Forte de quatre saisons et d’un Christmas special, l’anthologie techno-dystopique de Charlie Brooker nous a offert une belle collection de récits explorant autour d’une même thématique des formes et des genres divers. Comment résister à l’envie de les classer en cette saison de tops ? (Spoilers)
Cet article contient des révélations sur les épisodes de la série Black Mirror.
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Lancée de manière plutôt confidentielle sur Channel 4 en 2011, la série britannique Black Mirror, désormais produite et diffusée par Netflix, s’est au fil des saisons imposée comme un véritable phénomène de société. En envisageant les écrans de plus en plus présents dans nos vies comme miroirs déformants des dérives de nos sociétés occidentales contemporaines, l’anthologie (chapelet de récits indépendants liés par un thème commun) se pose en vigie inquiète des dangers liés à notre addiction aux nouvelles technologies. Et si elle n’échappe pas à un certain moralisme, et s’égare parfois dans des accès de cruauté cyniques, elle a su jeter des ponts réjouissants entre science-fiction, sociologie et philosophie.
Voici notre classement des épisodes de Black Mirror, toutes saisons confondues, en ordre inversé pour ménager le suspens :
19) Crocodile (S4E3)
En enquêtant sur un accident de la route à l’aide d’un système de matérialisation visuelle des souvenirs des témoins, une détective privée déterre un crime ancien, et enclenche une irrépressible spirale de violence. Lesté par une esthétique sentencieuse, l’épisode échoue à développer les implications de la technologie présentée et à s’en emparer comme matière visuelle, et fait de la violence gratuite son unique moteur scénaristique.
18) Archange (Arkangel, S4E2)
Terrifiée à l’idée de perdre sa fille, une maman poule lui implante une puce permettant de surveiller ses moindres faits et gestes. Jodie Foster, aux commandes de l’épisode, réussit à tirer d’un argument particulièrement prometteur (liant la tendance à la sur-protection des enfants et la prolifération des dispositifs de surveillance privée) un récit domestique d’une banalité effarante.
17) Tais-toi et danse (Shut up and Dance, S3E3)
https://youtu.be/5ntVAQIsU5c
Un pirate informatique disposant d’informations compromettantes pousse plusieurs individus à suivre des instructions de plus en plus risquées. Si la course contre la montre dans laquelle sont embarqués les personnages est habilement rythmée, la cruauté de l’épisode ainsi que sa pauvreté visuelle en font un coup en l’air assez agaçant.
16) La Chasse (White Bear, S2E2)
Une femme amnésique est pourchassée par des individus masqués. Au lieu de lui venir en aide, les témoins la filment avec leurs téléphones portables. Après un premier quart d’heure intriguant, le récit, censé épingler le voyeurisme et la soif de sang du peuple numérique, s’engonce dans un dolorisme gratuit et s’achève sur un retournement grand-guignolesque peu crédible.
15) Le Show de Waldo (The Waldo Moment, S2E3)
D’abord conçu comme une farce, un ours bleu en motion capture et au langage fleuri se présente à des élections locales. Sa popularité inattendue dépasse ses créateurs. Satire de la politique spectacle, l’épisode prend rétrospectivement de nouvelles nuances avec l’élection de Donald Trump. Mais si l’accession au pouvoir de bouffons cathodiques est à la fois fascinante et glaçante, cette parabole peine à décoller et à déclencher le même potentiel de sidération que ses modèles réels.
14) 15 millions de mérites (15 Million Merits, S1E2)
Dans un univers futuriste obsédé par le divertissement, le prolétariat est condamné à pédaler sur des vélos électriques dans l’espoir de gagner le sésame pour une émission de télé-réalité. De cette dystopie kitch et proprette tracée à trop gros trais pour convaincre surnagent un couple d’acteurs attachants (dont Daniel Kaluuya, formidable dans Get Out), et une mémorable tirade finale.
13) Tuer sans état d’âme (Men Against Fire, S3E5)
https://youtu.be/ctDoMRTtr-Y
Une unité de soldats d’élite est chargée d’éliminer des humanoïdes mutants. L’une de ses recrues découvre qu’on les manipule. L’épisode prend le parti de ne révéler son argument secret qu’à mi-chemin, et résonne en écho glacial avec la propension toute contemporaine à déshumaniser l’ennemi pour mieux convaincre les foules de l’anéantir sans état d’âme.
12) Black Museum (S4E6)
Un musée perdu au milieu du désert rassemble les reliques de sinistres crimes technologiques. Une automobiliste de passage profite de la visite guidée organisée par le maître des lieux, qui réveille bien des fantômes. Véritable anthologie dans l’anthologie aux airs de miroir méta de la série, l’épisode en propose l’un des récits les plus terrifiants (celui du docteur fou), mais s’encombre de retournements artificiels et inutiles.
11) Chute libre (Nosedive, S3E1)
Une société futuriste voit le statut social de ses citoyens régi par une application de notation personnelle. Quand Lacie est choisie comme témoin de mariage d’une amie d’enfance, c’est la dégringolade. Réalisé par Joe Wright, cet Instagram in real life peut agacer par son esthétique du dernier chic et les simagrées un peu forcées de ses acteurs. Mais le parti pris de la comédie, ainsi que les résonances très actuelle de la technologie mise en scène (le gouvernement chinois a l’intention de mettre en place un classement de ses citoyens via un procédé similaire) font mouche.
