Diffusée depuis le 17 septembre sur Netflix, “Squid Game” est en passe de devenir la série la plus vue de la plateforme de streaming. Un carton planétaire qui a charrié son lot de controverses, et fait couler beaucoup d’encre. Mais de quoi est vraiment fait le succès de la série sud-coréenne la plus tendance du moment ?
Il n’aura fallu que quelques jours à Squid Game, série sud-coréenne hyper-violente lancée le 17 septembre sur Netflix, pour embraser les réseaux sociaux et irriguer massivement la pop culture. En quelques heures, Twitter, Instagram ou encore TikTok ont vu le mot-clé #squidgame caracoler en tête des tendances mondiales, faisant de la série l’un des objets les plus commentés sur les réseaux. Une viralité qui s’explique par ses audiences, phénoménales, à travers le monde.
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En seulement 10 jours, Squid Game est devenu le programme le plus regardé sur Netflix dans 90 pays (dont la France et les États-Unis) et devrait sans doute devenir la série non-anglophone la plus vue sur la plateforme de streaming, voire la plus vue tout court.
1, 2, 3, soleil !
Pour peu que vous ayez déserté les réseaux sociaux lors des trois dernières semaines, ou bien commencé une hibernation précoce, petit rappel des faits. Jaillie des entrailles algorithmiques de Netflix à la mi-septembre, la série en 9 épisodes créée par Hwang Dong-hyeok repose sur un concept simple, à l’efficacité éprouvée : 456 personnes sévèrement endettées sont invitées à prendre part à un mystérieux jeu de survie sur une île isolée de la mer de Chine. Captif·ves volontaires de gardes masqués, les concurrent·es, anonymisé·es et affublé·es d’un numéro, devront participer à une série de jeux traditionnels pour enfants (type 1,2,3, soleil) à la fin mortelle, et risquer leur vie pour empocher un pactole s’élevant à 45,6 milliards de wons (soit environ 32 millions d’euros). À la fin, il n’en restera qu’un.
Calquée sur la structure ludiquo-perverse d’un Battle Royale ou d’un Hunger Games, Squid Game n’a pas tardé a suscité interrogations et controverses, notamment pour son hyper-violence alliée à sa cote de popularité auprès des jeunes.
En Belgique, des élèves d’une école primaire ont revisité les scènes violentes de la série, elles-mêmes inspirées des jeux couramment pratiqués dans les cours de récréation. Résultat, une élève a été fouettée au visage par un de ses camarades pour avoir perdu à “1, 2, 3, soleil”. Si l’on est loin d’une tendance de fond, puisqu’aucun cas similaire n’a pour l’heure été signalé, la popularité de la série auprès des jeunes (voire des très jeunes) semble elle avérée. À quoi s’ajoute une sombre histoire de numéro de téléphone : visible à plusieurs reprises dans la série, ce dernier s’est avéré être celui d’une véritable ligne, dont le propriétaire, qui affirme vivre un calvaire, est devenu la cible d’appels incessants de fans facétieux (pour ne pas dire un peu cons).
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Il n’en fallait pas plus pour transformer une série sud-coréenne au succès surprise en véritable phénomène de société. Succès surprise ? Pas exactement. Car si les audiences démentielles de Squid Game peuvent surprendre – notamment aux États-Unis, généralement peu clients de programmes non-anglophones – elles n’en sont pas moins le résultat d’une tendance de fond, que Netflix, certainement rompue aux études de marché et observateur aiguisé des tendances mondiales, a su pleinement intégrer, non sans un soupçon d’opportunisme.
Recette(s)
Il y a fort à parier que le succès planétaire de Parasite de Bong Joon-ho, de sa Palme d’or unanime à Cannes en 2019 à (surtout) sa razzia aux Oscar en 2020 (premier film en langue étrangère à remporter l’Oscar du meilleur film) ait participé à une forme de mainstreamisation de la production audiovisuelle sud-coréenne. C’est du moins ce que semble penser Netflix, qui a misé sur la Corée pour en faire son nouveau pourvoyeur de séries à succès. Outre Squid Game, et ses quelque 17 millions de dollars de budget, le géant du streaming lancera, le 19 novembre prochain, Hellbound, série fantastique elle aussi originaire du pays du matin calme, dont le budget s’élève cette fois à pas moins de 500 millions de dollars. Avec Squid Game, Netflix a pris la température, et le mercure semble lui donner raison.
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Squid Game, en substance, reproduit la prouesse de La Casa de Papel (série étrangère devenue un phénomène mondial et la star du catalogue netflixien) avec laquelle elle partage un visuel marqué, instantanément identifiable. Exit les masques de Dalí et les combinaisons rouges des braqueurs aux sobriquets de capitales, ce sont les masques aux allures d’enceintes bluetooth, siglés de formes géométriques, et les combinaisons rose fuchsia des geôliers de Squid Game qui envahissent désormais la toile. Mais si Squid Game a pu s’inspirer lointainement de La Casa de Papel, c’est d’une autre tendance du moment qu’elle a surtout su s’emparer.
