En adaptant en série leur roman graphique, Frank Miller et Tom Wheeler tentent de redessiner la geste arthurienne sous un angle féminin. Embrassant sans conviction tous les attendus de la fantasy pour ados, « Cursed : la rebelle » dépouille la figure de la sorcière de sa charge émancipatrice.
On se souvient d’Excalibur, mordant la pierre à pleines dents en attendant que des mains dignes d’être roi en saisissent le pommeau, des amours adultères de Lancelot et Guenièvre, nouées d’alcôves en couloirs dans l’ombre des festins, de Merlin l’enchanteur murmurant à l’oreille des corbeaux et du roi Arthur mortellement blessé, glissant en Avalon comme on s’abandonne aux songes, fatigué des batailles, lassé des intrigues.
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La légende arthurienne, premier grand mythe de fantasy ?
À l’écran mille fois invoquées, les figures du cycle arthurien sont apparues héroïques ou grossières, animées ou réalistes, en ligne claire ou décalée. Chevaliers sans peur et sans reproche chez Richard Thorpe ou John Boorman (Les Chevaliers de la table ronde en 1953, Excalibur en 1981), sertis d’enluminures chez Rohmer (Perceval le gallois en 1978) ou soumis aux métamorphoses chez Disney (Merlin l’enchanteur en 1964), ou encore dépassés par leur propre bêtise dans Sacré Graal (1975) ou Kaamelott (2005 – 2009).
Tissée et détissée au fil des siècles, la geste Arthurienne pourrait constituer le premier grand mythe de fantasy, à partir duquel se sont sédimentés les canons du genre et vers lequel les œuvres modernes, du Seigneur des anneaux à Game of Thrones, ne cessent de revenir, plus ou moins consciemment. Moins adaptés à notre époque, ses thèmes fondamentaux (l’amour courtois, la quête d’absolu) s’ouvrent à des variations contemporaines.
Une relecture au féminin
En adaptant à l’écran leur roman graphique paru en 2019, Frank Miller et Tom Wheeler ajoutent de nouvelles mailles à l’ouvrage et les accordent à l’air du temps, marqué par une prise en compte accrue de l’expérience et du regard féminin. C’est donc Nimue, jeune sorcière et future Dame du lac interprétée par Katherine Langord (la Hannah Baker de 13 Reasons Why), qui prend en charge le récit pour nous mener à la rencontre de ses figures légendaires. Rescapée du massacre des siens par une horde d’inquisiteurs sanguinaires, elle part à la recherche de Merlin pour lui remettre une ancienne épée, et croise en chemin un certain Arthur.
Destinée en premier lieu à un public adolescent, Cursed : la rebelle se déplie comme un récit initiatique, chevillé à la transition de son personnage vers l’âge adulte. Meurtrie par un drame originel, Nimue va peu à peu prendre conscience de sa force et de ses pouvoirs et embrasser pleinement le destin auquel elle est promise. Canevas somme toute bien dirigiste pour une fiction qui entend s’émanciper des codes du genre, mais ne cesse de les retendre sous la surface de ses apparences progressistes. Esquissé sans jamais être pleinement pris en charge, le thème de la destruction de la nature imprime au récit un vernis cosmétique, écaillé au profit de la représentation d’un fanatisme religieux caricatural et hors sol.
Un récit fantastique standardisé
Visiblement influencée par Game of Thrones dont elle oublie pourtant les ingrédients fondamentaux (soap, sexe, violence et politique), Cursed s’aligne plutôt sur le modèle défectueux de The Witcher et déroule une fantasy standardisée. Balançant entre une imagerie générique et des élans graphiques inspirés par les comics, la série échoue à donner corps à son univers et à ses visions, et dépouille la mythologie de sa part de transcendance.
Barbotant dans une intrigue prévisible, les acteurs semblent parfois évoluer dans une mauvaise télénovela, entre poses affectées et répliques déclamées sans conviction. En réduisant chaque groupe à un stéréotype brossé à gros traits (les prêtres sont cruels, les « faës » ont le cœur sur la main et les enfants rient en chantant des comptines), les scénaristes renouent avec un manichéisme et une binarité qu’ils entendaient remettre en question.
Une sorcière dépouillée de sa singularité
Plus regrettable encore est la façon dont la série s’empare de la figure de la sorcière, pourtant réhabilitée dans le sillage d’autrices féministes comme Mona Cholet. Si Nimue semble d’abord s’accorder à ses caractéristiques historiques (le personnage est persécuté pour son indépendance d’esprit et son lien privilégié avec la nature), et que sa transition de survivante à guerrière l’inscrit dans une dynamique d’empowerment réjouissante, elle ne cesse d’être guidée par des adjuvants masculins encombrants dont elle finit par servir les intérêts.
Nimue s’avère finalement être une héroïne piégée dans les rets d’une fiction jouée d’avance, soumise à des injonctions de récit et des codes de représentation attendus. Cursed présentait pourtant l’opportunité, en plongeant à la racine des mythes, non pas de les réécrire mais de les ressourcer à l’aune de questionnements et de sensibilités contemporaines, qui chargent l’expérience féminine, et particulièrement la figure de la sorcière, d’une puissance singulière.
Cursed : La Rebelle, de Frank Miller et Tom Wheeler, avec Katherine Langford, Devon Terrell, Gustaf Skarsgård… Sur Netflix.
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