Les formats et les thématiques classiques ont éclaté dans une année série très riche et diverse, dominée par les nouveautés « True Detective », « The Knick » ou « Transparent ». Un nouveau souffle très excitant après l’âge d’or des années 2000.
La secousse a eu lieu dès le mois de janvier, lorsque deux hommes saisis par le spleen ont pris le pouvoir sur l’imaginaire mondial. Rust Cohle (Matthew McConaughey) et Marty Hart (Woody Harrelson), les héros de True Detective, n’ont pas fait qu’enquêter durant deux décennies sur des meurtres sordides dans la moiteur de la Louisiane. Juste après la fin de Breaking Bad, qui avait marqué 2013, ils ont aussi repoussé plus loin les limites de ce que nous pouvons attendre d’une série. Atmosphérique, dépressive et souvent fascinante, la création de l’ancien prof de littérature et écrivain Nic Pizzolatto, seul aux commandes de l’écriture, a tenté d’embrasser plusieurs genres (le polar, le conte, la fable philosophique) pour former un magma fictionnel aux contours à la fois majestueusement ajustés et totalement mouvants. Certains n’y ont vu que du vent et donc beaucoup de bruit pour rien. D’autres encore ont préféré la parodie de Jim Carrey dans l’émission Saturday Night Live à l’original. Mais True Detective a su résister à sa propre fragilité et à un dernier épisode controversé pour concevoir le récit d’une époque chancelante.
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La pépite de HBO domine une année riche, notamment en nouveautés (70 % de notre top 10) et illustre une tendance claire à la remise en cause épanouie des formats ordinaires. On ne reverra pas les deux compères Cohle et Hart pour la saison 2, actuellement en tournage en Californie avec d’autres acteurs – Colin Farrell, Vince Vaughn, Rachel McAdams notamment. Dans la foulée d’American Horror Story, True Detective a en effet réactivé le vieux genre de la série anthologique, où chaque fournée d’épisodes est consacrée à une histoire et un décor différents, et interprétée par de nouveaux personnages.
Les chaînes comme les scénaristes chérissent de plus en plus ce format. Il permet à la fois d’attirer de grands comédiens tout heureux de s’engager pour une période courte, mais aussi d’éviter (a priori) la fuite en avant ou l’essoufflement narratif qui emprisonne parfois certaines séries. D’un point de vue moins optimiste, on peut y déceler une remise en cause potentielle des délices historiques du genre, liés au passage du temps. Les années à venir diront si nous devons envisager le deuil de notre rapport organique aux récits sériels étirés, avec leurs personnages vieillissant au même rythme que nous. En attendant, on peut profiter sans trop d’arrière-pensées de Fargo, une autre anthologie adaptée du film des frères Coen, merveille de précision scénaristique et de noirceur amusée. Toujours au rayon des formats atypiques et/ou clos, on notera que deux des meilleures séries de l’année sont techniquement des miniséries : P’tit Quinquin en France et Olive Kitteridge aux Etats-Unis, quatre épisodes chacune au compteur.
Si les formats évoluent, des questions de forme se posent aussi et valident l’idée que le genre aborde un tournant dans sa diversité et son mode de fabrication, autant que dans ses thématiques. Les réalisateurs de cinéma fricotent depuis longtemps avec les séries, mais aucun parmi les meilleurs n’en avait investi une dans sa totalité depuis les seventies – Fassbinder pour Berlin Alexanderplatz, Pialat pour La Maison des bois, notoirement. Voilà pourtant ce qu’a fait Steven Soderbergh l’été dernier avec The Knick, tortueuse et captivante évocation d’un hôpital pré-antibiotiques à New York circa 1900. Lassé des contraintes hollywoodiennes, l’auteur d’Erin Brockovich a retrouvé du souffle en signant ces dix épisodes et travaille actuellement sur la suite. Cary Fukunaga, lui, a imprimé sa marque à True Detective. Bruno Dumont, de son côté, a secoué la placidité du PAF en explosant les audiences d’Arte grâce à son P’tit Quinquin, reformulant au passage les enjeux de son oeuvre depuis La Vie de Jésus. Alors que depuis une décennie la figure centrale du showrunner (scénariste-producteur comme Matthew Weiner de Mad Men) reste bien vivante, faut-il désormais parler des “séries de réalisateurs” comme d’un sous-genre ?
Les définitions permanentes dans une industrie aussi éclatée restent difficiles et c’est tant mieux. Devant Transparent, l’un des chocs de l’année dont le personnage central est une transsexuelle du troisième âge, on a envie d’évoquer avec joie la naissance potentielle de la “série indé”, bien que le concept reste incertain – Transparent a été financée et mise en ligne par… Amazon, pas vraiment un modèle alternatif à l’industrie dominante. Il reste que la migration vers les séries de sujets autrefois pris en charge par le cinéma (notamment estampillé “d’auteur”) se fait sentir avec des oeuvres totalement libérées des contraintes grand public ordinaires, que ce soit le drame poisseux Rectify, la provocante Utopia, les comédies de moeurs Girls, You’re the Worst et Broad City, ou encore le plus indépendant de tous, Louis C.K., à la tête de sa fulgurante autofiction Louie.
Dans son livre-somme Des hommes tourmentés, sorti en France à l’automne (La Martinière), l’Américain Brett Martin dressait un portrait de groupe de la génération de créateurs qui a transformé la télévision entre 1997 et 2010 (David Chase des Soprano, David Simon de The Wire, etc.). L’âge d’or qu’ils ont façonné est bel et bien devenu de l’histoire. Il semblerait que la suite s’annonce au moins aussi passionnante.
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