Le réalisateur d’“Illusions perdues” raconte en douze épisodes un casse à plusieurs milliards d’euros réalisé sans braquage, inspiré de faits aussi fous que réels et dont la chute sera sanglante.
C’est l’une des grandes escroqueries de ces trente dernières années, peut-être la plus dingue de l’Histoire, imaginée par une bande de faux pieds nickelés français pour tirer profit d’un système complexe de marché financier aux quotas de carbone (des entreprises achetaient un droit à polluer, pour faire court). Celle-ci reposait sur le versement automatique par la Caisse des dépôts – organisme public – d’une TVA à 19,6 % sur les transactions, que les entreprises étaient censées rembourser. Ce qu’elles ne faisaient jamais, car il s’agissait de sociétés fantômes ouvertes par les escrocs uniquement pour empocher cette TVA. Une façon de détourner une idée vertueuse destinée à limiter les émissions de CO2…
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Datant de la fin des années 2000, l’entourloupe aurait coûté environ 2 milliards d’euros à l’État français et trois fois plus dans toute l’Europe. Un scandale dont Fabrice Arfi, journaliste d’investigation à Mediapart, a tiré un livre sorti en 2018, D’argent et de sang. Et que Xavier Giannoli adapte en série pour Canal+.
Deux petits escrocs et un flambeur
Comment filmer un délit aussi fou ? Donner corps à une arnaque façonnée derrière de puissants ordinateurs ? Rendre les flux financiers palpables ? Dans sa première partie en six épisodes (les six suivants arrivent début 2024), D’argent et de sang se confronte directement à ces questions, gravissant plusieurs versants de la montagne en simultané. Il y a d’abord les fondations qui reposent sur deux hommes, Juifs séfarades d’origine tunisienne vivant à Belleville (Fitous et Bouli), que Giannoli et son coréalisateur Frédéric Planchon choisissent pour entrer dans le récit, comme Arfi dans son livre d’enquête. Joués par Ramzy Bedia et David Ayala, ce sont des mecs de la rue, rompus aux petites arnaques, toujours à la recherche de mieux, caricatures flamboyantes d’une vie de débrouille consacrée à l’argent et à la revanche sociale.
Face à eux, Jérôme Attias (Niels Schneider, qui a remplacé Gaspard Ulliel après son tragique décès) a tout de leur calque inversé. Juif mais d’un autre monde, il est trader, marié à une Ashkénaze dont le père est un homme d’affaires richissime et qui a grandi dans les beaux quartiers. Ce personnage, inspiré d’Arnaud Mimran, roule en voitures aussi chères que des apparts, accroche un Basquiat au-dessus de son lit, flambe au poker et veut faire fructifier ses euros hors de l’ennuyeuse légalité.
Un magistrat redresseur de torts
Le trio décide de s’associer pour frauder la taxe carbone. Une alliance de circonstance – les uns ont une idée, l’autre a du cash. Giannoli filme cette rencontre entre masculinités furibardes avec beaucoup d’énergie mais aussi un peu de confusion, comme si ces types roublards et menteurs échappaient parfois à sa caméra. L’ambition du cinéaste de Quand j’étais chanteur ou encore Illusions perdues est bien réelle : dépeindre un milieu et des êtres obsédés par l’argent, comme une excroissance hébétée du capitalisme contemporain le plus dégueulasse, à la manière des grands cinéastes américains, Coppola et surtout Scorsese. On pense souvent à Casino, le chef-d’œuvre de l’auteur des Affranchis, ainsi qu’au Loup de Wall Street, mais il manque une forme de précision et de férocité à la série pour vraiment réussir ce pari.
De Belleville à Tel-Aviv, Giannoli travaille aussi en profondeur la question de la judéité de ses personnages, comme Scorsese et Coppola ont investi les communautés italo-américaines. Sur ce point, il déjoue habilement les pièges du sujet. Mais ce que D’argent et de sang montre le mieux, c’est à quel point le système financier est friable et l’escroquerie, facile. Pour cela, il met en avant la figure d’un magistrat des douanes, Simon Weynachter, un obsédé lui aussi, mais plutôt par le désir de justice. Ce redresseur de torts fatigué par la vie assiste impuissant à la catastrophe. Il donne l’occasion à Vincent Lindon de poursuivre son travail autour des figures de lutte amorcé dans les films de Stéphane Brizé. Voulant réparer le monde, il ne cesse de s’y fracasser, ce qui donne envie d’aller au bout de la série pour suivre son errance. Car après l’argent dans les six premiers épisodes, la seconde salve promet du sang.
D’argent et de sang (partie 1) de Xavier Giannoli, avec Vincent Lindon, Niels Schneider, Ramzy Bedia, David Ayala. Sur Canal+ et MyCanal à partir du 16 octobre.
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