Envoyées en formation à Los Angeles pendant une semaine, deux scénaristes françaises sont venues rapporter au Festival Fiction de la Rochelle leur expérience au sein des salles d’écritures de séries américaines et donner leur avis sur l’importance d’un showrunner dans la création d’un programme réussi.
Ils s’appellent David Chase, Shonda Rhimes, Lena Dunham, Vince Gilligan, et sont considérés dans le monde des séries comme des demi-dieux. Ils sont « showrunners » des programmes les plus regardés ou les plus appréciés de leur génération, des Soprano à Girls en passant par Breaking Bad ou Grey’s Anatomy. Lorsque l’on récompense leur série, ils sont les premiers à être félicités: ils sont au coeur du processus de création et de production. En somme, ils semblent indispensables à la création d’une bonne série.
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Pourquoi alors n’existe-t-il pas de showrunners de séries en France ? Pour tenter de le comprendre, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) a organisé vendredi 11 septembre une conférence pendant le Festival Fiction 2015 de la Rochelle. Deux scénaristes chevronnées, Séverine Jacquet et Thalia Rebinsky étaient invitées à raconter leur expérience à Los Angeles: elles y ont été envoyées il y a quelques mois pour suivre une formation dans les plus célèbres salles d’écritures de séries des Etats-Unis.
Qu’est-ce qu’un showrunner ?
Pendant six jours, les deux femmes ont ainsi pu se frotter au travail des scénaristes américains, de Homeland à Wayward Pines, ou encore celui sur la nouvelle série de Shawn Ryan (The Shield, The Chicago Code). « Quand on est revenues, on planait complètement« , commence Séverine Jacquet, qui a travaillé sur des séries françaises comme Un Village français. En moins d’une semaine, elle a observé la manière de travailler des scénaristes américains, souvent sous la direction d’un fameux « showrunner ». Ce mot, que l’on entend partout, est pourtant compliqué à définir. Elle essaie:
« C’est avant tout une personne expérimentée ; il est rarissime d’avoir des débutants, à part quelques exceptions comme Lena Dunham. Ils sont la plupart du temps scénaristes. Ils peuvent être réalisateurs, mais ils doivent avoir une bonne maitrise de l’écriture. Ils peuvent être – ou non – le créateur de la série, l’important c’est que le showrunner en soit garant du déroulement artistique du début à la fin, de l’écriture au tournage, jusqu’au montage. C’est quelqu’un qui passe son temps essentiellement en salle d’écriture et salle de montage. C’est aussi avant tout quelqu’un qui sait faire respecter les délais de production. La capacité à assurer la saisonnalité des séries fait la valeur du showrunner. »
Et Thalia Rebinsky, créatrice de la Famille Katz (2013) et de Nina (2015) d’enchaîner:
« Aujourd’hui, les showrunners sont probablement les personnes les plus puissantes d’Hollywood. Mais de grands pouvoirs appellent de grandes responsabilités. »
Mettre son égo de côté
Le succès ou le ratage d’une série repose en effet sur les épaules de cette personne capable de « caser 72 heures dans 24 heures« , mélange d’auteur et de manager hyperactif dont le rôle est de faire le pont entre tous les corps de métier de l’industrie audiovisuelle. « Apparemment, être showrunner, ça ne s’improvise pas ça s’apprend« , commente la modératrice et administratrice de la SACD Sylvie Coquart-Morel. Il n’existe pourtant pas d’école de « showrunning »: ceux qui font ce métier l’ont appris en gravissant les échelons un à un jusqu’à se retrouver aux manettes de leur propre programme.
Le showrunner, garant de la continuité artistique d’un projet, dirige notamment la « writers’ room », l’endroit où se réunissent tous les scénaristes pour construire les épisodes.
« Ce qui se raconte dans ces salles d’écritures américaines n’est pas forcément plus intéressant qu’en France, en terme de pensée dramatique, nuance Séverine Jacquet, mais c’est une organisation différente qui permet d’arriver à la production d’un programme de haute qualité. Là on s’est dit, avec Thalia, qu’on avait encore du boulot à faire chez nous. »
D’après les deux scénaristes, l’efficacité avec laquelle sont produites les séries américaines émane notamment de « l’absence d’égo » des auteurs qui s’en remettent à l’avis du showrunner sans broncher si leur travail est critiqué ou modifié. « C’est une collaboration non menaçante, il s’agit avant tout de se faire confiance« , résume Thalia Rebinsky, qui a décidé d’importer une partie de ce qu’elle a découvert sur la préparation de la saison 3 de sa série Nina, dont la première saison a été diffusée en juin dernier sur France 2.
