la série s’emmitoufle dans une dualité un peu simpliste, qu’on peut résumer de la sorte : d’un côté le Jason carriériste, qui a renoncé à l’amour de sa vie pour se consacrer au travail, et est devenu un physicien de génie, louangé de toute part, mais profondément insatisfait de sa vie, voire carrément aigri ; de l’autre le Jason qui a renoncé à ses ambitions pour leur préférer l’amour, père de famille et mari comblé, qu’une carrière insatisfaisante a néanmoins rendu un brin mollasson.
Cette vision très normée, sinon passéiste, du couple, et de la sempiternelle opposition carrière versus amour, entache une série par ailleurs plutôt prenante, mais qui, à l’image de son héros spectateur puis acteur de ses vies potentielles, n’a sans doute pas investi la meilleure version d’elle-même. Peut-être existe-t-il un monde parallèle dans lequel Dark Matter aurait fait des choix plus aventureux, plutôt que de succomber à un récit et une vision du monde largement ressassés.
Dark Matter Blake Crouch, disponible sur Apple TV+.
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