Dans la lignée d’un Jerry Seinfeld, le comique américain Louis C.K. casse la baraque avec « Louie », sitcom hilarante en forme d’autoportrait.
Il y a quelques semaines, de nombreux internautes français ont découvert avec stupeur qu’un type à la dégaine de beauf, un rouquin quadra avec des cheveux en voie de disparition, américain par-dessus le marché, pouvait les faire hurler de rire et plus si affinités. Dans la vidéo qui circule encore sur les réseaux sociaux, Louis C.K. intervient en tant qu’invité du talk-show présenté par un autre poil de carotte, l’amuseur public Conan O’Brien. Il y évoque l’un des sujets les plus rebattus au monde : l’addiction aux smartphones et pourquoi il faudrait s’en défaire.
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Une autoroute de la blague ? Avec la plupart des comiques, oui. Mais avec Louis C.K., lancé dans un monologue puissant, l’affaire se complique jusqu’à se tordre. En quelques minutes, il est question d’extrême solitude, de la gestion des intervalles dépressifs qui surgissent au volant de sa voiture, et enfin de la nécessité de passer des moments à ne rien faire pour se sentir vivant – anéanti par le manque des autres, mais vivant. Un humour introspectif à la fois profond et léger, d’une banalité totale et complètement nouveau : telle est la signature de celui qui pourrait être élu homme le plus drôle d’Amérique. Si on leur en donnait l’occasion, les gens voteraient sûrement pour celui qui réussit à les bouleverser de rire. Car il est possible d’être bouleversé de rire.
La carrière de comique de stand-up de ce fan de figures légendaires comme Richard Pryor, Bill Cosby ou encore Steve Martin a décollé depuis presque vingt ans dans son pays. Mais s’il remplit désormais des salles gigantesques, Louis C.K. s’est imposé comme un phénomène à infusion lente. Il a longtemps porté l’étiquette sympa et néanmoins un peu frustrante de « comique pour comiques » – adulé par les siens mais largement inconnu des masses -, passant une grande partie des années 90 dans les coulisses de la télévision, comme pourvoyeur de jokes pour les émissions de fin de soirée, notamment celle de David Letterman. Son meilleur pote a longtemps été Chris Rock, pour qui il a imaginé des tonnes de sketches et réalisé un film devenu culte mais conspué au moment de sa sortie, Pootie Tang (2001). Les deux hommes ont aussi écrit plusieurs scénarios ensemble.
Au bout du chemin, c’est à travers une série télé qu’un public beaucoup plus étoffé (et mondial) peut aujourd’hui écarquiller les yeux devant Louis C.K. Après une première tentative intéressante mais inaboutie au sein de la puissante HBO (Lucky Louie, 2006), la chaîne FX lui commande une série en lui promettant une autonomie artistique totale. Depuis 2010, le deal est toujours peu ou prou le même : Louis C.K. a carte blanche mais doit maintenir les coûts au plus bas, environ 250 000 dollars par épisode, une paille à l’échelle de la télé américaine, où la moindre sitcom coûte entre un et trois millions de dollars les vingt minutes de rire incertain. Le résultat s’appelle Louie, un autoportrait à peine déguisé : Louis C.K. a simplement changé la dernière lettre de son prénom et son alter ego a pris forme. Un alter ego qui habite New York, comme lui, et met en scène brutalement sa crise existentielle, comme lui.
La série propose un voyage sans confort dans l’intimité de ce divorcé avec enfants en mal de rencontres satisfaisantes. Chaque épisode suit les pérégrinations plus ou moins burlesques et/ou gênantes de ce corps ordinaire, entrecoupées d’extraits de ses sketches dans des clubs de comédie. D’autres ont inventé ce format avant lui, Jerry Seinfeld en tête, mais Louis C.K. semble l’avoir porté à son point d’assèchement maximal. Et sublime.
http://www.youtube.com/watch?v=2zkQtUshffk
Peu riche en rebondissements, Louie ressemble à une divagation comique fascinante, où le mouvement des blagues se fond dans une atmosphère de confession perpétuelle. Frontal dans les sujets qu’il aborde – le sexe, les enfants, la mort, l’amitié, le spectacle – Louis C.K. parvient à dépasser le simple mauvais esprit à la mode Ricky Gervais – un de ses amis.
Au-delà du malaise, chaque épisode de Louie dessine une forme de vérité humaine radicale d’où surgit une émotion sans larmes. Un chef d’oeuvre que Louis C.K. met au monde quasiment seul, Vincent Gallo style, écrivant, réalisant et montant la majorité des épisodes, en plus de jouer le premier rôle. Cette solitude d’artisan génial lui va bien. Depuis ses débuts, il n’a appartenu à aucun mouvement, même si Woody Allen l’a adoubé, lui offrant un petit rôle dans son dernier film, Blue Jasmine. Le gang Apatow, si important aujourd’hui en Amérique quand il s’agit de comédie, lui reste totalement étranger. Louis C.K. est une île à lui tout seul. A visiter d’urgence.
Louie saisons 1 à 3, chaque lundi, 19 h 50, OCS City
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