Nouvelle création de l’Irlandaise Sharon Horgan, la série suit le parcours de cinq femmes liées par le décès, sûrement non-accidentel, d’un homme aussi pervers que destructeur. Un thriller réjouissant, dans la droite lignée de “Big Little Lies”.
Le mois d’août n’est plus vraiment un désert pour les séries, comme le prouve l’arrivée discrète, mais excitante sur Apple TV + (probablement le meilleur streamer actuel) de Bad Sisters, nouvelle création britannique due à l’Irlandaise Sharon Horgan. Cette quinquagénaire à l’éclosion tardive – sa première série importante, la comédie Pulling, date du milieu des années 2000 – reste l’un des secrets les mieux gardés du moment, mis à part des fans de séries aguerri·es qui l’ont identifiée il y a des lustres. Elle s’est imposée comme l’une des scénaristes et actrices les plus originales, capable de porter un point de vue à la fois cohérent avec les récits féministes émergents et absolument personnel. Catastrophe (2015-2019), l’histoire d’un couple de quadras créée et interprétée avec Rob Delaney, avait donné le ton. Son rôle dans la très belle This Way Up a confirmé son talent pour la comédie du quotidien, toujours teintée d’absurde et/ou de mélancolie. Dans Bad Sisters, qu’elle adapte de la série flamande Clan, Horgan développe pour la première fois un art du récit au long cours captivant, croisant les genres et les approches.
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Cette petite sœur étrange de Big Little Lies et Boulevard de la mort débute par l’enterrement d’un connard. Il s’appelle JP et son cercueil ne croule pas sous les larmes de celles qui l’ont aimé, c’est le moins que l’on puisse dire. Très vite, on découvre que son décès n’a peut-être rien d’accidentel, même si rien n’est clair. L’histoire se concentre sur cinq sœurs, Eva (Sharon Horgan), Becka (Eve Hewson), Ursula (Eva Birthistle), Bibi (Sarah Greene) et Grace (Anne-Marie Duff), dont la dernière était mariée à JP. Joué par Claes Bang – vu dans The Square de Rüben Östlund, dont il tenait le rôle principal -, JP avait souscrit une assurance dont le versement pourrait poser problème. Deux pieds nickelés enquêtent pour essayer de ne pas verser la somme, tentant d’éclaircir les circonstances de sa disparition. Cela donne à Bad Sisters l’allure d’un thriller, même si le principal tient dans les multiples pas de côté proposés par la série. À commencer par sa manière de dresser le portrait du fameux JP.
L’hallucinant portrait d’un macho pervers et destructeur
Il y a dans ce personnage assez repoussant quelque chose du J.R. de Dallas grande époque – en version british et classe moyenne supérieure -, sauf que nous regardons sa “puissance” avec des yeux contemporains, qui ne s’amusent pas vraiment de ses actes dégueulasses. Ce type prend un plaisir non dissimulé à priver sa femme Grace de tout ce qui pourrait la rendre heureuse. Il multiplie les remarques, la surveille, l’humilie tous les jours et, quelle que soit la situation, dans une forme de harcèlement permanent qui l’éteint à petit feu. Et JP ne s’arrête pas là, puisqu’il s’en prend également à un voisin qu’il a envie d’éliminer de sa vie ainsi qu’aux sœurs de Grace, dans des proportions souvent délirantes. Sa manière de confondre l’infidélité de l’une d’entre elles en piratant son téléphone fait froid dans le dos. La qualité de la série se révèle dans son portrait de ce macho pervers et destructeur : même si, par moments, la parodie pointe son nez, même si la caricature rode, c’est d’abord la terreur d’une existence sous surveillance qui est mise en avant, un mécanisme de domination masculine malheureusement répandu. Au bout du chemin, le réalisme l’emporte, y compris dans la façon dont la série montre comment les sœurs s’y prennent pour régler le problème JP.
Pendant très longtemps dans la saison, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude comment ce type est mort. Mais dès le début, Bad Sisters dévoile les plans des quatre sœurs (toutes sauf Grace) pour éliminer JP. Ces femmes unies fomentent un projet d’assassinat forcément amateur, pourquoi pas à base de poison. Dans ces moments-là, la légèreté de ton l’emporte sur la gravité de la situation. Pourtant, des questions sérieuses sont posées. A-t-on le droit de faire disparaître un connard au nom de la sororité ? La vengeance est-elle légitime ? Sharon Horgan et ses co-scénaristes répondent à ces questions avec subtilité, assumant une forme de fantaisie jusqu’au-boutiste, sans perdre de vue la crédibilité des sentiments et des affects. C’est une ligne complexe à arpenter et malgré quelques petites baisses de régime, Bad Sisters la tient avec autorité et souplesse.
Souvent, le récit parvient à faire oublier sa nature d’enquête – les envoyés de l’assurance sont pourtant omniprésents – pour décoller et interroger en creux ce que ses personnages féminins (mais aussi quelques mecs passionnants) peuvent continuer à désirer malgré une vie compliquée, parfois percluse de drames. Horgan excelle notamment à évoquer la sexualité d’une femme au-delà de 45 ans, le manque d’amour, la difficulté de construire, la maternité et la non-maternité (son personnage est nullipare). Dans cet enrobage “bigger than life”, des cœurs battent. Ce serait dommage de ne pas plonger en immersion avec ces Bad Sisters attachantes.
Bad Sisters, le 19 août sur Apple TV +
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