Channing Tatum. Joseph Gordon-Levitt. Série de propagande communiste. Parodie. Film policier roumain des 80’s. Monopoly. Nous avons trouvé la série OVNI de l’été.
2017. Dans une salle de cinéma vide, l’acteur Channing Tatum accompagné du journaliste et écrivain Jon Ronson (Les Chèvres du Pentagone) présentent aux téléspectateurs, avec un ton particulièrement solennel, une mystérieuse série télévisée roumaine des années 80 intitulée Comrade Detective. Un programme culte en Roumanie que décrit Ronson comme « produit et financé par le gouvernement du pays non seulement pour divertir les téléspectateurs mais pour célébrer et promouvoir l’idéal communiste. » L’écrivain conclut, fièrement : « Après un voyage de deux décennies sur quatre continents, des centaines de problèmes et la coopération de cinq gouvernements internationaux, nous avons finalement retrouvé et restauré les copies originales et nous les avons doublées ».
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Nous voici alors plongé dans cette série roumaine dont nous ignorions totalement l’existence jusqu’ici… Sauf que tout ça est bidon : Comrade Detective n’est pas une vraie série oubliée de l’Europe de l’Est. Le projet est en réalité une série d’Amazon parodiant un programme télévisuel policier roumain des années 80. Créée par Brian Gatewood et Alessandro Tanaka, Comrade Detective a été tournée en Roumanie avec un casting local puis dans un second temps doublé par un casting US constitué notamment de Channing Tatum, Joseph Gordon-Levitt, Chloë Sevigny, Jake Johnson, Nick Offerman, Kim Basinger et Mark Duplass. Vous suivez ? Derrière ce concept génialement original, que vaut vraiment cette nouvelle série disponible depuis le 4 août dernier sur Amazon Prime (et qui, pour l’instant, passe complètement inaperçue en France).
https://www.youtube.com/watch?v=6NRKyqhwdxI
Un OVNI mi-drôle mi-sérieux
Après cette courte introduction, un générique eighties en « VO » apparaît. Hyper classe, la séquence mêle des images au ralenti d’un homme marchant dans les rues délabrées de Bucarest une clope au bec sur de la pop roumaine (Grup Stereo des Plopi impari). Notre culture en série télé du bloc soviétique des 80’s laisse peut-être à désirer mais, dès les premières secondes, on s’y croirait. Si l’on rit au kitchissime de cette scène, l’esthétique particulièrement soignée – et finalement très premier degré – nous laisse espérer que Comrade Detective ne va pas simplement être un interminable gag étalé sur six épisodes de 40 minutes.
L’homme à la clope, c’est Gregor Anghel (incarné par Florin Piersic Jr et doublé par Channing Tatum) vieux briscard de la police de Bucarest, un brin alcoolo, qui lors d’une opération est témoin de l’assassinat de son partenaire par un homme portant un masque de… Ronald Reagan. Bouleversé par son décès, Anghel se met alors à la recherche du meurtrier avec l’aide d’un nouveau collègue, Iosif Baciu (incarné par Corneliu Ulici et doublé par Joseph Gordon-Levitt,). Mais alors que l’enquête progresse, le duo découvre l’existence d’un complot capitaliste mené par des Américains et visant à détruire le pays. Mixant avec habilité les schémas du buddy cop movie et du film d’espionnage, Comrade Detective confirme assez vite ce que laissait présager le générique : l’aspect parodique et comique du programme ne prendra jamais le dessus sur son intrigue (les acteurs ne jouent jamais sur un registre comique). De même, la photographie et la bande-originale – extrêmement soignées – révèlent toute la mélancolie et la noirceur de Bucarest. Entre teintes orangées et verdâtres, certains plans évoquent même tout un pan du cinéma d’auteur européen, de Nuri Bilge Ceylan à Cristian Mungiu.
Pour toutes ces raisons, on oublie vite le ridicule doublage anglais et on se laisse entraîner avec ces deux flics attachants dans cette enquête policière qui, si elle ne brille pas par son originalité, se révèle suffisamment efficace pour nous tenir en haleine. Sensation assez rare, le spectateur se retrouve face à un objet non calibré, un ovni, où il se demande s’il doit rire ou pas, si tout ça est sérieux ou non. Et rien que pour cette ambiguïté de ton, Comrade Detective vaut le détour.
Monopoly, pepsi et jeans : une propagande inversée
De Rocky 4 à Rambo 3, la représentation de la Guerre Froide au cinéma s’est construite dans notre imaginaire le plus souvent (pour ne pas dire exclusivement) du point de vue étasunien. Mais en plaçant son récit à Bucarest en 1983, Comrade Detective nous livre une image inversée : matérialistes abrutis, avide d’argent et bling-bling, ce sont maintenant les Américains les « méchants ». Les protagonistes parlent de New York comme de la « capitale mondiale du kidnapping, du viol et du meurtre ». Le tueur recherché, un fervent défenseur de l’American way of life, devient par métonymie le symbole de toute l’Amérique. Le mal devient alors le capitalisme.
Cette posture osée – d’autant plus qu’elle émane d’une production américaine en pleine ère Trump – devient alors le lieu d’une critique très actuelle, à la fois drôle et grinçante du soft power, de la culture pop comme comme outil d’idéologique (Pepsi, jeans) et du puritanisme. Lors d’une scène particulièrement réussie, le duo de policiers découvrent ahuris une boite de Monopoly puis apprennent, consternés, les règles du jeu : acheter des propriétés pour se faire le plus d’argent possible. En même temps que les personnages, on en vient à réaliser que, caché derrière son innocence de divertissement, ce jeu est effectivement l’incarnation même de la propagande du modèle capitaliste. Un peu plus tard, Comrade Detective offre un détournement très amusant d’un épisode de la première saison de True Detective dans lequel Rust (Matthew McConaughey) découvrait une cassette vidéo montrant un rituel morbide où des hommes sacrifient une fillette. Sauf qu’ici la vidéo du rituel est remplacée par une jeune fille se trémoussant face caméra en tenue de pop pom girl. Le flic roumain regarde ces images avec le même visage horrifié que celui de Matthew McConaughey dans la série de HBO.
Fun et pertinent
Pour autant, Comrade Detective ne s’enfonce pas dans une apologie du bloc soviétique. Censée être un film de propagande communiste, la série n’oublie pas de glisser un constat très ironique sur la Roumanie. Notamment l’aveuglement et l’idéalisme de ses habitants quant au système économique et politique. Lorsque Gregor Anghel commence à péter les plombs dans une scène, son collègue tente de le calmer « Quand je m’énerve, je me dit : Qu’est-ce qu’aurai fait Lénine à ma place ? ». Plus qu’une série parodique, Comrade Detective s’interroge sur le rôle de la propagande, qu’elle soit de l’Ouest ou d’Est, capitaliste ou communiste, celle que l’on vit de manière insidieuse encore aujourd’hui.
Si le tout n’est pas parfait (après un début efficace, la série souffre notamment d’un coup de mou général durant l’épisode 3 et 4 ), Comrade Detective est à la fois fun et pertinent mais surtout laisse l’impression de n’avoir jamais vu ça. D’ailleurs, Chaning Tatum et Jon Ronson le disent dans l’intro d’un épisode, Stanley Kubrick était un immense fan de la série…
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