Evincées par la machine hollywoodienne, les actrices vieillissantes prennent leur destin en main, souvent dans le cadre de séries. A contre-courant des représentations hétéro-normatives, elles se racontent telles qu’elles sont devenues : des femmes désirantes, libérées du patriarcat.
Dans le premier épisode de Feud, la nouvelle série de Ryan Murphy (créateur de American Horror Story, Glee), la délicieuse Joan Crawford, interprétée par Jessica Lange, cogite : “Tous les rôles de femmes semblent tomber dans juste trois catégories : les ingénues, les mères et les gorgones”. Une seule solution s’offre alors à elle en 1962 : trouver un livre à adapter, embrigader une autre star vieillissante et le proposer à un cinéaste prêt à tout pour tourner.
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L’histoire du cinéma connaît la suite : ça sera Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, réalisé par Robert Aldrich. Crawford/Lange assène à son ennemie jurée, Bette Davis/Susan Sarandon), dont elle a besoin pour relancer sa carrière : “Ils ne font plus des films de femmes, plus le genre que l’on faisait. Si quelque chose doit changer, c’est à nous de provoquer le changement. Sinon personne ne va caster des femmes de notre âge.”
Glenn Close en exploratrice
Ce discours sur l’âgisme hollywoodien des années 1960 ne peut exister que dans une série puisque, malheureusement, le sort des femmes âgées n’a pas changé d’un iota : selon l’étude de USC Annenberg, dans les cent films les plus rentables de 2015, seuls 11 % des personnages parlants ont plus de 60 ans, et dans ce pourcentage, seulement 27,2 % sont des femmes.
Les femmes de plus de 45 ans seraient moins désirables que celles de 25, c’est sûrement en partant de ce postulat que la machine hollywoodienne a choisi de les évincer. Glenn Close est une des premières grandes actrices à avoir basculé vers les séries, en 2007, pour incarner une brillante et torturée avocate dans Damages. Jessica Lange lui a emboîté le pas en tournant dès 2011 dans la série d’anthologie et de genre American Horror Story.
Les Bette et Joan contemporaines se tournent vers le petit écran pour adapter des histoires qui leur parlent
Elle y explore avec précision, pendant quatre saisons, des rôles fantastiques : la mère ambiguë d’une enfant trisomique, une nonne qui affirme qu’elle “gagnera toujours contre le mâle patriarcal”, une sorcière toute-puissante et la matriarche d’une troupe de freaks.
Les showrunners qui osent créer des personnages féminins dérèglant les conventions sont rares. Pour y remédier, au lieu de se résigner au silence et à l’oubli, certaines actrices puissantes ont commencé une révolution – et cela ne se passera non pas au cinéma mais à la télévision. Les Bette et Joan contemporaines se tournent vers le petit écran pour adapter des histoires qui leur parlent.
Big Little Lies contre le modèle hollywoodien
Nicole Kidman et Reese Witherspoon ont choisi le format d’une minisérie de dix épisodes pour raconter la vie de trois mères dans la ville de Monterey en Californie. En conférence de presse pour la sortie de la série qu’elles ont coproduite, les actrices oscarisées ont expliqué : “Big Little Lies a été conçue contre le modèle majoritaire hollywoodien. En termes de genre, d’économie, de casting ou d’équipe créative, la série ne ressemble à rien de connu”. La guerre est déclarée.
Lorsqu’on s’interroge sur les représentations genrées, force est de constater que les modèles féminins dans le cinéma hollywoodien sont trop souvent façonnés pour le plaisir du male gaze, un regard qui objectifie les femmes. Dans un même geste, l’espace sériel réfléchit à comment représenter mais aussi qui représenter, devenant un lieu d’élection pour les rôles féminisés.
Et cela depuis déjà un bout de temps : dès 1972, l’héroïne de Maude décidait d’avorter à l’âge de 47 ans ; et de 1970 à 1977, la sitcom The Mary Tyler Moore Show mettait en scène une trentenaire non mariée et ayant une carrière – une série dont Lena Dunham a confirmé l’influence sur son travail.
Les Craquantes, influence des 80’s
Mais au moment de clore Girls, c’est à une autre série que la jeune femme a rendu hommage, en parodiant la création qui a marqué la fin des années 1980 : Les Craquantes (The Golden Girls), l’histoire de quatre quinquas célibataires parlant d’amour et d’amants pendant sept saisons.
Dans l’émission de Jimmy Kimmel, Dunham et ses consœurs ont ainsi revêtu perruques et costumes pour nous projeter dans leurs vies de vieilles dames. Ce clin d’œil de la nouvelle garde révélait au passage l’anxiété autour de la descendance d’une série une fois finie et du sort de ses comédiennes. Dans dix ans, aura-t-on envie de retrouver Hannah Horvath, qu’on a laissée jeune mère célibataire ?
Le développement de la vie sexuelle de ces mères devient tout aussi complexe que leur rapport à la maternité
Dans les récentes Better Things, Stranger Things, The Americans, Togetherness, la figure maternelle est souvent en faillite. Le subversif réside dans la multiplication de ces rôles de mères qui n’ont plus le visage de la morale mais surtout dans la disparition de la scission entre la maman et la putain. Le développement de la vie sexuelle de ces mères devient tout aussi complexe que leur rapport à la maternité.
C’est Big Little Lies qui va le plus loin dans le reformatage de l’image de la bonne mère en explorant la violence féminine. Dans un dernier épisode devenu culte, l’image d’Epinal de la douceur “innée” des mamans en prend un coup quand les cinq héroïnes tuent un homme. Ces cinq mères “exemplaires” s’emparent collectivement d’un trait dit masculin et se le réapproprient.
