Révélée par la série « WorkinGirls » sur Canal+, Blanche Gardin dégaine son humour décapant dans le stand-up, et ça pourrait faire très mal.
Si une personne vous explique qu’elle est normale, intéressez-vous sérieusement à son cas et cherchez où se trouve la surprise. Blanche Gardin est un bon exemple. Dans la série de Canal+ WorkinGirls, elle joue avec brio une “chef de projet marketing” déstructurée. Son spectacle de stand-up, Il faut que je vous parle, dévoile un caractère provocateur propre à faire passer Lena Dunham pour une fille tranquille. La trentenaire originaire d’Asnières y raconte sa vie, à base de “sexe, de mort et de problèmes de couple”, seule face à son micro, en robe à pois. Un succès mérité. La rencontrer, c’est donc se demander pourquoi elle prononce des phrases comme celles-ci : “Je n’ai pas ce truc insolent, cette excentricité des créateurs. Je ne me suis jamais sentie artiste. Je me trouve vraiment normale”.
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Tout ou presque tendrait à prouver le contraire. A 17 ans, Blanche Gardin a mis un coup de fouet à sa vie d’ado en fuguant loin de sa famille, “père prof de fac, mère traductrice, limite catalogue de la Camif”, avec l’idée de se “suicider avec une copine”. Ambiance. “On a renoncé et finalement débarqué à Naples. Mes parents ont pris dix ans. Je leur avais écrit une lettre où je disais de ne pas s’inquiéter pour moi, de faire comme si j’avais eu un cancer…” Après un passage par la case punk à chien et vie en squat, Blanche a fini par rentrer à la maison au bout de neuf mois, direction le bac puis la fac de socio. “J’ai quand même fait chier mes parents en quittant le cursus en cours de route pour me lancer dans l’ébénisterie. Ça a duré six mois.”
« Je n’ai pas de problèmes à être quelqu’un d’autre »
Au moment de passer sa maîtrise, la jeune femme habituée aux expériences extrêmes endosse le costume de flic, sur les conseils d’un prof. “Je voulais faire mon DEA sur l’incorporation de la culture policière, au sens bourdieusien du terme : comment on intègre dans son corps le fait d’être policier. Je suis entrée en sousmarin chez les flics comme agent de sécurité. Trois mois d’internat avec les gardiens de la paix, à apprendre à tirer, saluer le drapeau à 7 heures du matin, en mode schizo. Puis j’ai fait la circulation au Sénat, gardé le domicile de Fabius… J’avais un petit automatique. Ça s’est bien passé. Je me suis limite trouvée sexy ! Je n’ai pas de problèmes à être quelqu’un d’autre. J’ai plus de problèmes à être moi-même.”
La comédie est venue après les études, abandonnées au décès de son père. Elle “déconne” avec son ami Ali Arhab et un DVD atterrit sur le bureau de Karl Zéro qui les embauche pour les derniers mois du Vrai Journal. Puis vient le Jamel Comedy Club en 2006. Kader Aoun la présente à Jamel Debbouze et Blanche Gardin se fait remarquer avec sa tchatche traînante et néanmoins percutante. L’année suivante, la chaîne Comédie+ lui offre une série d’émissions, Ligne Blanche. Elle a 30 ans. “C’est l’époque où j’ai commencé à découvrir la tradition américaine du standup. Une claque. Aujourd’hui, j’encense des maîtres comme Marc Maron, George Carlin et bien sûr Louis C.K. J’ai vu ses spectacles et sa série plusieurs fois. Il est capable d’aller chercher le plus impensable chez un individu – en l’occurrence lui-même – et de faire rire avec.”
“Je ne contrôle pas ce qui va arriver sur scène »
Sans être écrasante, l’influence du génial comique new-yorkais plane sur Il faut que je vous parle – première tentative 100 % solo de la comédienne –, via des références (une blague sur les pédophiles !) et aussi un mélange spécifique d’humour distancié et de frontalité pince-sans-rire. “J’aime le stand-up car il faut être hyper présent sur le moment, en donnant l’illusion qu’on est en train de réfléchir à ce qu’on dit. Ce n’est pas comme jouer un texte : on parle de son existence concrète. Pour moi, on ne peut faire rire en stand-up que si l’on part de la vérité”. De manière “obsessionnelle”, elle retravaille son spectacle chaque semaine. “Je ne contrôle pas ce qui va arriver sur scène, mon cerveau décide pour moi. Si je pense à une situation deux ou trois fois à quelques jours d’intervalle, je m’en sers.”
Cela donne un moment singulier et barré, où une psyché de fille vaguement bobo et complètement célibataire s’étale sans fioritures, à rebours du magma sentimentalo-pornographique ambiant. Dur mais hilarant. Après l’émergence de Camille Chamoux, les bonnes nouvelles se succèdent au pays de la blague française féminine. Mais Blanche Gardin n’en est pas encore à analyser le futur. Alors qu’elle coécrit actuellement ce qui devrait être le prochain film réalisé par Eric Judor, elle préfère s’étonner du présent : “J’ai mis longtemps à être drôle.”
Il faut que je vous parle les vendredis et samedis à 21 h 30 à la Nouvelle Seine (Paris Ve). Interdit aux moins de 16 ans.
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