La création de Bill Hader revient pour une nouvelle livraison dans laquelle le burlesque froid et dépressif fait souvent merveille.
Plutôt discrète même si elle est diffusée sur la toute-puissante HBO, la chaîne des Soprano et de Succession, Barry trace sa route depuis quatre ans avec toujours le même angle de vue : décortiquer scène après scène des personnages à la fois étranges et banals, saisis au moment où leur vie se retourne sur elle-même, pour partir dans une direction inconnue et probablement dangereuse.
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Pour rappel, le premier épisode montrait le héros, un ancien marine devenu tueur à gages à Los Angeles, faisant irruption par hasard dans un cours de comédie. Il se lançait bientôt dans deux carrières parallèles, l’une le flingue à la main, l’autre sur les planches ou devant la caméra. Au point de se rapprocher toujours un peu plus de la folie.
Entre comédie et tristesse
À l’origine de Barry, on trouve le comique Bill Hader, qui joue le rôle-titre, mais aussi le vétéran de la comédie Alec Berg, ancien scénariste de Seinfeld devenu réalisateur, notamment de Larry et son nombril. Pourtant, la rigolade n’est pas constante. Elle arrive plutôt par petites touches d’un burlesque froid, désespéré, qui se rapprocherait d’une tradition liée aux frères Coen et à certains aspects de Breaking Bad, notamment dans le goût pour la lenteur et la précision des effets. Sans se détacher de son ADN comique qui montre des hommes et femmes au bord de la crise de nerfs, la série déploie toujours davantage sa tristesse.
Dans la nouvelle saison qui vient de commencer, Barry avance dans l’existence comme sur un champ de ruines. Son ancien prof de théâtre est au plus mal, sa violence a fait de lui un homme incapable de véritables interactions. C’est un type dépressif au visage presque déformé par ses limites en tant qu’être humain. Il en est quasiment réduit à errer, Godot 2022 sans qualités. Alors qu’elle fait preuve d’une distance ironique par rapport à certains personnages et beaucoup de ses situations (notamment la description du monde des trafiquants, parfois proche du Grand Guignol), Barry prend très au sérieux la nature de son protagoniste principal, dont elle interroge l’identité de manière toujours plus nette. Et ce n’est pas très beau à voir.
Réflexion sur la violence masculine
Au-delà des outrances comiques et des accès sanguinolents qui ponctuent l’action de façon un peu prévisible, la série prend la forme d’une réflexion sur la violence masculine dans ce qu’elle a de plus quotidien et pernicieux. Au milieu de la saison, dans les plus beaux épisodes, nous sommes confrontés à une crise conjugale majeure qui prend sa source dans la manière dont le héros effraie sa compagne et abuse d’elle verbalement. Sally se rend compte subitement que ce qu’elle est en train de vivre n’a rien de normal et en tire les conséquences.
Si les scénaristes et réalisateurs montrent le mal-être de Barry, ce n’est jamais pour l’excuser, mais plutôt pour pointer son choix de laisser grandir en lui une profonde faille morale. Cela fait de la série l’une des plus subtiles analyses actuelles du héros masculin post-MeToo, cohérente avec l’histoire contemporaine des séries. Barry incarne peut-être bien la version terminale du mec abusif à qui l’on devrait tout pardonner, la fin presque fantomatique du modèle des “difficult men” mis en avant par le critique Brett Martin dans un ouvrage célèbre paru en 2013, qui évoquait Les Soprano, Mad Men ou encore Breaking Bad.
Critique d’un Hollywood déshumanisant
L’autre aspect intéressant de la série, même s’il paraît moins original, tient à sa description sans détours de la vie quotidienne à Hollywood, perçu comme un lieu de violence symbolique et économique déshumanisant. Dans cette saison, Sally a été promue showrunneuse de sa propre série et traverse l’expérience comme une joie et une souffrance, confrontée aux valeurs ultralibérales de la plateforme qui l’emploie – un genre de Netflix qui ne dit pas son nom – où à peu près tout est conditionné aux calculs froids des algorithmes.
D’un côté, un homme qui devient peu à peu une machine sans âme, de l’autre des machines qui déterminent la meilleure façon de mettre en scène le monde ; Barry a beau faire preuve en apparence d’une certaine modestie, son ambition est grande : rester accrochée aux soubresauts de nos expériences de vie post-pandémie. Souvent, la série saisit les personnages dans des moments où ils ou elles restent interdit·es, soit surpris·es, soit terrifié·es, toujours tétanisé·es par le monde tel qu’il semble devoir imposer sa marche brutale. Ces plans silencieux et morbides sont comme des petits interstices de vérités dans une fiction qui met souvent en scène des gens qui mentent. Pour rigoler vraiment, on repassera.
Barry, saison 3 disponible sur OCS.
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