En 1mn40, la minisérie télé Bref croque avec humour la lose d’un trentenaire ordinaire. Toute ressemblance… par Diane Lisarelli, Johanna Seban et Pierre Siankowski
Bref, on a rencontré les mecs de Bref. C’était mercredi dernier à Paris, genre tôt, pas loin de Bastille. On avait rendez-vous dans la boîte de production où ils bossent. Les mecs étaient là. Ils étaient trois : Kyan Khojandi, le jeune type un peu dégarni qui joue dans les épisodes. Bruno Muschio, un autre jeune type avec plus de cheveux et des lunettes, qui écrit avec Kyan Khojandi. Et Harry Tordjman, un dernier type un peu dégarni aussi qui tient la boîte qui produit ce qu’écrivent Kyan Khojandi et Bruno Muschio.
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Ils nous ont accueillis dans leur appart/bureau de trentenaires : murs blancs, parquet, déco minimale. Sympa. Ils nous ont accueillis avec des croissants et du thé. On a remarqué dans le coin de la cuisine une vieille pizza froide de la veille. Ça veut certainement dire qu’ils travaillent tard. On a vu des ordis un peu partout sur lesquels sont écrits et montés les épisodes. On a vu le titre des épisodes à venir et on garde le suspense parce qu’on est cool. On a bu notre thé dans des tasses Curb Your Enthusiasm, la série de génie qui met en scène le producteur de Seinfeld, Larry David (influence avouée des trois, parmi une ribambelle de séries américaines dont les DVD emplissent les étagères). On a mangé les croissants avec les mecs de Bref. Ensuite on les a interviewés. Bref, on a rencontré les mecs de Bref. Soit le phénomène le plus incroyable de la rentrée, télé et web cumulés.
Tout a commencé à la fin du mois d’août, quand, quelques jours avant la reprise du Grand Journal, un trailer circule doucement sur le net, mettant en scène le fameux Kyan Khojandi, héros de Bref donc, et Michel Denisot, présentateur du Grand Journal.
http://youtu.be/YhPIgRfmFn0
Ça ressemble à une pastille de plus dans une émission qui en compte déjà pas mal mais c’est bien plus que ça. Les épisodes s’enchaînent, ça tourne hyper vite, ça like et retweet dans tous les sens. Kyan Khojandi joue à merveille le trentenaire qui passe ses soirées sur le chat Facebook dans l’espoir de pécho entre deux branlettes. A travers lui, c’est toute la génération numérique pré et post trente qui jubile.
En quelques semaines à peine, la fan page Facebook de Bref explose et compte plus d’un million de membres. Sur Twitter, le programme a plus de 30 000 followers au compteur. Le 6 octobre, lorsque Le Grand Journal reçoit les trois types, l’émission réunit près de 2,5 millions de téléspectateurs, soit le record de la saison. La semaine dernière, les Guignols ont réalisé une parodie de Bref mettant en scène DSK et Nafissatou Diallo. « C’était dingue, explique Kyan Khojandi, je regarde les Guignols depuis que j’ai 10 ans. » On peut dès lors décemment parler de succès.
Bref, au départ, c’est la rencontre assez logique entre trois types qui ont pas mal écumé les castings téloches, les salles de stand-up et les émissions éphémères (Le Belattar Show et On achève bien l’info sur France 4 pour Kyan Khojandi), qui ont écrit des textes pour des mecs sans que ça décolle forcément (au Comedy Club notamment pour Bruno Muschio) et qui ont traîné leurs guêtres dans tout ce que Paris compte de boîtes de prod (Harry Tordjman). Les trois types en ont soupé chacun de leur côté. Khojandi période Belattar Show rencontre Muschio, puis Tordjman qui lui propose de produire son stand-up ; et Khojandi fait le lien entre ces deux-là. Du coup, ça donne un trio.
Les trois types ont un point commun : ils font partie de cette génération de prétrentenaires à qui des postquinquagénaires disent en permanence :
« C’est bien ton truc, mais tu devrais faire autrement pour que ça marche. »
Et au final c’est pourri. Pour la première fois de leur vie, ils décident de ne pas faire autrement et de s’enfermer tous les trois « pour faire ce qu’ils ont vraiment envie de faire », racontent Kyan Khojandi et Harry Tordjman. Finis les projets foireux qu’on assume du bout des lèvres et qui rapportent au final de quoi s’acheter des pâtes et éventuellement la sauce qui va avec – on ne parle même pas du parmesan. Les trois copains décident de raconter ce qu’ils connaissent le mieux, les galères de mecs de leur âge, à tous les niveaux : famille, meufs, boulot, fric, potes, déprime. Bref, les errances de toute une génération née sous Mitterrand, qui a fait ses études sous Chirac et qui galère sous Sarkozy.
Pour raconter cette France, ils font comme aux Etats-Unis : ils s’enferment et ils écrivent. « On est pas mal tournés vers les trucs américains. Depuis Le Prince de Bel Air, ça claque aux Etats-Unis. Un jour, je regardais un DVD de Friends. Dans les bonus, tu vois les auteurs qui arrivent sur le plateau dès que ça rigole pas et qui changent la vanne. Il y a une réflexion globale entre les acteurs et les auteurs et ça, ça nous plaît », explique Kyan Khojandi, qui juste d’avant d’écrire Bref est parti à New York en mode « prends ton dollar et ta banane » pour jouer son stand-up et surtout voir de plus près comment ça se passait de l’autre côté de l’écran et de l’Atlantique.
