La série de Luca Guadagnino (Call Me by Your Name) chronique une amitié fusionnelle pour mieux ausculter l’adolescence hors des conventions genrées dominantes, et l’éprouver à la rugosité du monde des adultes.
C’est l’histoire d’une amitié fusionnelle, celle qui unit Fraser et Caitlin, deux adolescent·es américain·es vivant avec leurs familles sur une base militaire en Italie et que tout le monde croit en couple. Le premier est une fashion victim new-yorkaise au caractère imprévisible. Il ne sait pas encore s’il aime les filles ou les garçons. Charismatique et secrète, la seconde se pose des questions sur son identité de genre. Il ne se reconnaît pas dans les codes de la masculinité, elle tente de performer ceux de la virilité. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est son rire, cristallin à en briser les vitres. Et chez elle, son regard perçant, qui semble traverser les êtres qui le soutiennent. Le temps d’un été hédoniste puis d’un automne rongé par le drame, il·elles explorent leurs désirs en marge des conventions genrées dominantes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Intégralement mise en scène par Luca Guadagnino, qui en signe le scénario avec Francesca Manieri et Paolo Giordano, We Are Who We Are s’inscrit dans la veine initiatique défrichée par Call Me by Your Name (2017) et garde du remake de Suspiria (2018) l’attention portée aux circulations affectives qui meuvent les groupes d’adolescent·es.
Une recréation d’une Amérique miniature sur la côte adriatique
Le choix d’inscrire cette coming-of-age story dans le creuset d’une base militaire donne le ton d’une série tout en oppositions : en se frottant à la rigidité d’une institution conservatrice, les vibrations de la jeunesse n’en apparaissent que plus sensibles et indociles.
S’il apparaît d’abord comme une réduction théorique du monde des adultes, l’appareil militaire déploie un caractère ludique au contact des personnages. Recréation d’une Amérique miniature sur les côtes de l’Adriatique, avec son lycée, son cinéma, son supermarché et son espace de restauration dominé par un KFC, il devient le lieu d’une récréation permanente, dont chaque élément – terrain d’entraînement, statue austère – mérite d’être détourné.
Le cercle des adultes et celui des ados s’ouvrent à des vibrations communes
L’inattendu fleurit à l’ombre des uniformes, comme quand Fraser entre par erreur dans un vestiaire collectif rempli de soldats nus et se fige à la vision de la bite de Jonathan (Tom Mercier), ou que sa mère, commandante austère de la base (Chloë Sevigny), se met à nu pour changer de tenue au beau milieu d’une réunion de crise.
A ce titre, le cercle des adultes et celui des ados ne sont pas imperméables et s’ouvrent à des vibrations communes, qu’elles soient conflictuelles (les deux héros·oïnes ont un rapport pour le moins houleux avec leurs parents) ou nourricières (Fraser questionne ses préférences sexuelles au contact de Jonathan et de sa copine, quand le père de Caitlin tempère le regard autoritaire qu’il porte sur sa fille).
Guadagnino, pas toujours fin, touche souvent juste
Refusant de titrer les épisodes ou de leur apposer un générique, Guadagnino trouble l’approche naturaliste de son récit par des suspensions esthétiques (scènes au ralenti, inserts photographiques) et s’efforce de donner à l’ensemble un cachet cinématographique qui lui confère un rythme inégal, parfois poseur. La série fonctionne mieux en s’abandonnant au tempo flottant de ses personnages qu’à la pulsation volontariste de celui qui les met en scène.
Si Guadagnino n’est pas toujours très fin, il faut reconnaître qu’il touche souvent juste, parvenant à capturer non pas l’essence mais l’écume de l’adolescence, ce qui bouillonne à l’intérieur des corps en transition et s’en épanche sans crier gare. La séquence de fête autour de laquelle se construit le quatrième épisode, parenthèse extatique célébrant la nuit de noces d’un camarade à peine majeur avant son départ pour l’Afghanistan, constitue le cœur émotionnel de la série, dont il conjugue l’allégresse à l’horizon tragique. Etirée à n’en plus finir, We Are Who We Are semble vouloir capturer les étincelles d’une jeunesse qui se consume, et dont l’écume luminescente finira par se fracasser sur les rochers tranchants de l’âge adulte.
We Are Who We Are de Luca Guadagnino avec Chloë Sevigny, Jack Dylan Grazer, Alice Braga. Sur Starzplay
{"type":"Banniere-Basse"}