Battle Royale
Initié par Battle Royale de Kinji Fukasaku, objet culte pour pas mal d’ados des années 2000, le sous-genre du jeu de survie au cinéma, qui voit des concurrents s’entre-tuer dans un jeu macabre grandeur nature jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, s’est popularisé à partir de 2012 avec la série des Hunger Games, elle-même adaptée d’une saga de la littérature young adults. Mais c’est dans le jeu vidéo que le concept a, depuis, connu son envol le plus spectaculaire. De PlayerUnknow’s Battlegrounds (PUBG) paru en 2016, dans lequel 100 joueur·euses s’affrontent sur une immense map jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, à Fall Guys, jeu de plate-forme guilleret où 60 joueur·euses doivent passer des épreuves façon Takeshi’s Castle jusqu’à – on vous le donne dans le mille – qu’il n’en reste qu’un, en passant par l’inévitable Fortnite, jeu le plus populaire du moment qui repose sur la même formule, le “battle royale” est devenu un genre en soi. Si bien que les licences les plus lucratives (Call of Duty) comme les plus mythiques (Tetris) proposent désormais immanquablement un mode battle royale, parfois en dépit du bon sens.
En faisant sien ce concept vendeur au succès confirmé, pour l’ornementer d’un vernis pop et d’une esthétique empruntée aux mangas, et l’étoffer d’un cadre dystopique et d’un sous-texte social anxiogène qui rappellent Black Mirror, Squid Game a trouvé une formule gagnante, et le “succès surprise” commentée çà et là, nous apparaît finalement comme parfaitement calculé, et largement fabriqué en amont.
Parasites
Mais finalement, en dehors de son succès phénoménal, que vaut vraiment Squid Game ? Eh bien, pas grand chose.
Ses neuf épisodes, conçus pour se binger gloutonnement, reposent entièrement sur la fascination perverse qu’exerce son jeu macabre sur le·la spectateur·rice, transformé·e en témoin apathique d’un combat de gladiateurs modernes dont l’arène serait son écran. Avec pour seules défenses face à sa perversité crasse une caution vaguement morale et un sous-texte social lourdement appuyé, Squid Game nous fait croire qu’elle a pour autre objet la fascination morbide qu’elle croit dénoncer, mais reste tributaire de son cahier des charges transparent, et de ce qui l’agite en souterrain : la spectacularisation de la violence et l’excitation inavouable qu’elle stimule.
Comme Hostel avant elle (dans lequel une société nébuleuse proposait à des ultra-riches de torturer des êtres humains pour assouvir leurs désirs les plus déviants), Squid Game s’embourbe dans ce qu’elle croit dénoncer, ou veut nous faire croire qu’elle dénonce. Qu’il s’agisse d’une pirouette méta savamment étudiée (“le·la spectateur·rice est en fait lui-même impliqué dans le processus de fascination qu’interroge la série vous voyez ?”) ou d’une démarche dénuée d’autoréflexivité, le résultat reste le même, et le spectacle est inepte.
Là où Battle Royale, autrement plus retors, lorgnait vers le pastiche et faisait de son dispositif (des lycéen·nes sommé·es de s’entre-tuer sur une île) la parabole outrancière (tantôt parfaitement guignolesque, tantôt étonnement touchante) des désirs outrés et des angoisses mortifères d’une poignée d’adolescent·es retourné·es à l’état sauvage, Squid Game se rive à un premier degré assommant et déguise son intention véritable derrière des considérations politiques simplistes, et un brin balourdes.
Parce qu’ils sont pour la plupart des laissés pour compte, endettés au dernier degré, des parias victimes d’une société coréenne rongée par le capitalisme tardif, les personnages de Squid Game participent à un jeu de massacre avec pour seul moteur leur désespoir, les poussant à s’entre-tuer pour empocher un pactole qui serait synonyme de seconde chance. La visée politique de la série tient en une formule, plusieurs fois prononcée : “la vie qu’on mène dehors est bien plus barbare”. Passé ce constat, la série de Hwang Dong-hyeok oppose à la brutalité une autre forme de brutalité, et se concentre sur ce qui l’occupe véritablement, et tient en haleine ses spectateur·rices médusé·es : quelle sera la prochaine épreuve ? Une marelle homicide ? Une partie de billes sanguinolente ? Un chat perché meurtrier ? Demandez le programme.
Squid Game de Hwang Dong-hyeok, sur Netflix
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