La mini-série revient en dix épisodes sur l’un des plus terrifiants serial killer des États-Unis, le cannibale de Milwaukee.
Tout commence par une mauvaise odeur. Ou plutôt une puanteur atroce, qui suinte par les conduits de ventilation d’un immeuble miteux du Wisconsin et fait tourner la tête des voisin·es de ce jeune homme discret, silhouette fine mais sculptée, mèche blonde plaquée sur le front et lunettes de pilote encadrant les yeux tristes.
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Arrêté après qu’un garçon s’est échappé de chez lui pour prévenir la police d’une tentative de meurtre, il répond calmement aux questions d’inspecteurs abasourdis par l’ampleur de ses crimes.
L’itinéraire macabre d’un serial killer
Entre 1978 et 1991, Jeffrey Dahmer aura assassiné dix-sept jeunes hommes, pour la plupart homosexuels et issus de la communauté afro-américaine. Surnommé “le cannibale de Milwaukee” par la presse, il draguait ses victimes ou les attirait chez lui moyennant une contrepartie financière, avant de les droguer et de se livrer à des viols, démembrements et actes de cannibalisme sur leurs cadavres, dont il conservait des fragments comme un collectionneur. Condamné à de multiples peines de prison à perpétuité, il finira par être battu à mort par un codétenu.
Trois longs métrages ont jusqu’ici été consacrés au tueur, dont l’itinéraire macabre est cette fois déplié en série. À la barre, le stakhanoviste Ryan Murphy, avec son compagnon de route Ian Brennan (Glee, Scream Queens). S’il avait déjà convoqué Dahmer dans un épisode de la saison 5 d’American Horror Story, il en confie cette fois le rôle à son acteur fétiche Evan Peters, transformiste habitué à se glisser dans la peau des monstres.
Surfant sur la popularité des true crimes et l’omniprésence de la figure du serial killer dans la création contemporaine, la mini-série s’est imposée comme l’un des succès de la rentrée pour la plateforme de vidéo à la demande, tout en catalysant le flot de commentaires et de critiques habituellement dévolus au genre. La récupération marchande d’une telle tragédie est-elle offensante pour les proches des victimes ? Sa fictionnalisation déjoue-t-elle l’écueil d’une fascination malsaine ou d’un racolage morbide ?
Scruter l’Amérique depuis ses angles les plus sombres
Murphy et ses collaborateur·trices abordent souvent les fractures de l’Amérique depuis ses angles les plus sombres, et en explorer les plaies par le prisme du genre. Étirant les séquences à l’extrême et éclatant la chronologie façon puzzle, Dahmer évacue tout sensationnalisme de son récit au profit d’une reconstitution méthodique du mode opératoire du tueur et d’une approche dépassionnée de son profil psychologique.
Disséminés dans son enfance, sa jeunesse ou son âge adulte et saisis dans une patine terreuse qui semble les embaumer, les fragments signifiants de la vie de Dahmer diffusent leur charge horrifique sur une durée oppressante, dont l’étirement et les jeux de répétition semblent creuser un gouffre sous les images – dans son enfance, Jeffrey avait inventé un jeu de société dont le perdant était “entraîné dans un vortex”. C’est depuis cette marge absolue, cet angle de vue impossible et paradoxalement fécond, que les artisans de Dahmer construisent leur édifice psychologique et sociologique.
Si elle aligne les motifs récurrents (et discutables) qui scandent le cheminement d’un tueur en série, la série ne les aborde que comme des paramètres, sans trancher sur leur valeur déterminante. Médicaments administrés en surdose pendant la grossesse, hobbies macabres encouragés par le père ou absence de la mère ne sont que des motifs tissés dans une trame insensés, des prises précaires qui n’en dissipent pas l’opacité.
Une réflexion sur le Mal aux implications systémiques
Et si elle met en exergue l’homosexualité contrariée du personnage, ce n’est pas tant pour la nouer aux compulsions criminelles du personnage que pour la confronter à d’autres marginalités, la faire résonner avec d’autres solitudes. Si le père et la grand-mère de Jeffrey n’ont rien décelé de ces agissements, c’est aussi parce qu’une gêne face à sa sexualité leur brûlait la rétine, quand des policiers l’ont tant de fois laissé filer en assignant ses comportements suspects à des “trucs gays”.
C’est donc en partie l’homophobie qui a empêché d’enrayer la machine de mort aux ressorts pourtant peu discrets, couplée à un racisme systémique qui a rendu la parole des victimes racisées et de leurs proches dérisoire aux oreilles de la police, plus prompte à croire “un homme blanc avec casier judiciaire qu’un jeune noir sans histoire”.
Glissant progressivement d’une trajectoire individuelle à une narration collective qui adopte le point de vue des proches ou des victimes de Jeffrey, la série gagne une ampleur émotionnelle directement intriquée à sa charge politique. En inscrivant ses crimes dans un cadre systémique et en accompagnant le plus longtemps possible les destins qu’ils ont ébranlés, Dahmer transmute la puanteur intrinsèque de son matériau narratif en une réflexion sur le Mal aux implications systémiques.
Dahmer de Ryan Murphy avec Evan Peters, disponible sur Netflix
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