Trafic de shit et engrenages violents entre Paris, Marbella et le Maroc. Plus saga familiale que série d’action, Cannabis parvient, malgré ses maigres moyens, à retourner le couteau dans la plaie du désordre social.
D’aucuns se sont empressés de comparer cette série à The Wire, modèle indépassable. C’est un mauvais service à lui rendre. Et surtout c’est inexact. Tout simplement parce que si Cannabis, minisérie de six épisodes créée par Hamid Hlioua, et diffusée en deux soirées sur Arte, traite bien de trafic de drogue, elle privilégie la famille et la communauté. La police, elle, est peu présente au fil des épisodes. Ce n’est pas pour autant une saga viscontienne comme Le Parrain, mais un prototype hybride entre soap opera, drame social et thriller, centré sur des individus plus que sur des gangs.
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Son atout dynamique, ce sont ses “effets papillon”. Trois événements déclenchent un engrenage destructeur : l’attaque et le vol en pleine mer de la cargaison du trafiquant arabo-espagnol El Feo (Pedro Casablanc) par son lieutenant Farid et un acolyte ; le viol et le meurtre de la jeune fille d’un cultivateur de hasch marocain par le même El Feo ; la décision d’une édile de la banlieue parisienne d’éradiquer le trafic de shit d’une cité que gère un nommé Morphée (Christophe Paou).
A côté des genres
Toute la série découle de ces fils narratifs, qui se tendent et s’enchevêtrent entre Paris, Marbella et le Maroc. Mais la pièce maîtresse de Cannabis est une femme aux airs BCBG, qui a priori n’a rien d’une trafiquante, Anna (Kate Moran), épouse irlandaise de Farid. La fébrilité mêlée de courage d’Anna donne sa couleur et son identité à la série. Tout comme ce personnage, au départ innocent, qui va s’impliquer dans le trafic et le proxénétisme après la disparition de Farid, la série n’est pas hyper spécialisée. Elle navigue à côté des genres (pas beaucoup de coups de feu, par exemple).
Si elle emprunte certains de ses éléments au polar et au thriller, ils sont réduits à l’essentiel. Du côté des trafiquants à Marbella, il n’y a guère que le terrible El Feo et son homme de main. Rien à voir avec le chef de gang habituel avec son armada de sbires surarmés. En banlieue parisienne, c’est également succinct : les dealers se réduisent à Morphée, Shams, deux petits revendeurs et un concurrent de Morphée. Les autres personnages sont transversaux entre famille, communauté et trafic.
Pas d’excès de testostérone
Cette distance par rapport aux canons du genre s’explique en partie par le fait que la réalisatrice, Lucie Borleteau, n’est pas une pro du polar et n’avait à son actif qu’un drame maritime en demi-teintes, Fidelio, l’odyssée d’Alice. De plus, Cannabis a été en majorité écrit et produit par des femmes (en dehors du showrunner Hamid Hlioua).
Série violente, donc, mais sans surcroît de testostérone, avec également un casting féminin assez important (la maire beur de banlieue, Anna, la femme du trafiquant, et bien d’autres). Sans oublier un accent rare sur l’homosexualité avec quelques scènes franches et presque frontales (qui restent rares à la télé).
Un chaos intrigant
On pourra certes tiquer sur la figure théâtrale du méchant, Omar el Fassi, alias El Feo (surnom signifiant “le laid” en espagnol), qui a le défaut de réunir trop de qualités en sus de son cynisme et de son sadisme extrême : onctueux, cultivé mais aussi sensible. Mais outre cette facilité ponctuelle, l’ensemble n’est ni balisé ni surligné, et l’ouverture que ménage le dernier épisode, le meilleur à notre sens, vers une forme de chaos (et une suite possible), est assez intrigante.
Si on s’attend à des confrontations musclées, des fusillades, ou à un travail documentaire sur le trafic de shit, on sera frustré. Mais si on préfère découvrir l’aspect humain de ce milieu, on ne peut pas être insensible à la série.
Cannabis les jeudis 8 et 15 décembre, 20 h 55, Arte.
Sur le site d’Arte, une expérience interactive, qui permet de suivre la trajectoire d’une feuille de cannabis jusqu’à la poche du consommateur, est associée à la diffusion de la série.
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