Très académique dans sa forme, la série de portraits que Netflix consacre aux plus grands trafiquants de drogues de la planète offre un contrepoint documentaire saisissant mais parfois problématique aux fictions criminalo-narcotiques qui inondent les écrans. (Spoilers)
Cet article comporte des révélations sur la série Barons de la drogue.
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Les trafiquants de drogues ont la cote, ou du moins leurs avatars télévisuels : ces dernières années, des séries comme Narcos, consacrée à Pablo Escobar, ou Gomorra, plongée dans la mafia napolitaine, ont captivé des millions de spectateurs. Extrêmement documentées, ces fictions reposent sur le modèle dramatique éprouvé de l’ascension et de la chute, et orchestrent de véritables bains de sang autour de leurs figures centrales, dotées d’un charisme aussi irrésistible que problématique. La violence y est abordée comme le pendant de la réussite financière, et le crime comme une trajectoire possible de self made man capitaliste.
Face à ces avatars écrasants, la série documentaire Barons de la drogue tente un retour au réel en proposant une galerie de portraits des plus grands criminels de la planète : après Pablo Escobar ou Frank Lucas en saison 1, cette nouvelle volée d’épisodes s’intéresse à Joaquín « El chapo » Guzmán, Jemeker Thompson et Klaas Bruinsma.
Une forme scolaire parfois problématique
On commence à connaître le cahier des charges des productions documentaires de la plate-forme de vidéo à la demande, et la série le suit à la lettre : entrelacs d’images d’archives, de reconstitutions fictionnelles et d’interviews léchées des protagonistes face caméra, le tout lié par une voix off explicative et une bande son emphatique. Cette forme, extrêmement convenue, a le mérite d’exposer avec clarté des récits sinueux où se mêlent trajectoires intimes et stratégies politiques, faits divers et mythes nationaux.
Elle souffre néanmoins d’un sensationnalisme racoleur et d’une unicité gênante de point de vue (la question de la légalisation de l’usage de certaines drogues est oblitérée au profit d’une glorification permanente de l’intervention armée au nom de la défense des intérêts nationaux) et d’une absence de recul parfois gênante face à la parole recueillie. Son systématisme structurel (enfance difficile du trafiquant, ascension fulgurante dans le milieu du crime couplée à un intérêt croissant des autorités, étau qui se resserre jusqu’à l’inévitable sortie de piste) a quant à lui tendance à lisser les destins relatés, pourtant extrêmement différents.
Profession : dealer
Tourné juste après la fin de sa dernière cavale mais avant son procès, l’épisode consacré à El Chapo est le plus classique des trois. Si l’on suit avec attention les manœuvres retorses du mexicain pour accéder au pouvoir suprême, et que l’on reste glacé devant les conséquences macabres de ses activités et de la traque afférente, c’est par son insaisissabilité que le personnage fascine. Expert en tunnels souterrains, c’est en véritable taupe-ingénieure que le trafiquant nargue la pourtant très sécurisée frontière américano-mexicaine et s’évade de prison. Ennemi public numéro 1 au niveau national mais bienfaiteur vénéré à l’échelle locale, visage connu de tous mais corps invisible, la dualité du criminel fascine.
Jemeker Thomspon, reine du crack dans le LA dans années 80, est quant à elle beaucoup plus étonnante. Marquée durant son enfance par l’avis d’expulsion placardé à la porte du domicile familial, la trafiquante aujourd’hui repentie (elle dirige une congrégation évangéliste…) assure face caméra avec un aplomb confondant que son parcours criminel tout entier a été magnétisé par ce trauma originel. En apparence propre sous tous rapports, la jeune femme, également championne de course à pieds, commence à dealer dans son lycée, puis contrôle la distribution de tout un quartier avant d’exporter son business à l’international : il n’y aura jamais assez de billets verts pour éloigner l’étreinte glacée de la pauvreté. Stratège méticuleuse et étonnante transformiste, cette femme de poigne dans un monde d’hommes avance toujours sur le fil du rasoir et semble jongler avec les autorités comme le Leonardo DiCaprio d’Attrape-moi si tu peux.
Moins flamboyant, le troisième et dernier épisode met le cap sur l’Europe, et plus particulièrement l’Amsterdam post Summer of love aux rues inondées de narcotiques en tout genres. Klaas Bruinsma, pourtant, n’en vient pas, de ces rues : issu d’une famille de riches industriels, il se construire contre le modèle d’un père cruel et haï, s’acoquinant aux pires crapules pour briser son image d’enfant sage.
Hubris démesurée, revanche sociale et instinct de rébellion : plus qu’aux aspects spectaculaires du crime organisé, c’est à ces racines intimes que Barons de la drogue se connecte avec le plus de réussite.
Barons de la drogue saison 2, disponible sur Netflix.
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