Pour sa cinquième saison, la dernière d’Eric Rochant, Le Bureau des légendes fait un pas de côté, dramatiquement et géographiquement, pour sonder l’âme de ses personnages.
La cinquième saison du Bureau des légendes incarne un tournant à plusieurs titres. D’abord parce qu’il s’agit de la dernière avec Eric Rochant au poste de showrunner. Depuis le milieu des années 2010, le créateur de la série a passé ses jours, ses nuits et ses vacances avec les espions de la DGSE, un mode de vie dont il a sans doute atteint les limites exténuantes. Il fallait marquer le coup. Rochant le fait ici avec une certaine discrétion rigolarde. Dans le troisième épisode, sa silhouette longiligne surgit (pour la première fois dans la série) dans un rôle secondaire, celui d’un agent censé aider un « clandestin » un peu paumé sur le terrain. « Tu peux me poser toutes les questions », glisse-t-il au jeune homme qui n’en mène pas large. On peut y voir un instant meta. Service après-vente du scénario, j’écoute ?
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Des questions, de fait, il y en a. Notamment autour de Malotru, le personnage principal que personnifie un Mathieu Kassovitz à l’épuisement christique ultra-photogénique. Dans les derniers instants de la saison précédente, il était mort. Et maintenant ? Spoiler oblige, on ne donnera pas la réponse ici (elle arrive relativement vite), mais on remarquera quand même que la catastrophe envisagée produit un effet plutôt inattendu.
Cette cinquième saison est celle du renouvellement, des pas de côté assumés, presque dansants. La série, sûre d’elle-même et de ses effets, se permet quelques mutations. Le sort de Malotru n’y change pas grand-chose, au fond : Le Bureau des légendes touche désormais au privilège des fictions qui durent et peuvent se découvrir de nouveaux muscles.
Un précis de la décomposition d’une communauté
Toujours centrée sur la Russie mais largement différente des précédentes du point de vue rythmique, cette saison se promène jusqu’à Phnom Penh et passe même une tête au Yémen et en Arabie saoudite. Elle ajoute Louis Garrel à la team d’agents secrets, ce qui lui va comme un gant : on jurerait qu’il a toujours été là, avec ses rendez-vous dans des bars d’hôtels trop luxueux, ses mines fatiguées, sa mélancolie collée aux yeux.
Multipliant les petits sauts temporels et les changements de géographie, Le Bureau des légendes avance comme un précis de la décomposition d’une communauté et des âmes qui la composent. La vision des intimités que propose cette saison dépasse en force et en sentiments ce que s’était permis la série jusqu’à présent, en tous les cas dans les six premiers épisodes que nous avons pu voir (sur dix) au moment d’écrire ces lignes. JJA (Mathieu Amalric) représente une sorte de cas d’école cabossé, dont on découvre les couches de noirceur délicatement épluchées. Le danger pèse sur tout le monde. Mais, en même temps, la série devient plus souple et agile que jamais, cassant à intervalles réguliers le ronron épuré qu’elle a pu parfois installer. On l’aimerait encore plus radicale, mais elle ne manque pas de courage.
Quelque chose craque en permanence sous la surface. Peut-être une irrépressible montée du désir ? Jamais on n’avait autant baisé que dans cette saison… Captivante depuis cinq ans parce qu’elle a su prendre le pouls des secrets du monde, la série est maintenant moins un traité géopolitique bercé par les trajets des un·es et des autres qu’une exploration de parcours intérieurs mâtinée de géopolitique. Un changement d’équilibre qui devrait se confirmer avec les deux derniers épisodes de la saison, confiés à Jacques Audiard…
Le Bureau des légendes saison 5 à partir du 6 avril sur Canal+
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