De 40 à 70 ans, les femmes veulent vibrer
La dernière image des cinq femmes conquérantes et leur progéniture jouant sur la plage transcende le stéréotype des femmes qui n’auraient qu’un seul modus operandi entres elles : la rivalité. L’angle de Feud (les femmes ne peuvent être que des ennemies en compétition) est ici démantelé et laisse place à l’idée que la sororité triomphe sur la jalousie.
Avec ces cinq mères californiennes, les représentations de genre se réinventent : l’espace sériel est devenu un refuge pour que les stars hollywoodiennes puissent se raconter en dehors de narrations hétéro-normatives. Pour d’autres, la maternité n’est ni un enjeu, ni un but pour se sentir “femme”, c’est le cas de Claire Underwood, interprétée par Robin Wright dans House of Cards et d’Annalise Keating, jouée par l’oscarisée Viola Davis, dans Murder (How to Get away with Murder, titre original). Les va-et-vient de ces grands noms du cinéma entre le grand écran et le petit montrent encore une fois que c’est la porosité qui est moderne.
Ces comédiennes incarnent une fluidité nouvelle dans la manière dont elles traversent leurs carrières mais aussi dans la sexualité des personnages qu’elles incarnent. Les femmes de plus de 40 ans veulent vibrer. Et elles ne sont plus les seules puisque les personnages de femmes de 70 ans et plus délaissent le côté mamie-gâteau pour continuer à vivre non pas dans une filiation (mère de, grand-mère de) mais en tant que femme qui continue à désirer.
Ruth Fisher dans Six Feet under, une pionnière
Ruth Fisher dans Six Feet under en a été un exemple capital. Veuve, elle continue à chercher l’amour. Parfois, son comportement est celui d’une femme pleine de sagesse et à d’autres moments, elle se comporte comme une adolescente. Mais sa vie sentimentale et intérieure prend autant de place que celles de ses enfants dans la création d’Alan Ball.
Dans la même veine, Olive Kitteridge, la minisérie réalisée par Lisa Cholodenko, met en scène la fabuleuse Frances McDormand continuant à se demander ce qui l’anime dans la vie alors qu’elle est à la retraite, qu’elle n’est plus amoureuse de son époux et que sa relation avec son fils s’est étiolée. Un homme pourtant la fait palpiter.
L’évocation du plaisir féminin semble ne plus avoir de date de péremption. C’est ce que clament haut et fort les héroïnes de Grace et Frankie
L’évocation du plaisir féminin semble ne plus avoir de date de péremption. C’est ce que clament haut et fort les héroïnes de Grace et Frankie au début de la saison 3 quand elles veulent créer une marque de “vibromasseurs pour femmes âgées”.
Pour obtenir un emprunt, Grace donne des arguments au banquier : “On prend en compte tous leurs problèmes, la vue qui baisse ou l’arthrite”. Frankie renchérit : “Les tissus vaginaux sensibles. C’est important”. Dans la première saison, Frankie expliquait à son amie : “Quand nos corps vieillissent, nos vagins arrêtent de produire un lubrifiant naturel”. Elle donnait alors sa recette maison : une pommade à la patate douce.
Ménopausées mais désirantes
L’assèchement du vagin des femmes ménopausées est présenté de manière plus violente dans Sons of Anarchy lorsque la bombesque Gemma, à l’orée de ses 51 ans, s’entend dire par son mari, au milieu d’un rapport, qu’il va falloir “mouiller tout ça”. Elle quitte le lit brusquement et, plus tard dans le même épisode, se traîne à la pharmacie pour un traitement hormonal, qu’elle finira par jeter à la poubelle, comme ultime acte de rébellion.
Rares mais précieuses sont les séries qui représentent ces corps de femmes ayant donné la vie – et dont la progéniture se reproduit – en plein acte sexuel. On se souvient d’une scène explicite dans la série HBO Tell Me You Love Me où un couple âgé faisait l’amour au coin du feu.
Dr. May Foster, 70 ans, montait sur l’homme assis sur une chaise, accélérait le rythme et se faisait jouir, puis changeait de mouvement de bassin afin de faire jouir son partenaire à son tour. Cette mise en lumière des corps de femmes ménopausées désirantes permet de créer un nouvel imaginaire auquel l’émergence de nouveaux canaux de diffusions (Netflix, Amazon, Hulu) participe.
Un espace pour les vieilles déchaînées
Selon le Los Angeles Times, les femmes de plus de 40 ans ont 33 % des rôles à la télévision grâce à ces plates-formes. La série qui fait trembler le plus fortement la représentation du féminin est l’excellente Transparent, créée par Jill Soloway. Son héroïne, Maura, fait son coming-out transgenre à 70 ans. Au fil des saisons, elle apprend à être femme et à dompter son nouveau corps.
Son désir devient une nécessité pour exister. Dans l’ultime et bouleversant épisode de la saison 2, Maura fait l’amour pour la première fois en tant que femme. On découvre sa sexualité balbutiante lorsqu’elle renoue avec son propre corps au contact d’un autre, cicatrisé, celui de Vicky, marqué par une double mastectomie.
La fonction reproductrice n’est plus déterminante pour décider si le corps féminin est bandant. Entre les mères et les gorgones, il existe maintenant un espace sacré pour les femmes âgées libérées du patriarcat. Des vieilles déchaînées.
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