Faire des scénaristes une équipe
Elle a ainsi décidé d’intégrer ses auteurs beaucoup plus en amont du processus de création, notamment en les faisant participer à l’écriture des « arches » qui déterminent les grands événements de la saison. Autre volonté: avoir un espace dans lequel les scénaristes peuvent écrire et passer du temps ensemble, pour développer la cohésion et l’esprit d’équipe.
« Pour une seule série américaine, les scénaristes avaient un bâtiment de 200 mètres carrés rien que pour eux: ils pouvaient s’y installer, cuisiner ; chacun avait même son café préféré! Ici [en France, ndlr] on a une seule pièce, et puis un petit tableau pour noter des chose, et si on négocie bien on aura du Perrier », s’amuse Thalia Rebinsky.
Alexandre Manneville, scénariste qui écrit surtout pour les programmes d’animation, a quant à lui passé huit mois à suivre la formation « Serial Eyes » à Berlin, qui forme des auteurs au « showrunning et à l’écriture en writers room« . Persuadé de l’utilité d’un showrunner sur un programme, il nuance toutefois l’idolâtrie que certaines peuvent leur adresser :
« Il existe aussi des séries où le showrunner est considéré comme un tyran ! David Chase, les frères Kessler sur Bloodline (sur Netflix, ndlr)… ils ne fonctionnent pas sur l’entente avec leurs auteurs : c’est soit tu obéis, soit tu dégages », explique-t-il.
Éviter les incohérences et assurer la continuité artistique
Au festival fiction de la Rochelle cette année, il était difficile de trouver un scénariste qui ne partage pas l’envie d’importer le concept de showrunner en France, où la production des séries est encore loin d’être industrialisée comme elle l’est outre-atlantique. Il existe malgré tout quelques exceptions : on cite Éric Rochant, créateur de la récente série de Canal+ Le bureau des légendes comme un bon exemple de « showrunner à la français », ou les frères Alexandre et Simon Astier pour Kaamelott et Hero Corp.
Du côté des séries policières comme Falco ou Profilage sur TF1, les directeurs de collection (« chefs » des scénaristes) ont également un rôle qui se rapproche de celui du showrunner, comme nous l’a rappelé Olivier Dujols (qui occupe ce poste sur Falco avec Clothilde Jamin) après publication de ce papier:
@TurcanMarie Toute série devrait avoir un showrunner, de TF1 à Arte. C’est déjà le cas sur #Falco, #Profilage, #LesRevenants, #LesTémoins…
— olivier dujols (@_sloj_) 14 Septembre 2015
@TurcanMarie Oui. Pas omniprésence, faute de temps, mais présence tant en tournage que sur les derniers jours de montage + final cut.
— olivier dujols (@_sloj_) September 14, 2015
Toutefois, il reste rare qu’une personne soit en charge d’assurer la continuité entre l’écriture d’une série, sa production, sa réalisation et son montage. En résultent des incohérences parfois monumentales, comme c’est arrivé récemment dans une série française: un personnage, sans le sous dans le scénario, se voit affubler d’une voiture de luxe à l’écran parce que le scénariste n’était pas présent sur le plateau pour rectifier le tir. Ou des dialogues modifiés par le réalisateur en plein tournage sans consulter l’auteur des textes, qui découvre le résultat des mois plus tard à la télévision.
Malgré tout, un nouveau vent d’espoir, porté par des auteurs qui souhaitent endosser le costume de showrunner, souffle sur la fiction française. « D’autant plus que les chaînes sont vraiment demandeuses« , raconte Jean-François Halin, auteur de OSS 117 et créateur de la nouvelle série d’Arte Au Service de la France, pour laquelle il a déjà effectué une grande partie du job en question. De son côté, la scénariste Fanny Herrero devrait être complètement en charge de la saison 2 de Dix pour cent, série qu’elle a créée, bientôt diffusée sur France 2. De quoi avoir envie de croire en une mutation lente mais profonde de la création de séries françaises.
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