Même en Amérique, les meilleurs créateurs ne sont pas toujours des rois. La preuve avec la mésaventure de Dan Harmon, patron de Community, viré de sa propre série.
C’est une de ces histoires tristes qui balaient le mythe parfois si bien entretenu de la toute-puissance du créateur de série américain. Une de ces histoires tristes que les scénaristes français apprennent avec stupéfaction et un brin de satisfaction, car ils se sentent moins seuls. Un vendredi soir du mois de mai, le créateur et showrunner de l’hilarante sitcom Community ouvrait son téléphone en atterrissant à Los Angeles, surfait sur les sites d’info, et apprenait son limogeage immédiat. En vacances, Dan Harmon. Du jour au lendemain. Cela, à peine quelques semaines après que la chaîne NBC et Sony Pictures Television aient annoncé que la série, en mal d’audience, se voyait pourtant offrir une dernière saison de treize épisodes.
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On imaginait Community, bardée de ses références pop et de son idéal du partage, mourir de sa belle mort en terminant sa course l’année prochaine de manière cohérente. Si elle n’a jamais soulevé les foules (trop expérimentale ?), la série a su fidéliser un public captif lors de ses trois premières saisons, comme avant elle quelques autres perles fragiles, notamment Chuck. Si le mot “culte” est désormais trop galvaudé pour être utilisé sans réserve, il s’applique à ce que fut la série de Dan Harmon avant cette explosion en plein vol.
Prenant tout le monde de court, la nouvelle a provoqué des milliers de réactions sur internet, dont la plus intéressante a été celle du créateur lui-même, sur son tumblr (Danharmon.tumblr.com) joliment baptisé “Dan Harmon poops” (“Dan Harmon fait caca”, oui). Dans une missive à la fois longue, drôle et amère, au titre évocateur (“Est-ce que j’ai raté un truc ?”), le presque sosie de Judd Apatow a tenu à mettre les choses au point en racontant sa version des faits. “Pourquoi Sony veut mon départ ? Je ne peux pas répondre à la question puisque j’ai eu autant de contacts avec eux que vous en avez eu vous-mêmes (…). Quant à Bob Greenblatt (patron de NBC – ndlr), il a expliqué que je serai toujours impliqué d’une manière ou d’une autre la saison prochaine (…). Ce n’est pas la bonne citation. Je crois qu’en fait il voulait dire qu’il adore les cookies, parce qu’il ne m’a jamais appelé.”
Eclairant avec un vrai sens du détail le fonctionnement très hiérarchisé d’une série, Harmon évoque ensuite la possibilité légale pour lui de rester en tant que consultant. “Si je choisissais de pointer au bureau, je n’aurais aucun pouvoir. Personne ne ferait ce que je dis. Jamais. Je donnerais mon avis sur les scénarios sans pouvoir les réécrire (…) je n’aurais pas le droit de faire remarquer que je trouve une blague drôle ou pas drôle, je n’aurais aucun accès à la salle de montage . Ce n’est pas vraiment la manière dont les épisodes précédents ont été fabriqués. J’étais un producteur très impliqué (…). Le contrat que j’ai signé m’offre le même salaire et le même titre si je passe mes journées chez moi à me masturber et à jouer à Prototype 2 (…). C’est un jeu génial, Prototype 2.”
La vie de showrunner est donc parfois une vie de chien – très bien payée, quand même. Mais si Hollywood regorge d’histoires de lutte en coulisses, il est rare qu’elles éclatent au grand jour comme l’affaire Community. Dan Harmon a eu la (relative) malchance de créer une série sur une grande chaîne hertzienne, un univers “corporate” impitoyable. Sur le câble, en revanche, le statut de showrunner a pris ces dernières années une ampleur inédite. Matthew Weiner, boss de Mad Men, a survécu à une énorme crise entre les saisons 4 et 5, engageant un bras de fer avec la chaîne AMC comme avec le studio de production Lionsgate jusqu’à obtenir de faire exactement la série qu’il souhaitait, à quelques menus détails près. Un autre monde.
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