Cette nouvelle saison réinvente le show en proposant des épisodes plus autonomes, embrassant des thématiques variées et des personnages secondaires. On y repère pourtant trois motifs omniprésents : les rapports homme-femme, les scandales politiques et enfin l’évolution des moeurs qui se produit au tournant des années 60.
The Crown, c’est un peu la série qu’on adore sans vraiment se l’avouer, celle qu’on préfère regarder avec sa grand-mère ou, à défaut, seul, plutôt qu’avec ses amis, une série qu’on imagine à la fois obsédée par le détail historique, magnifiquement intérprétée et élégamment réalisée, mais en même temps, un poil ronflante et complètement hermétique au contemporain.
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La première saison, sublime de classicisme et de raffinement à tous les niveaux, fut justement récompensée par deux Golden Globes, dont celui de meilleure actrice dans une série dramatique pour Claire Foy. Il faut dire que ce premier exercice était tout entier bâti autour de sa performance et du récit de l’accession au trône d’Elizabeth II. Cette seconde saison devait donc être celle de la continuité, avant le changement de casting complet prévu pour les deux prochaines saisons. Mais force est de constater que The Crown saison 2 surprend en réinventant son mode de narration et en se révélant assez actuelle dans son discours sur la politique et sur les rapports femme-homme.
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Des épisodes thématiques
Si la saison 1 fait figure de colonne vertébrale du récit, cette saison 2, bien qu’elle soit le théâtre d’une progression dans le temps, se vit plus comme une extension de la première saison. A la continuité et au récit patiemment choral de la première saison se substitue une narration morcelée, faite de sauts dans le temps et d’épisodes thématiques assez autonomes. On peut même dégager une typologie d’épisodes dans cette nouvelle saison. D’abord, ceux centrés sur un personnage en particulier : le 2 et 9 pour Philip, 4 et 7 pour Margaret, soit les épisodes de « crise historique ». Le premier traite de la crise du Canal de Suez, le cinquième de la crise médiatique déclenchée par Lord Altrincham en 1957, le sixième du lien entre le Duke de Windsor et le pouvoir nazi, et le dixième de l’Affaire Profumo en 1964. Et d’autre part, les épisodes dits de « crise conjugale » : l’épisode 3 entre Elizabeth et Philip et l’épisode 8 entre Jackie et John F. Kennedy. Ce récit plus déstructuré, où s’enroule l’intime et le collectif, associé à une très grande variété de lieux (Royaume-Uni, Egypte, Ghana, Portugal, Allemagne, Australie et Tonga) donnent à cette saison une plus grande hétérogénéité en même temps qu’une étonnante souplesse.
Dure vie de couple
Cette nouvelle saison n’est presque qu’une histoire de déboires matrimoniaux, et en premier lieu ceux du mariage royal. Eloignés pour une durée de cinq mois dès le début de la saison, Elisabeth et Philip sont en pleine crise. Elle aimerait qu’il assume son rôle de père tandis qu’il voudrait recevoir plus de considération de la part de la cour. Si la reine trouvera une solution en octroyant à son mari le titre royal de prince, synonyme d’une plus grande égalité entre les époux, il découle de cette crise plusieurs autres affaires qui ne cessent de mettre en lumière les mensonges permanents de maris pour qui tromper leur femme semble être une banalité. A travers le combat d’une épouse pour faire reconnaître l’adultère dont elle a été victime et ainsi avoir le droit d’entamer une procédure de divorce, cette saison dresse un constat de la condition de la femme à cette époque. Véritable critique d’un manhood hérité de la première moitié du XXe siècle, elle entre évidemment en résonance avec le séisme Weinstein et ses multiples répliques. Même Jackie et John F. Kennedy, couple glamour et mythique s’il en est, en prennent pour leur grade.
L’impunité des puissants
Si The Crown n’est évidemment pas une série à charge contre la famille royale d’Angleterre, elle n’en reste pas moins critique avec ses travers. De l’incapacité de l’administration de la Reine à comprendre les évolutions sociétales aux liens obscurs qu’entretenait Edouard VIII avec Hitler en passant par le scandale de l’affaire Profumo et l’impérialisme arrogant qui se dégage de la crise du Canal de Suez, la série n’est à aucun moment complaisante avec le pouvoir politique ou royal. Au contraire, elle démonte avec intelligence et subtilité ses rouages et son ancestrale sentiment d’impunité – sentiment qui va d’ailleurs bien souvent de pair avec la toute puissance du mâle évoquée plus haut.
Encore plus que dans la première saison, la presse y joue un rôle à part entière, coupeuse de tête pour le meilleur – avant que cela ne soit pour la pire au moment où Lady Di entrera en scène, sans doute, dès la saison 4. Cette mise en scène de l’impunité des puissants renforce encore la portée contemporaine du show qui se permet aussi une allusion #Brexit à l’entrée compliquée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne.
Summer of love ?
On attendait également la série sur le terrain des révolutions culturo-sexuelles qui s’amorcent dès le début des années 60. Si on y apprend que John F. Kennedy se droguait pour tenir le coup et que la reine cède à la modernité en donnant dorénavant ses discours de Noël à la télévision, on est loin du Summer of love et c’est encore une fois Margaret qui centralise le souffle érotique et rebelle de la série.
Bien que The Crown reste marquée par une pudeur so british, la princesse s’adonne dans cette saison à une relation teintée de masochisme avec un photographe ouvertement bisexuel et libertin – relation qui s’épanouit dans un cadre qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler Blow-up d’Antonioni (1967). On reste par contre franchement sur notre faim quant au volet culturel de cette représentation de la première moitié des années 60. Nulle amorce du Swinging London, des Beatles ou des mini-jupes bariolées. Mais gageons que la saison 3 s’ouvrira sur un air des quatre garçons de Liverpool.
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