Le premier épisode de la dernière (demi) saison de Breaking Bad vient d’être diffusé sur AMC. Pourquoi la fin de cette série nous fait-elle trépigner d’impatience ? Réponse en quatre points, avec (attention) quelques spoilers.
C’est souvent dans les derniers mètres que le showrunner Vince Gilligan est le plus éclatant. Le créateur s’est imposé comme un artificier d’une sidérante précision, véritable manipulateur dont on excuse volontiers les temps morts – il pose patiemment ses charges – au bénéfice d’un sens virtuose du twist déployé sur deux à trois heures de show : dans ses fins de saisons à l’architecture diabolique, le récit se soulève de part en part, traversé par des ondes de choc aux multiples foyers et dont l’enchâssement parvient toujours à une surnaturelle harmonie.
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La question que tout le monde se pose, c’est donc celle-ci : Vince Gilligan est-il en mesure de ficeler sa série avec la même terrassante finition que celle qu’il emploie à l’échelle d’une saison ? Car ce sens chirurgical de la démolition n’est jamais qu’un travail de petit génie, qui repousse la résolution réelle du personnage à un horizon plus lointain ; en d’autres termes, Breaking Bad sait mieux jongler que marquer, et pour l’authentique final de la série, même le plus sidérant tour de passe-passe ne suffira pas. Comme on dit en jargon scénaristique anglo-saxon, l’ »arc » du personnage doit s’achever, trouver sa cadence finale – pas seulement glisser habilement.
• Un mystérieux flash-forward
Le plus précieux indice sur le devenir des personnages vient de la série elle-même, et plus précisément de l’ouverture de la cinquième saison diffusée l’an dernier. On y voit en flash-forward Walter White (Bryan Cranston) fêter seul son 52e printemps, méconnaissable, dans un diner, avant d’acheter une cargaison d’armes. Les anniversaires de Walt sont un jalon pour la série : la quasi intégralité de l’action s’est logée entre son cinquantième et son cinquante-et-unième. Le resserrement est à la limite du vraisemblable vu la quantité d’événements qui s’y insère (ascension fulgurante, successions de guerres de gangs, divorces, fugues…), mais il sert à produire un effet de rendez-vous du personnage avec lui-même, de cycle fini. Une fois les bougies soufflées, Walter White a bouclé sa boucle ; il est maintenant dans le vide.
Moins de huit épisodes nous séparent d’un temps qui a jusque là mis quatre saisons à s’écouler. La série nous prépare donc un dynamitage de la chronologie, premier indice d’une narration éclatée au terme de laquelle il y aura, visiblement, du grabuge.
• Verser le sang
À l’approche du final d’une série, la survie des personnages est une valeur en déclin : faute d’horizon à long terme, la faculté à tuer et à mourir des rôles secondaires devient leur principal ressort dramatique, qu’il ne reste plus qu’à articuler convenablement dans la narration.
On peut raisonnablement s’attendre à un bain de sang de la part de Gilligan, qui l’a, en réalité, quasiment laissé entendre lui-même quant à la possibilité de placer le spin-off Better Call Saul en aval des événements de Breaking Bad – une option qui serait d’ores et déjà hors course. « Qui va mourir ? » est peut-être moins la question que « qui va survivre ? »
• Retour au polar
Avec le final de la saison 5-1, les scénaristes de la série ont pratiqué un nettoyage en règle ; table rase d’une partie considérable des tensions sédimentées en une cinquantaine d’épisodes, et inauguration d’une intrigue on ne peut plus simple : la traque de Walt par son beau-frère Hank. Cette chasse à l’homme, état fœtal de la série devenu une trame dormante au fil des saisons, s’était pratiquement faite oublier.
Ces huit épisodes sont donc inaugurés par une quasi inversion : les démêlés de Walter s’évaporent, son couple se ressoude, ses conflits disparaissent ; tandis que sur ce champ de bataille ratiboisé, un prédateur unique s’élève. Breaking Bad saison 5-2 s’annonce minimaliste. Un écrémage inédit des enjeux raccroche le récit à sa matrice d’origine, à savoir un Scarface de middle-class, tendu par un simple dilemme : être à la fois normal et criminel, loup et agneau, prof de chimie et dealer de crystal meth. Gilligan se défausse du superflu et ne garde en main que ses cartes essentielles.
• Le portrait de Walter White
Prévue pour une trame à un personnage, Breaking Bad s’est imposée comme une série à deux têtes, du fait de l’inattendue synergie entre Bryan Cranston et Aaron Paul. Jesse incarne la forme humaine et vivante d’un portrait de Dorian Gray, prenant ombrage de saison en saison au gré des crimes accumulés par un Walt intouchable, immune à sa propre spirale diabolique. L’un devient immortel autant que l’autre se zombifie. Breaking Bad n’a rien d’un buddy movie : c’est une liaison tragique, en crise perpétuelle, douloureusement soudée – en cinq saisons, les deux personnages n’ont que très ponctuellement connu des moments de complicité. Ils ont fréquemment cherché à s’entretuer, et pourtant, ils sont indéfectiblement liés.
L’arc narratif de Breaking Bad est bicéphale, et n’avance que par implosions. Il y a fort à parier qu’il s’achèvera en s’amputant, en s’écroulant, mais surtout pas en trouvant une harmonie. Arrivée à combustion, la série dispose maintenant de huit épisodes pour tout détruire. Bain de sang annoncé, l’ultime saison de Breaking Bad nous excite pour la plus élémentaire des raisons : parce que la loi inviolable des séries, qui contraint à amener les personnages jusqu’au point de rupture sans jamais les briser, est derrière nous. Walt, Jesse et leurs proches sont à nouveau mortels : ils rendent les armes.
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