« Boardwalk Empire », nouvelle série vedette de HBO sur la prohibition dans les années 1920, démarre poussivement. Mais on aurait tort de la balayer d’un revers de la main.
Au mois de septembre, HBO diffusait en fanfare le pilote de sa nouvelle série monstre, au budget officieux mais faramineux de 50 millions de dollars (sans compter les onze autres épisodes de la première saison !) avec un nom plus que ronflant à la réalisation : Martin Scorsese.
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Pour la première fois, l’auteur de Raging Bull, VRP infatigable de la cinéphilie mondiale, s’acoquinait avec le petit écran. Un nouvel hybride cinéma/télé devait naître. Telle ne fut pas notre (demi) surprise devant le résultat, que l’on qualifiera de légèrement, voire carrément ampoulé.
Travellings, plans-séquences, en veux-tu, en voilà, toute la gamme du parfait petit Scorsese était là pour lancer un récit qui n’en demandait pas tant. A trop vouloir gagner ses galons culturels et esthétiques en louchant vers le cinéma, la série semblait perdue dans les limbes de son propre pompiérisme dès ce coup d’essai. Horizon bouché.
Mais on le savait déjà : une fiction télé contemporaine ne se juge pas au premier coup d’oeil. Ni au deuxième, d’ailleurs. Parfois, quelques semaines au moins s’avèrent nécessaires pour pénétrer sous la chair du monstre. Boardwalk Empire s’occupe pendant ses premiers épisodes (jusqu’au quatrième au moins) de lancer des pistes comme on décocherait des flèches sans être sûr qu’elles atteindront leur cible immédiatement – parfois, en étant même persuadé du contraire.
Buscemi incarne un héros frêle, à l’opposé de Tony Soprano
Située dans le New Jersey (et par moments à Chicago) à partir de 1920, la série raconte l’ascension de Nucky Thompson, un baron du crime d’Atlantic City qui profite de la prohibition pour étendre son empire. C’est un gangster placide, parfois un peu falot, que Steve Buscemi met du temps à apprivoiser.
Terence Winter, le créateur du show, a travaillé longtemps en tant que scénariste des Soprano, oeuvre télé séminale des années 2000. Son héros est aussi frêle que Tony Soprano était massif. Ils partagent une tendance à l’introspection, mais leur douleur face à la vie n’a rien à voir. Tony Soprano regrettait un âge d’or perdu et verbalisait ses manques chez un psy, Nucky Thompson tient les représentations du passé en horreur et fait tout pour les empêcher de remonter. Il va jusqu’à brûler la maison de son enfance, mais on n’en dira pas plus.
Si Boardwalk Empire ne se débarrasse jamais complètement de quelques lourdeurs « folkloriques » dans sa manière de rejouer les codes du film noir, à cause de choix visuels plutôt conservateurs, il devient difficile de balayer la série d’un revers de la main quand on comprend après plusieurs épisodes une partie de son sujet : une réflexion sur le mal comme un genre d’acrobatie entre le hasard, le destin et la nécessité.
Des femmes impressionnantes
Entre ce qui s’échappe d’eux-mêmes sans contrôle apparent et ce qu’ils croient faire en pleine conscience, les criminels ont du mal à effectuer le tri. Les autres personnages (les femmes, en général, toutes impressionnantes) mènent également une existence troublée, parfois semi-clandestine, foncièrement solitaire.
Les liens entre tous semblent prêts à rompre au moindre coup de dé.
« La base du romanesque, c’est que les gens développent une sorte de connexion entre eux. Mais dans la réalité, les gens ne se connectent pas », explique à l’épisode 7 un jeune homme défiguré par la guerre, qui a décidé d’arrêter pour toujours de lire de la fiction.
Terence Winter a-t-il vu Les Deux Anglaises et le Continent (« La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas ») ? Il tente en tous les cas de nouer à son rythme un dialogue avec l’humanité à travers un récit de plus en plus troué. Boardwalk Empire, où l’art d’aimer les séries pour ce qu’elles sont.
Olivier Joyard
Boardwalk Empire à partir du 19 décembre sur Orange Cinéma Séries.
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