Quatre ans après la fin de « Lost », le scénariste et producteur Damon Lindelof revient sur le petit écran avec sa nouvelle série « The Leftovers ». Une manière de se débarrasser de ses vieux démons et de laisser derrière lui les fans enragés du passé.
« Damon Lindelof vous promet que sa nouvelle série ne finira pas comme Lost ». Le titre de l’article du New York Times va droit au but : dans l’inconscient collectif, Damon Lindelof est encore « le mec qui a ruiné Lost« . Une réputation qui colle à la peau de ce quadra au look d’éternel adolescent depuis la fin de la célèbre série de ABC en 2010.
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Lorsque Lost a débuté en 2004, portée par J.J. Abrams, Damon Lindelof et son camarade Carlton Cruse ont été acclamés par le public et la critique. Leur travail est récompensé par un award de la Writers Guild of America en 2006 pour l’écriture des deux premières saisons. Un succès fulgurant auquel le jeune scénariste n’était pas habitué, ayant jusque là travaillé sur des programmes moins reconnus comme Nash Bridges (1996-2001) et Preuve à l’appui (2001-2007).
Lost proposait à la fois des mystères prenants et une variété de personnages creusés qui ont rapidement rassemblé des millions de fans à travers le monde. Les années passant, les intrigues ont commencé à se multiplier tandis que personne ne prenait le temps de répondre aux questions soulevées. A grands coups de flashbacks, flashforwards, voyages dans le temps et monstres de fumée, Lindelof et Cruse ont peu à peu perdu leur public, s’enfermant dans un coin en ayant fraichement peint tout le reste de la pièce.
Le poids de la déception
La fin de la sixième – et dernière – saison de Lost a sonné comme un coup de massue pour Damon Lindelof, alors persuadé d’avoir proposé la meilleure conclusion possible à cette gigantesque aventure. Très actif sur Twitter, le showrunner a découvert la rage d’une partie des fans (les plus volubiles) de la série, qui n’ont pas hésité à l’alpaguer sur le réseau social en des termes particulièrement agressifs.
Qu’importe qu’il ait adoré l’épisode final de la série, Lindelof commence peu à peu à se convaincre que c’est lui qui a tort.
« En fait non, ce n’est pas [le fait que je l’aie aimé] qui doit avoir de l’importance. Je n’ai pas écrit ce final dans ma tête. Je l’ai diffusé sur les ondes, et des millions de personnes l’ont suivi. Et j’avais envie qu’ils l’aiment tous et qu’ils le comprennent tous », confie-t-il au New York Times.
Pendant trois années, Damon Lindelof accepte les insultes, les menaces, il va même jusqu’à retweeter les plus extrêmes, comme le célèbre « vous avez gâché six ans de ma vie« . Jusqu’à cette année, sa biographie Twitter indiquait : « je suis un des idiots qui a fait Lost. Et non, je ne comprends pas non plus la série ». « Les tweets étaient insupportables« , confie sa femme, Heidi Fugeman Lindelof, « il se flagellait tous les soirs. »
Jusqu’à ce dimanche soir de septembre 2013, lorsque le dernier épisode de la série Breaking Bad est diffusé sur la chaîne câblée AMC. Admiratif du travail de Vince Gilligan et son équipe, Lindelof ose un tweet pour congratuler le programme. S’abat alors sur lui une tempête de commentaires rageurs, qui lui disent notamment que c’est « comme cela qu’on finit une série ».
Se révolter contre les haters
Désarmé par tant de haine, alors qu’il a passé une grande partie de son temps à se dévaloriser et accepter les coups de fouets sans broncher, le showrunner américain craque. Deux jours après la fin de Breaking Bad, il publie une tribune dans le Hollywood Reporter intitulée « j’en ai fini, ça suffit », dans laquelle il se compare au protagoniste Walter White :
« J’ai accepté d’écrire cet article car je suis profondément, et de manière malsaine, obsédé par la recherche de moyens de revenir sur le final de Lost et sur l’exaspérant ouragan qui a suivi. Mais ce matin ? Je suis Walter White. Arrogant. Suffisant. Egoïste. »
Une tribune poignante, dont émane une détresse aussi palpable qu’insoutenable.
« Voilà combien je suis devenu pathétique : j’utilise une opportunité d’ériger Beaking Bad au Panthéon des meilleures séries pour me plaindre narcissiquement des défauts de mon propre travail. Mon dieu, je me déteste. Mais n’est-ce pas ce que vous attendez de moi? Ce n’est pas ce que je suis obligé de faire ? Est-ce qu’il m’est possible de faire un commentaire sur quelque chose que j’aime sans devoir obligatoirement faire un clin d’œil vers le public en disant ‘mais en même temps qu’est-ce que j’en sais, après tout, j’ai gâché Lost !’ ? (…) Je suis dégouté de moi-même pour avoir continué de jouer ce jeu. »
Joignant le geste à la parole, Lindelof désactive son compte Twitter quelques jours plus tard. « Les alcooliques sont assez intelligents pour ne pas mettre les pieds dans un bar« , confie-t-il dans sa tribune. « Mon bar, c’est Twitter. »
Retour au calme et vœu de silence
Mais le jour de son départ du réseau social ne doit rien au hasard : il choisit le 14 octobre, une date au centre de la nouvelle série sur laquelle il travaille pour HBO, The Leftovers. Dans le programme, qui a débuté le 29 juin 2014 outre Atlantique, adapté d’un roman de Tom Perrotta, 2% de la population disparaît soudainement un 14 octobre.
« On était assis avec les scénaristes de The Leftovers, et je trouvais que Twitter commençait à me consumer de manière malsaine. Quelqu’un a dit ‘le 14 octobre, c’est dans deux jours ! Tu devrais en profiter’ », a-t-il expliqué au site Entertainment Weekly.
Enfin libéré de toute pression, Damon Lindelof trouve en The Leftovers une parfaite échappatoire : une série qu’il s’acharne à présenter, au détour de plusieurs interviews, comme un programme dont le mystère ne sera pas résolu à la fin. Plus libre de ses mouvements sur la chaîne câblée HBO, l’Américain revit après avoir enchaîné les « petits boulots » en tant que scénariste-assistant sur des grandes productions comme World War Z (2013) ou des plus grandes responsabilités en tant que producteur sur Star Trek (2009) et Star Trek Into Darkness (2013).
Revenu à ses premières amours, Lindelof n’a qu’une idée en tête : ne pas reproduire les erreurs du passé. Il a ainsi décidé de ne plus s’exprimer pendant la diffusion de The Leftovers, pour ne pas risquer d’influencer les fans comme l’a fait Nic Pizzolato avec sa géniale True Detective.
« Ça m’a vraiment embêté qu’il dise, alors que j’étais en train de regarder la série, ‘vous êtes en train de vous investir beaucoup trop dans cette histoire de Yellow King’. C’était comme si à une fête d’anniversaire d’enfant, vous donnez du gâteau et des sodas aux gosses, et ensuite vous les engueulez parce qu’ils s’éclatent dans le château gonflable« , raconte-t-il sur Hitflix. Un vœu de silence ambitieux qui devient ainsi, pour ce bavard de nature, un nouveau défi à surmonter.
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