Mini-série adaptée du premier roman de Sally Rooney, “Conversation with Friends” scrute les amours plurielles de ses personnages à travers une histoire d’adultère un peu commune, mais pas dénuée de charmes.
En seulement trois romans, l’Irlandaise Sally Rooney, 31 ans, s’est imposée comme une autrice générationnelle, portraitiste méticuleuse des affres sentimentales et existentielles de jeunes adultes. En 2020, l’adaptation en série de son best-seller Normal People parvenait à transformer sa prose précise et retorse en un petit bijou télévisuel, chronique douce-amère de la relation longtemps contrariée entre deux amoureux·euses inadapté·es, du lycée à l’université.
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Il n’est plus question de Marianne et Connell dans Conversations with Friends, mais de Frances (Alison Oliver) et Bobbi (Sasha Lane), deux amies inséparables, qui furent autrefois amantes. Frances est secrète, cérébrale, sensible et observatrice. Bobbi est sûre d’elle, magnétique, impétueuse et sans fard. Au lycée, elles ont vécu une histoire d’amour (qu’on devine intense), mais sont parvenues à rester meilleures amies après leur rupture (qu’on devine pas simple). Depuis étudiantes à Dublin, elles se produisent régulièrement sur la scène d’un club artistique branché pour déclamer les poèmes féministes que compose Frances. C’est lors d’une de ces représentations qu’elle font la connaissance de Melissa (Jemima Kirke) et de son mari et acteur Nick (Joe Alwyn). Alors que Melissa et Bobbi flirtent ouvertement, Frances et Nick entament une liaison intense, qu’ils tenteront de tenir secrète.
Chronique d’une liaison extra-conjugale
De ce losange amoureux, il n’est finalement question qu’un bref instant. D’abord, parce que Melissa est moins attirée par Bobbi que par l’image un peu contrefaite de romancière sulfureuse qu’elle aimerait se faire d’elle-même. Ensuite, parce que la série est un trompe-l’œil, et se focalise principalement sur Frances. Loin du manège sentimental à quatre qu’on pressentait, Conversations with Friends est finalement la chronique d’une liaison extra-conjugale, et d’une amitié mise à l’épreuve des secrets. Déclinée en une galerie de scènes qui se répètent et se ressemblent, la relation entre Frances et Nick, de leur premier baiser à l’éclosion de leur amour, semble sans cesse reboucler sur elle-même, et chacune de leurs retrouvailles paraissent déchargées de l’intensité de la dernière, comme si l’amour disparaissait quand ils n’étaient pas ensemble, pour ne laisser place à rien d’autre que la souffrance.
Pourtant, c’est paradoxalement dans ces scènes tant de fois répétées qu’elles finissent par devenir indistinctes, que la série puise son étrange beauté. Comme un motif, la série multiplie les scènes d’errances de Frances, ses trajets en trains vers et depuis chez Nick, ses va et vient sous le ciel invariablement gris de Dublin… On la voit sans cesse saisir son téléphone à l’affût d’un message qui ne vient pas, écrire le début d’un texto qu’elle n’enverra jamais, ou simplement être là, seule dans le désordre du monde, le visage contrit, les yeux chargés de larmes invisibles, à attendre quelque chose qui n’arrivera jamais vraiment.
Fragments du sentiment amoureux
C’est que l’histoire d’amour entre Frances et Nick est impossible, mais pas pour les raisons qu’on pourrait croire. C’est moins les obstacles avérés de leur liaison que leur propre incapacité à être vraiment à l’autre qui cloisonne leur horizon. En ceci, Conversations with Friends ressemble beaucoup à Normal People, dont le sujet central était l’incapacité de communiquer de ses deux amants, et les malentendus existentiels qui en découlaient, capables de faire s’effondrer la plus belle des histoires d’amour. On se gardera toutefois de comparer la relation de Marianne et Connell avec celle de Frances et Nick, tant la première nous a bouleversé et la seconde paru trop illisible (la faute, en partie, au personnage de Nick), mais les deux séries cultivent cette idée de l’amour comme une impasse dès lors que les silences suggèrent plus que les mots ne disent.
Finalement, et c’est peut-être là que la série voulait nous emmener, c’est la relation entre Frances et Bobbi qui sauve l’amour. Mis à mal par les non-dits de Frances, vicié par une rupture pas entièrement cicatrisée, leur histoire surmonte toutes les épreuves, et toutes deux trouvent les mots, par mails interposés ou conversations déliées, pour se dire véritablement les choses.
Sans être à la hauteur de Normal People (c’était beaucoup demander), et en dépit de son histoire d’adultère un peu commune et tirée en longueur, Conversation with Friends parvient à saisir avec justesse la complexité et la versatilité du sentiment amoureux. Portée par un casting au diapason et rivée à une mise élégamment minimaliste, la série nous plonge dans une torpeur languide où amour et souffrance souvent s’avoisinent, mais où la tendresse et l’empathie triomphent toujours.
Conversations with Friends, actuellement sur Canal+
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