Dans Counterpart, un sexagénaire se découvre un double dans un univers parallèle. Un alliage très réussi entre intrigue criminelle, rivalité amoureuse et réflexion sur le trouble gémellaire.
Alors qu’il présentait récemment à la presse américaine les nouveautés de sa chaîne pour les mois à venir, le président de FX, John Landgraf, surnommé dans le milieu le “maire de la télévision”, a sorti comme il le fait depuis quelques années ses chiffres fraîchement récoltés sur le nombre de séries produites annuellement à Hollywood. Le total, pour 2017, a approché les 500 – oui, un demi-millier. Pour mémoire, moins de 200 séries étaient produites à la fin des années 2000.
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https://youtu.be/c3Bu2DOM66g
De quoi laisser pantois les amateurs autrefois certains de détenir un secret magnifique qu’ils ne partageaient pas. Cette profusion de contenus, nommée “Peak TV” – la télé arrivée à son pic de production –, pose maintenant de manière plus radicale l’éternelle question du choix. S’il n’a jamais été possible de tout voir, se construire une sériephilie contemporaine sans trous majeurs semblait possible il y a ne serait-ce qu’une décennie, avec un peu de persévérance et de curiosité.
“Counterpart” s’impose comme un outsider sérieux
Ce temps-là est révolu. La réalité suppose de naviguer dans une jungle d’où l’on essaiera de tirer ce qui peut nous animer. En ce début d’année, The Chi, Mosaic et The End of the F***ing World ont tiré leur épingle du jeu, tandis que Counterpart s’impose comme un outsider sérieux. Cette vraie surprise, qui semblait faire partie de la longue liste des nouveautés à “tester” sans enjeu particulier, démontre que la curiosité basique a encore du sens.
Rendue possible par la chaîne Starz (dirigée par l’ancien cerveau de HBO à l’époque de son âge d’or, Chris Albrecht), la série traverse plusieurs genres. Elle peut être vue à la fois comme un simple drame d’espionnage situé à Berlin, mais aussi comme un récit de science-fiction asséché, voire comme une fable politique sur la liberté et l’Etat.
Pour entrer dans Counterpart, un seul visage ne suffit pas. Ou alors celui, dédoublé, de l’acteur J. K. Simmons. Découvert dans Oz (il incarnait un nazi mémorable) puis oscarisé avec Whiplash, le sexagénaire incarne un employé de bureau plutôt banal, Howard Silk, qui rend visite tous les soirs à sa femme à l’hôpital, avant de découvrir qu’une autre vie est possible.
Une version un peu plus virilisée de lui-même, plus abrupte
Littéralement, puisqu’il rencontre son double, une version un peu plus virilisée de lui-même, plus abrupte, qui évolue dans un univers parallèle. Ils ont vécu la même enfance, la même adolescence, jusqu’à une date historique où une faille s’est ouverte. Leurs vies, depuis, se sont dédoublées, même s’ils ont vieilli au même rythme. Ce sont des sosies, mais ils ne se connaissent pas. Entre eux, une relation naît, bientôt enrichie d’un enjeu amoureux.
La série bascule alors dans une étrange atmosphère de secret et de malaise, avec une histoire de meurtres à la clé. Une jeune femme, elle aussi en contact avec son double d’un autre monde, est recherchée par la police pour des assassinats.
Quelque chose de poisseux et dangereux s’installe, dans une veine bien différente d’autres grandes séries utilisant des figures gémellaires diffusées depuis un an, The Leftovers et Twin Peaks. Ici, la part du quotidien est plus forte. Howard représente un héros banal traversant le réel avec bonhomie. Counterpart est ancrée dans ses émotions simples.
Un homme ordinaire confronté à l’extraordinaire
Dès les deux premiers épisodes – les seuls que nous ayons pu voir avant d’écrire ces lignes –, une tension s’installe entre la complexité vertigineuse du pitch, la manière dont la série voyage sans cesse entre deux réalités à la fois proches et distinctes, et le point de vue d’un homme ordinaire confronté à l’extraordinaire.
Difficile de mesurer si la tentation du spectaculaire, assez facile à embrasser dans ce contexte, va emporter la fiction dans des terres un peu plus prévisibles. Mais pour son entrée dans nos vies, Counterpart réussit assez brillamment son coup. Elle évoque à la fois un bijou d’espionnage mélancolique comme Rubicon, sa petite sœur pop Alias, et une touche de trouble identitaire profond tel qu’a pu l’explorer Mad Men. Un étrange mélange dont le créateur Justin Marks – connu principalement pour le reboot du Livre de la jungle ! – est responsable grâce à une écriture à la fois ample et intime. Un de nos chouchous de l’année, déjà ?
Counterpart Le lundi, 20 h 40, OCS Max. Disponible en replay
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