Élue meilleure série comique aux Golden Globes et aux Emmy dès sa première saison, quelque mois après l’éclosion de #MeToo, « The Marvelous Mrs. Maisel » revient avec une saison 2 tout aussi pétillante et attachante (sur Amazon Prime). Rencontre à Milan avec Amy Sherman-Palladino et Daniel Palladino, les créateurs de la série.
Noyée d’amour dès sa première saison (deux Golden Globes et cinq Emmy Awards !), The Marvelous Mrs Maisel est de retour pour une deuxième salve d’épisodes sur Amazon Prime. Ce récit de l’émancipation d’une femme quittée par son mari dans les années 1950 à New York, qui décide de s’essayer au stand up, résonne de manière parfaite avec l’époque post-MeToo. Son style dynamique voire survolté rend la série attachante et singulière, d’autant qu’elle s’améliore encore dans cette deuxième saison aboutie. Au programme, un détour jouissif par Paris et des clins d’œil à la comédie musicale. Nous avons rencontré le couple créatif majeur de The Marvelous Mrs Maisel dans un grand hôtel de Milan, Amy Sherman –Palladino, qui compte à son crédit la marquante Gilmore Girls – ainsi que son époux Daniel Palladino, pour parler comédie classique, personnages féminins, et savoir pourquoi ne pas filmer les narines des gens constitue la base de tout.
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The Marvelous Mrs Maisel a reçu très vite beaucoup d’amour. A l’heure de la « Peak TV » où chaque série est perdue dans la masse, cela a dû être une surprise.
Amy Sherman-Palladino – Une surprise totale ! C’était choquant (rires).
Dan Palladino – Même avant que cinq cent séries débarquent sur les écrans chaque année, il était impossible de compter sur quoi que ce soit. On met son cœur et son âme dans un projet et on espère, voilà la règle. Parfois, une chaine ne commande pas d’épisodes après le pilote. Parfois, la série arrive à l’antenne et personne ne la regarde.
ASP – On boit beaucoup de vin dans ces cas-là.
DP – C’est très flatteur quand il arrive ce qui est arrivé à The Marvelous Mrs. Maisel. Notre série est différente, c’est peut-être une explication. C’est une comédie dont les épisodes durent une heure – un format rare – avec un ton irrépressiblement joyeux. Ce que nous proposons est exubérant, agressif, dans ta gueule. Beaucoup de comédies contemporaines que nous aimons ne choisissent pas cette option, elles préfèrent garder une distance et mettre en scène des tranches de vie. The Marvelous Mrs. Maisel s’est faite remarquer parce qu’elle saute en l’air en levant les mains !
ASP – Pour le pire et pour le meilleur, cette série reste suprêmement joyeuse. Parfois, on nous fait comprend qu’il faudrait en être embarrassés. On n’est pas cool si on ne privilégie pas une forme de lenteur et de contemplation. Mais en tant que scénariste et réalisatrice, j’ai juste envie d’aller travailler chaque jour sur un projet rempli d’optimisme. Croyez-moi, je ne suis pas une ravie de la crèche. Je suis la personne la plus cynique, négative, cauchemardesque que vous rencontrerez aujourd’hui !
Mais je voulais inventer ce personnage de femme qui bouge tout le temps, qui ouvre toutes les portes et pénètre dans toutes les pièces en portant un chapeau fabuleux. Elle joue avec les obstacles, elle les désire d’une certaine manière. Elle trouve le monde fascinant, elle est même captivée par ce qui se dresse devant elle dans l’Amérique des années 1950. Elle prend du plaisir à manœuvrer pour éviter ce qui voudrait l’empêcher d’avancer. Elle est aidée par son agent, Susie, et c’est un autre aspect important de la série : la mise en scène d’un partenariat féminin. Midge et Susie avancent ensemble et j’adore les accompagner. La dernière raison, c’est que nous proposons une comédie avec les mêmes moyens qu’un drame. En général, les comédies sont les parents pauvres de la production. Ce n’est pas notre cas : on voit New York, on ressent l’énergie de la rue des ficties, on plonge dans ce monde qui n’existe plus.
Avec Rachel Brosnahan, croisée dans House of Cards, Marvelous Mrs Maisel a créé une star.
