Pamela Adlon conclut sa série “Better Things” avec une cinquième saison toujours aussi renversante de simplicité. Parce que c’est ça aussi la vie de famille.
La question la plus pertinente à se poser aujourd’hui n’est peut-être plus de savoir quelle série regarder (il y en a trop, elles nous submergent) mais de comprendre plutôt ce qu’on attend d’une série en 2022. Quel rapport amoureux le ou la spectateur·trice cherche-t-il ? Quelle puissance politique ? Quel degré de consolation ? Quel type de mécanique et quel rapport au divertissement ? Ces jours-ci, l’arrivée de Yellowjackets, petit bonbon meta s’il en est, remet au centre du jeu les folies narratives des années 2000-2010 – celles de Lost, puis de This is Us notamment – avec un certain brio, mais aussi une légère sensation de vacuité. A-t-on vraiment envie de tant de séries qui nous emprisonnent dans un rapport de sidération permanent et de rebondissements post-soap ? On se pose aussi cette question devant chaque épisode d’Euphoria, qui navigue dans une zone indécise, passionnante, féroce. La zone bizarre d’un monde bizarre.
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Et puis il y a Better Things, à l’autre bout de tous les spectres. Le genre de série qui ne demande rien à personne, si ce n’est un peu d’attention à son existence-même, si fragile. La création de Pamela Adlon et Louis C.K. – la première est seule aux commandes depuis plusieurs saisons – arrive cette année au terme de son parcours, cinq saisons qui tiennent du miracle puisqu’elles ne racontent dans leur totalité pas même autant d’histoires qu’un demi-épisode de Yellowjackets. Enfin, pas d’histoires au sens comptable du terme, mesurables en cliffhangers et retournements. Ici, il ne se passe rien, si ce n’est la vie-même. Celle de Pamela Adlon et/ou de son double créatif, Sam, une quinquagénaire de Californie dont les filles et la mère occupent son temps, sauf quand elles disparaissent, grandissent ou menacent de mourir.
Chronique de la banalité
Au fil du temps, la comédienne et son âme sœur fictionnelle ont raconté le chemin exigu entre l’immense charge mentale d’une mère sans autre parent à la maison et l’émancipation d’une femme, jamais acquise. Le tout dans une seule et même personne. Dans les premières minutes du premier épisode de la nouvelle saison, la caméra se promène doucement, sans élégance particulière. Elle furète d’abord près de la maison de Sam, sur le front de mer où vivent des sans-abris, puis à l’intérieur où elle dort paisiblement. La visite continue, entre le dehors et le dedans, jusqu’au moment où Sam va chercher ses filles à l’aéroport. C’est une manière d’entrer dans son rythme, celui d’un ennui quotidien et d’une joie qui surgit par petites touches : des retrouvailles, un câlin, une conversation dans la voiture. Et si cela suffisait à raconter une histoire ? Sam annonce qu’elle est devenue “Volcel”, c’est-à-dire une célibataire par volonté. Plus tard, elle termine l’épisode devant une émission de télé-réalité, avec son ami gay qui vient de se faire larguer. La chaleur d’une peau suffit à regarder devant soi.
Dans les semaines qui arrivent, Better Things va se poser la question de conclure un récit qui, par définition, fonctionne par vagues et par cercles plutôt que par saillies d’événements. Il sera forcément question de l’état de son désir, de la manière dont ses filles, ses amis et sa mère habiteront ou non le monde qu’elle s’est construit. Regarder cette série, c’est forcément renoncer à un rapport classique à la fiction, accepter que le genre peut chroniquer un quotidien banal et ne pas chercher la séduction à tout prix. En six ans, Pamela Adlon aura construit de ses mains ce monument discret à la gloire des femmes seules, des mères débordées, des familles en dehors du cadre. Elle aura fabriqué un refuge pour elle, pour nous.
Better Things saison 5, de Pamela Adlon, sur MyCanal
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