Les créateurs du « Tim & Eric Awesome Show » qui adaptent à l’écran leur série Youtube « Decker » (réservoir à GIFs et à memes), la seconde saison du dickien « Mr Robot » et sa cartographie vertigineuse du hacking, Wired qui en septembre dernier consacre un numéro spécial à « Silicon Valley »…L’année 2016 nous l’affirme : la culture internet(s) et la sphère télévisuelle forment un couple durable. L’envoûtante « Channel Zero » nous le confirmera.
La surface d’un écran est contaminée par un brouillard nauséeux. Une entité maléfique parcourt les entrailles d’une forêt. Une ombre menaçante surplombe une fillette candide. Ces images angoissantes ne proviennent pas de Videodrome, Poltergeist, de Ring, d’un survival traditionnel ou d’une fable de M. Night Shyamalan. Elles éclosent du web. Ce sont les creepypastas, stars de Channel Zero: Candle Cove, série à sensations fortes visible sur Syfy depuis le 11 octobre dernier.
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La foire aux monstres
Mais les creepypastas sont avant tout les créations hybrides du bestiaire internet. Creepy pour « effrayant », « pasta » pour copy-paste : copier/coller. C’est sur 4chan qu’apparaît en 2008 le concept, illustré au fil des threads Reddit et des Wikis. Le site web creepypasta.com collecte nombre de légendes urbaines, ou plutôt, virtuelles, dont celle de Candle Cove, histoire créée en 2009 par l’artiste graphique Kris Straub.
Tout part d’une simple discussion sur le forum NetNostalgia à propos d’une curieuse émission pour enfants, diffusée sur une chaîne locale au cours des années 70 et intitulée The Candle Cove ». Les internautes disent se souvenir du grand méchant de cette émission, Pirate Percy, surnommé « le preneur de peau », corsaire squelettique aux mouvements frénétiques, et source de cauchemars infantiles. Le show en lui-même serait une accumulation de topos du cinéma d’épouvante, somme de poupées démembrées, de cris retentissants et de marionnettes agitées.
Evidemment, rien dans ce récit n’est vrai. Héritier numérique des feuilletons radiophoniques d’antan, les creepypasta prennent la forme de textes habilement narrés, de fichiers sonores, de vidéos et de montages photographiques. La peur éclot autant des logiciels que de l’imagination, de la viralité que de la crédulité. Plus intéressantes que les screamers (ces jump-scares produits en masse par des amateurs sur la toile) les légendes urbaines conçues et développées par les internautes participent à la démocratisation du « hoax » (le canular numérique) et en dévoilent la facette morbide. Elles ont trait aux croquemitaines (le fameux Slender Man), aux objets mystérieux, au spiritisme, aux meurtres en série, aux Aliens, à la mimesis (l’adage « tiré d’une histoire vraie »), au cannibalisme.
https://www.youtube.com/watch?v=SQFZRmh7Rd4
La force de cet imaginaire, c’est de conférer du poids non pas à ce qui est vu, mais à ce qui est caché. En témoigne The Scariest Picture on the Internet (REAL), vidéo Youtube devenue célèbre non pas par son contenu – celui d’un jeu de simulation de dating plutôt cheap – mais parce que son instigatrice anonyme… se serait donné la mort juste après sa mise en ligne. Mais le creeypasta est également un parasite, investissant de part et d’autre la culture populaire.
Enfance et modernité
L’exemple le plus connu, Suicide Mouse ne présente rien d’autre que quelques secondes crépitantes d’animation, prétendument datées des années trente, mettant en scène la déambulation d’un Mickey dépressif au sein d’un décor quasi-vierge de cartoon en noir et blanc. Un court-métrage si désarçonnant qu’il aurait déjà été coupable du suicide brutal de certaines âmes sensibles. De quoi imaginer un remake de La mort en ligne, version Youtube.
L’impact du creepypasta tient en deux mots : enfance (ici, Walt Disney) et modernité (Suicide Mouse serait un film retrouvé, c’est à dire un found-footage, au même titre que nombre d’œuvres horrifiques). Bob l’éponge et Les Simpson feront eux aussi l’objet d’un détournement lugubre. Episode perdu (et fantasmé) de la première saison, « Dead Bart » nous présenterait l’indicible : la mort tragique de Bart Simpson. Ou quand la série phare de la Fox rencontre les déviances du Deep Web.
Horreur 2.0
En juillet dernier, la disparition fantasmée de la youtubeuse-beauté britannique Marina Joyce et la théorisation excessive de ce micro-événement sur JustPaste.it le démontrait : la luminosité de notre ordinateur est l’équivalent high tech de celle des feux de bois, lueur autour desquels les enfants se rassemblaient pour se raconter des contes macabres. La série Channel Zero, fidèle à l’histoire originelle, relie cet imaginaire au pouvoir psychique des images. Le synopsis nous colle aux pas d’un psychologue pour enfants, fraîchement débarqué dans une petite bourgade afin d’enquêter sur la disparition mystérieuse de mômes trente ans plus tôt. Tout cela n’aurait-il pas un lien direct avec une chaîne de télévision aux ondes néfastes ?
S’il puise son suc du web communautaire, ce divertissement nous renvoie autant à l’inquiétante étrangeté d’un John Carpenter (Fog, L’Antre de la folie, et surtout Halloween 3: le sang du sorcier que le cinéaste a coproduit), au Freddy Krueger des Griffes de la Nuit et au Ça de Stephen King qu’aux néo-slashers référentiels des années 90 (Souviens-toi l’été dernier, Urban Legend).
En 1999, les malicieux concepteurs du Projet Blair Witch démontraient le pouvoir de la blogosphère, plateforme permettant de se jouer des fantasmes et des flips d’une large audience – en l’occurrence, se faire passer pour mort sur son site afin de promouvoir son film. Si elle évoque de par son titre l’un des fleurons du jeu vidéo d’épouvante (Project Zero et son appareil photo détectant les ectoplasmes), la production Syfy prolonge surtout ce qu’Unfriended semblait achever à force webcams éparses et discussions instantanées l’an dernier : l’intégration durable des pratiques, des codes et des modes de communication connectés dans la grammaire du cinéma d’horreur post-Rec. Une intention durable. Il y a quelques mois seulement, le buzzesque JeruZalem voulait nous effrayer grâce aux Google Glass…
Alors que la politique du « bouh, fais-moi peur ! » est depuis belle lurette devenue une règle d’or des forums, Syfy saura-t-elle se dédouaner partiellement d’un héritage purement télévisuel, s’étendant de La quatrième dimension à American Horror Story, pour théoriser une véritable terreur 2.0 ?
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