ASP – C’est parce que Rachel EST une star. Longtemps après notre série, elle brillera et rapportera des statuettes à la maison. J’espère qu’elle a beaucoup d’étagères chez elle. Avec le reste du cast, elle nous donne tous les outils nécessaires pour briller. C’est à nous de faire foirer tout ça ! Il n’est jamais trop tard pour se rater, on travaille déjà sur la troisième saison.
La série a touché quelque chose qui anime nos sociétés, puisqu’elle raconte l’émancipation d’une femme dans un monde d’hommes, le stand up.
ASP – Midge a naturellement confiance en elle et nous ne la montrons jamais dans des situations où elle rentrerait dans le rang. Souvent, quand on voit un personnage de femme complexe qui a du pouvoir, on la retrouve à un moment donné en train de boire ou prendre des médocs parce qu’elle est bipolaire. Elles s’habille comme des salamandre la nuit parce qu’elle est trop bizarre. Souvent, on interdit aux personnages féminins d’avoir simplement confiance en elles ou de dégager de la force et rien d’autre. Il faut toujours qu’elles aient quelque chose de cassé. Midge n’est pas une femme cassée, elle ne s’excuse de rien. Notre histoire ne s’excuse de rien.
Une scène m’a marqué au début de la deuxième saison, quand deux hommes regardent Susie, qui a un look butch, et disent avec étonnement : « Oui, ça pourrait être une femme ». On voit rarement des féminités alternatives dans les séries mainstream.
DP – C’est un running gag dans la série, les gens prennent Susie pour un mec, en partie à cause de son look, mais presque plus à cause de son attitude. Il n’y a rien de classiquement féminin dans son attitude. On n’est pas sûrs à 100% de sa sexualité…
ASP – Si, on l’est !
DP – Mais pour moi, on ne sait pas plus que ce que le public sait… Ce qui est intéressant avec Susie, c’est qu’elle ne parle pas de son passé. Il y a quinze ans de sa vie dont on ne sait rien, elle raconte qu’elle a travaillé au Gaslight (un café-concert qui a réellement existé, où se déroule une partie de la série, ndlr) mais on ignore tout le reste et notamment sa vie amoureuse.
ASP – On parle aussi d’une époque et des cases dans lesquelles sont placés les gens. Midge est censée agir d’une certaine manière, s’habiller d’une certaine manière, à cause du milieu dont elle vient. Son ex-mari doit aussi se conformer à ce qui est attendu de lui. Susie, quant à elle, appartient à une catégorie de personnes qui ne rentraient dans aucune case durant les années 1950. Ce n’est pas une femme féminine, elle n’a pas envie de s’habiller comme les autres et de porter du rouge à lèvres, elle n’a aucun désir d’avoir des enfants et une famille. Elle n’a trouvé aucun espace dans le monde.
DP – Susie demande le respect.
ASP – Elle veut du respect et du pouvoir. L’un des aspects les plus intéressants de la série pour nous, c’est qu’elle a trouvé avec Midge, qui reste notre héroïne, une manière d’habiter le monde. Ces deux femmes sont si différentes, mais elle se rapprochent et se serrent les coudes. L’une est très classiquement belle, ce qui lui ouvre certaines portes et lui en referme d’autres, car elle veut faire du stand up. Susie, elle, est déjà sûre de sa force, mais elle ne sait pas comment l’utiliser.
Dan, pourquoi dites-vous que vous n’en savez pas plus que ce que le public sait ? Est-ce une démarche artistique de ne considérer un personnage que par rapport à ce qui est visible de lui ou d’elle ?
DP – J’essaie toujours de me placer du point de vue du public quand je parle de la série avec d’autres gens.
ASP – C’est con, parce que moi, je n’ai pas encore vu la série.
DP – Tu devrais la regarder, c’est super !
ASP – J’ai trop envie de savoir ce qui se passe.
DP – En fait, j’essaie de toujours garder en tête ce que nous avons transmis au public. J’aime bien prendre du recul. Comprendre quelles questions se posent les spectateurs et spectatrices nous aide à faire des choix narratifs. Parfois, nous avons l’impression de façonner un personnage de telle manière, alors que la perception qu’en ont les gens est très différente. Forcément, cela interroge. Ensuite, dans la salle d’écriture je change de peau, et j’en sais évidemment beaucoup plus que le public…
Vos personnages ont une vie imaginaire hors-écran ? Vous y pensez ?
