Avec Kad Merad en cador lessivé rendant coup pour coup, Baron noir s’ancre avec justesse dans la réalité française.
Un type toujours fatigué qui passe ses nuits au volant et ses journées au téléphone, en quête d’un prochain coup de pression, d’une négociation serrée, d’un uppercut à retourner. Un solitaire endurci capable de faire de son intimité un champ de ruines, pour garder vivant ce qui l’excite vraiment : le frisson salace du pouvoir. Un mafieux ? Pas du tout. Le héros de Baron noir, Philippe Rickwaert, est député du Nord et maire de Dunkerque quand la série commence.
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Ce politicien made in France incarne une figure finalement peu vue dans la fiction d’ici (même si Les Hommes de l’ombre, axée sur les communicants, continue sur France 2) alors qu’elle apparaît régulièrement aux Etats-Unis, de l’ancestrale et géniale A la Maison Blanche à House of Cards en passant par la moins connue Madam Secretary, qui met en scène depuis deux ans la ministre des Affaires étrangères US – à voir à partir du 14 février sur Téva.
Déficit budgétaire et bourrage des urnes
Proposer une série politique ambitieuse en France ressemble à une nécessité, alors que la fonction provoque fantasmes et rejet massif. Mais avec Kad Merad dans le rôle-titre, vraiment ? Oui, vraiment. L’acteur de Bienvenue chez les Ch’tis semble avoir parlé déficit budgétaire et bourrage des urnes toute sa vie.Il promène sa carcasse un peu lessivée avec une sincérité et une ambiguïté en phase avec le rôle, donnant à son personnage à la frontière entre l’ordure et l’exalté une substance immédiate.
Quand Rickwaert fait le show en bleu de travail à l’Assemblée pour défendre généreusement l’accès des enfants d’ouvriers aux études supérieures, son éloquence crève les yeux. C’est son côté Monsieur Smith au Sénat (film de Frank Capra, 1939) mais aussi une illusion. Sa veulerie et son sens de la manipulation forment autant de retours à la saleté du réel. Dans Baron noir, l’idéalisme reste à distance. Pas question de détourner les yeux de la fange.
Jeu en triangle
Eric Benzekri, créateur de la série avec Jean-Baptiste Delafon, sait de quoi il parle. Pendant deux décennies, il a évolué dans les arcanes du pouvoir. Proche des fondateurs de la Gauche socialiste, Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon, il a servi de “plume”, jusqu’à lâcher progressivement l’éponge après l’échec de la campagne Royal en 2007. Sa connaissance pointue du milieu donne à Baron noir une assise à la fois technique et humaine.
Le jeu en triangle entre Rickwaert, le président Laugier (Niels Arestrup) et une directrice de campagne à l’ascension éclair (Anna Mouglalis) tient souvent en haleine. La série avance de crise en crise et de trahison en trahison, transformant ses personnages en poulets sans tête lancés dans une course incertaine. Savoir contrôler sa trajectoire et éviter la chute devient l’enjeu de ce sport de haut niveau parfois mortel appelé la politique, pratiqué en mocassins ou en talons.
Situation politique bloquée
Baron noir présente certains défauts de ses qualités, une forme de systématisme dans la tonalité, un peu mécanique et explicatif. On aimerait s’y perdre comme on se perdait avec délice dans les monologues sur la politique étrangère ou les amendements obscurs en regardant A la Maison Blanche.
Mais ce souhait de spectateur sériephile ne peut ignorer, à notre échelle, le pas en avant franchi par la série. Pour une fois en France, les noms des vrais partis apparaissent (Rickwaert et Laugier sont socialistes) et la presse joue son rôle, d’Europe 1 à Mediapart. Sans aborder de front tous les sujets, puisque la question du Front national est largement absente de cette saison 1, Baron noir éclaire sans populisme une situation politique bloquée, à coups de jeux d’appareil brutaux et de méthodes périmées.
Baron noir saison 1 à partir du 8 février, 20 h 55, Canal+ (8 épisodes)
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