10) Haine virtuelle (Hated in the Nation, S3E6)
https://youtu.be/SAJfyDTTHE4
Un tueur en série laisse le choix de ses cibles aux utilisateurs de Twitter, puis les élimine grâce à des abeilles mécaniques. En liant l’appétence pour le lynchage des masses numériques anonymes à un enjeu écologique (la disparition de nos pauvres petites pollinisatrices), l’épisode, exceptionnellement long, prend la forme d’un thriller technologique convainquant.
9) Playtest (S3E2)
Un serial tourist débonnaire est choisi pour tester un jeu vidéo horrifique particulièrement immersif. Expérience narrative plutôt inoffensive (les implications sociétales de la technologie mise en scène sont minimes), cet Inception du jeu vidéo délicieusement geek vaut pour l’intelligence de sa mise en scène (signée Dan Trachtenberg, également réalisateur de 10 Cloverfield Lane) et le charisme de ses interprètes.
8) Tête de métal (Metalhead, S4E5)
Dans un univers post-apocalyptique, une femme est poursuivie par un robot chien tueur particulièrement coriace. Un peu à part dans le série, l’épisode fait figure de trip esthétique minimaliste (en Scope noir et blanc et quasiment muet) et convoque tout un imaginaire de cinéma, de Terminator à Duel de Spielberg. Efficace à défaut d’être innovant.
7) Pendez le DJ (Hang the DJ, S4E4)
Une application de rencontre extrêmement élaborée promet à ses clients de trouver l’âme soeur en passant par une série de relations-test extrêmement codifiées. Ou comment la drague contemporaine risque de se déshumaniser en étant tamisée par trop de filtres numériques. Le couple d’acteurs principaux est tout simplement craquant, et le twist final malin sans être tape à l’oeil.
6) L’Hymne National (National Anthem, S1E1)
Des preneurs d’otages exigent, en échange de la vie d’une duchesse populaire, que le premier ministre britannique ait un rapport sexuel filmé et retransmis avec une truie. Véritable shot d’amoralité, le pilote de la série lui a insufflé sa couleur licencieuse, et se montre extrêmement efficace dans sa manière de figurer le concept d’acrasie (l’attirance visuelle pour quelque chose qui nous révulse) à l’échelle d’une société entière. On a rarement vu pitch aussi barré.
5) USS Callister (S4E1)
Un concepteur de jeu vidéo mal à l’aise socialement s’immerge dans un univers virtuel de science-fiction vintage sur lequel il règne en maître – et en despote. Esthétiquement réjouissante et soutenue par un casting au top, cette parodie de Star Trek saute allègrement de la comédie bouffonne à la tragédie glaçante, jongle habilement avec les niveaux de réalité, et étrille sauvagement les conventions du monde de l’entreprise.
4) Blanc comme neige (White Christmas, épisode spécial de Noël)
https://youtu.be/P3RHYNZplWg
Enfermé dans un chalet isolé, l’intriguant Matt se livre sur son passé et ses nombreuses activités liées aux technologies, du coach de drague intrusif au fabriquant d’esclaves virtuels. Ce premier épisode produit par Netflix synthétise le virage opéré par la série entre les saisons 2 et 3 : ambitions formelles plus abouties et schéma dramaturgique implacable, parfois au dépend de la fraicheur provocante des débuts. D’une gourmandise presque écœurante, ce mille-feuille narratif ne manque ni d’inventivité, ni de générosité.
3) Retour sur image (The Entire History of You, S3E3)
Persuadé que sa compagne le trompe, un homme mène l’enquête à l’aide d’un dispositif d’enregistrement continu de sa mémoire sensorielle. Il en perd peu à peu la raison. Porté par une écriture d’orfèvre et des acteurs saisissants de justesse, l’épisode réussit à allier dérive technologique et drame personnel tout en restant à hauteur humaine. Le premier coup de maître de la série, assurément.
2) San Junipero (S3E4)
Dans une petite ville côtière délicieusement rétro, deux jeunes femme tombent amoureuses au fil de soirées où le temps et l’espace semblent suspendus. L’an dernier, la romance 2.0 de San Junipero avec éclipsé en un tour de main le reste de la saison 3, et pour cause : en se jetant à corps perdu dans un lyrisme déchirant, Charlie Brooker avait brisé nos petits cœurs. De l’atmosphère au couple d’actrices en passant par le retournement de situation au milieu du récit, l’épisode est un vrai bijou.
1) Bientôt de retour (Be Right Back, S2E1)
Une jeune veuve découvre un site internet permettant de créer un simulacre de l’être aimé à partir de ses traces virtuelles. Difficile de départager celui-ci d’avec San Junipero tant les deux épisodes sont bouleversants. Ils prouvent en tout cas que plus que l’esbroufe ou la cruauté, ce sont le lyrisme et l’humanité qui sient le mieux à Charlie Brooker. Hayley Hatwell est déchirante de justesse dans ce récit sur l’impossibilité du deuil qui entremêle tristesse cotonneuse, intelligence artificielle et amour fou.
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