ASP – Oui, pour moi c’est obligatoire ! Il y a beaucoup de choses que nous n’écrivons pas mais qu’on a besoin de savoir pour nourrir l’écriture. De cette manière, les personnages deviennent comme des personnes réelles. Dans la vie, nous avons des relations avec des gens dont on ne sait pas tout, mais quelque chose nous connecte avec eux. Nous essayons de nous rapprocher de cette idée.
Comment l’écriture frénétique de Marvelous Mrs Maisel est-elle organisée ?
ASP – Organisée, vraiment, vous êtes sûr ?
DP – Quel mot ! En général, Amy et moi travaillons sur l’histoire globale, avant d’arriver en salle d’écriture où se trouvent quatre autres scénaristes. Là, on imagine le plus de détails possibles que l’on écrit sur des bristols qui finissent sur un mur avec d’autres bristols, ou à la poubelle. Nous arrivons à une histoire que nous aimons vraiment, et l’un ou l’une d’entre nous va écrire l’épisode. En général, Amy et moi réalisons les épisodes que nous écrivons.
ASP – J’ai moins de patience que d’autres et je ne respecte pas toutes les règles. Souvent, j’écris les scènes directement sans passer par la case synopsis, parce que ça me saoule. C’est ma méthode. Depuis vingt ans.
Votre série me touche parce qu’elle rappelle plusieurs époques du cinéma classique hollywoodien, notamment la comédie screwball des années 1930.
ASP – Notre première inspiration reste la comédie musicale, surtout dans cette deuxième saison. Mais on adore la comédie screwball des années 30 aussi, l’énergie et le rythme qui s’en dégage, l’idée que tout était filmé en plans assez larges pour que l’action se déploie dans le cadre. C’est aussi notre approche. On n’a aucune envie de montrer au public les narines de nos comédiens en gros plans. J’adore Rachel Brosnahan, mais je n’ai pas besoin de voir ses pores. Sauf si un personnage a douze ans, on recule la caméra, s’il vous plait. Quant à la comédie musicale, elle nous intéresse à cause du côté soyeux, à cause des mouvements incessants, de la manière dont les robes bougent, dont les plumes se retournent… Tout cela nous influence beaucoup.
Quelles comédies musicales aimez-vous en particulier ?
ASP – Je revois souvent Singin’ In The Rain. Je regarde beaucoup les films avec Gene Kelly. En général, les comédies musicales sont filmées de manière à ce que l’on puisse voir toute la posture des danseurs, de la tête aux pieds, et c’est plutôt une bonne chose. Mais Gene Kelly a imposé une vision différente dans ses films réalisés par Stanley Donen, avec une caméra plus mobile, une approche des corps et du mouvement plus découpée. Dans Singin’ In The Rain, les angles changent souvent, il y a énormément de plans de grue. La caméra accompagne le mouvement. Parfois, on ne se rend même pas compte qu’on est en l’air alors qu’on est en l’air depuis plusieurs secondes ! Mais on est captivés par les pas et la coordination.
DP – Il y a des maîtres de la comédie screwball que nous admirons, et qui ont influencé des générations : Ernst Lubitsch, Billy Wilder évidemment, Preston Sturges. Ils ont fait entrer la sophistication dans la comédie. C’est vrai que les personnages de Marvelous Mrs Maisel parlent vite, comme dans la comédie screwball. Mais en fait, Amy et moi sommes certains que les gens parlent vite dans la vie. C’est plutôt dans les séries et dans les films qu’en général, on parle lentement. On a juste rectifié ce problème. Regardez, depuis un quart d’heure, on parle très vite ! C’est ce que nous disons aux comédiens quand ils trouvent que le rythme est trop rapide.
ASP – En général au cinéma ou dans les séries, les acteurs et les actrices jouent vraiment après avoir dit leurs dialogues. Vous voyez ce que je veux dire ? Ils parlent, et ensuite ils expriment une émotion. Si vous regardez les comédies screwball, ce qu’ils avaient à faire, c’est précisément de jouer pendant le dialogue. Quand Katherine Hepburn et Spencer Tracy échangeaient frénétiquement chez George Cukor, ils n’attendaient pas d’avoir arrêté de parler pour jouer. C’est ce que nous essayons de faire. Dans The Marvelous Mrs Maisel, nous allons au plus direct, au plus frontal.
The Marvelous Mrs Maisel saison 2 est en ligne sur Amazon Prime
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