Autoproclamé » chroniques extraordinaires d’un mec ordinaire », Bref explore la vie des trentenaires désabusés. Du genre de ceux qui sont encore en coloc alors qu’ils ont passé les 29 ans ou qui traînent chez eux en T-shirt South Park acheté à la fin des années 90 et rarement lavé depuis. Ceux dont la descendance meurt quotidiennement dans un rouleau de Sopalin, qui collent des photos au mur avec de la Patafix jaune et qui sont immanquablement dégoûtés après parce que la Patafix ça laisse toujours une trace sur les murs blancs.
Bref, Bref c’est la bonne grosse lose comme on l’aime – plus près du Tranxène 500 que du strass et des paillettes. Une sorte de version télé intelligente et pertinente de Vie De Merde (VDM), site internet à succès recensant des anecdotes courtes sur les désagréments de la vie quotidienne (exemple : « Aujourd’hui, j’ai appris que mon surnom au boulot était ‘la molaire’. Parce que je suis la grosse du fond. VDM. ») Autodérision, forme imposée devenue leitmotiv, concision et esthétique de l’échec. Bingo.
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Tout ça, Khojandi, Muschio et Tordjman, qui frisent tous les trois la trentaine, l’ont appris dans la vraie vie. Kyan Khojandi est né à Reims, a appris le violon, fait de la danse hip-hop, puis des études de droit avant de tout plaquer pour entrer au Cours Simon à Paris. Bruno Muschio, fils d’un antiquaire parisien, a arrêté les études à 16 ans, travaillé dans la boutique de son père, arrêté parce qu’il ne comprend toujours pas « pourquoi certaines chaises valent 25 euros et d’autres 1 500 », puis fait des boulots alimentaires pour se donner le temps d’écrire. Harry Tordjman, parisien lui aussi, a fait du droit spécialisé en audiovisuel et un DEA qui lui a appris « la connaissance administrative et financière » dans des « bonnes boîtes », mais au fond il s’emmerdait royalement. Trois parcours différents qui tous ont exploré les méandres de la lose adulescente, pour se téléscoper brutalement et faire de Bref un concentré de culture contemporaine.
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Outre le fond, le succès de Bref vient aussi de sa forme. Un montage ultranerveux, un style inspiré, des phrases courtes et enchaînées hyper rapidement. Le narrateur et le montage cut rappellent certaines scènes du cinéma où il est question de teenage junkies (notamment une scène culte des Lois de l’attraction, le film de Roger Avary adapté du roman de Bret Easton Ellis). Kyan Khojandi :
« On voulait intégrer ce côté dynamique, qu’on peut retrouver dans les films de David Fincher ou de Guy Ritchie, à de la comédie. Jusque-là, c’était plutôt réservé à des choses pas marrantes. »
Cette efficacité alliée à un golri homemade marche pourtant pas mal. Le ton et l’écriture sont d’une originalité indéniable dans le PAF (ce qui n’était pas non plus très dur). Résultat : énormément de parodies sur internet, plus ou moins inspirées. La force de Bref, c’est en effet d’avoir réussi à entrer dans la télé sans en reprendre les codes un peu éculés pour toute une génération. « La télé, c’est simple, on l’a même pas », note Bruno Muschio. La culture des gars de Bref, c’est vraiment celle du web.
« On n’a pas de côté geek, mais les écrans c’est notre vie. Donc on a eu envie d’utiliser les interfaces : les SMS, Facebook, l’iPhone… Si on avait fait Bref en 2000, on aurait utilisé les moyens du bord. Là, le héros poke les filles sur Facebook. En 2000, il aurait envoyé un texto avec un smiley. C’est juste le langage d’aujourd’hui. »
La modernité du langage et des thèmes fait aussi penser aux bandes dessinées de Riad Sattouf ou à son film Les Beaux Gosses. « C’est le souci du réalisme, du parler vrai. On n’aime pas trop quand ça parle autrement. Dans la réalité, on préfère que la personne dise ‘j’ai été’ au lieu de dire ‘je suis allée' », explique Bruno Muschio. En regardant Bref, on pense aussi beaucoup aux productions de Judd Apatow (40 ans, toujours puceau, En cloque, mode d’emploi, Funny People). « On adore ça. Il y a un côté très vrai dans ses productions. Dans En cloque, mode d’emploi, Seth Rogen, le héros, est un mec qui subit, à qui il arrive des trucs qu’il ne maîtrise pas. Un peu comme le héros de Bref. »
Le succès de Bref, c’est un peu ce qu’on appelle le keep it real en hip-hop, dis le vrai, quoi. Kyan Khojandi : « J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de stéréotypes sur ce que doivent vivre les mecs et les filles de notre âge. Genre, on nous dit ‘Y a des mecs, ils font l’amour toute la nuit’. Moi, ça ne m’est jamais arrivé de faire l’amour toute la nuit. C’est pas possible. En vrai, c’est deux fois, peut-être trois. Et puis après, on dort. Mais depuis qu’on est petits, on a ce sentiment d’être un loser parce qu’on ne fait pas ça. Alors que finalement tout le monde galère. » Tout le monde galère, et Bref a peut-être aujourd’hui le mérite de le dire clairement.
La suite? Les trois n’y pensent pas encore. Ils veulent d’abord finir les quarante épisodes pour lesquels ils ont signé avec Canal+. Quand nous les avons laissés, ils nous ont proposé de voir celui qu’ils venaient tout juste de monter. Bref, on a vu un épisode de Bref. Et comme tout le monde, on attend la suite.
Diane Lisarelli, Johanna Seban et Pierre Siankowski
Bref à 20 h 30 sur Canal+, trois soirs par semaine
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