L’auteur des horrifiques “The Hauting of Hill House” et “The Haunting of Bly Manor” sévit à nouveau sur Netflix avec une excellente série teenage.
Le pouvoir démesuré des histoires : celles qu’on raconte, celles qu’on se raconte, celles qui nous racontent. Voilà le sujet central de The Midnight Club, nouvelle série – et nouveau coup d’éclat – de Mike Flanagan, passé maître dans les histoires de fantômes déchirantes, qui investissent l’horreur pour mieux ausculter l’intime. Après les sublimes The Haunting of Hill House, en 2019, The Haunting of Bly Manor, en 2020, et les désarmants Sermons de minuit l’an passé, le cinéaste reconverti showrunner continue son exploration de l’horreur à taille humaine avec The Midnight Club, l’adaptation en série du roman de Christopher Pike, auteur discret et néanmoins prolifique de la littérature young adult américaine, souvent considéré comme le Stephen King des adolescent·es.
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Hospice hanté
On y suit Ilonka, lycéenne promise à un avenir radieux qui, quelques jours avant sa rentrée à la prestigieuse université de Stanford, se voit diagnostiquer un cancer de la thyroïde en phase terminale. Passé l’effondrement, Ilonka persuade son père adoptif de la conduire au manoir de Brightcliffe, un hospice spécialisé dans l’accueil d’adolescent·es en soins palliatifs, dont elle a découvert sur internet qu’il recelait de nombreux secrets. C’est dans les travées un brin lugubre de ce manoir gothique chargé d’histoire(s), qu’Ilonka fait la rencontre de sept autres adolescent·es, pensionnaires de Brightcliffe atteint·es, comme elle, de pathologies incurables. Tous les soirs, à minuit, ils et elles se réunissent en secret pour se raconter des histoires effrayantes, et renouveler un pacte qui les unit : le premier ou la première à mourir s’engage à manifester sa présence à ses ancien·nes camarades depuis l’au-delà.
Là où les Hauting… et Sermonts de minuit utilisaient le paranormal pour interroger le rapport de leurs personnages au deuil et à la maladie mentale, The Midnight Club l’investit à l’aune d’une méditation inquiète sur la mort, et sa supposée finitude. Parce qu’elle est convaincue qu’elle peut déjouer les pronostics, Ilonka enquête sur les mystères de Brightcliffe, et notamment l’histoire d’une ancienne pensionnaire qui aurait réussi à tromper la mort et quitter l’hospice vivante ; tandis que, dans les couloirs enténébrés du manoir, apparitions spectrales et réminiscences du passé semblent livrer des indices d’une persistance de la vie dans l’au-delà.
Mais l’une des forces de The Midnight Club est de désamorcer une à une ces pistes paranormales pour en faire, comme celles que se racontent huit ados aux douze coups de minuit, des histoires qu’on fabrique pour différer l’angoisse de la mort, la canaliser ou la détourner. Mieux, ce faisant, la série met à mal les chimères que promeuvent parasciences et médecines parallèles, bien souvent délétères pour des patient·es en fin de vie, rendu·es perméables aux thèses impossibles.
Esprit “feu de camp”
Mais c’est moins dans l’histoire de Brightcliffe – celle de la pensionnaire ayant survécu à sa maladie, d’une mystérieuse secte se réunissant dans les sous-sols du manoir, ou de fantômes errant dans les couloirs – que dans celles de ses huit pensionnaires, tous·tes d’origines et de confessions différentes, que la série bouleverse. Dans de longues scènes, volontairement anti-dramatiques, on assiste à leurs discussions déliées ou embuées, teintées de doutes et de terreurs, d’espoir ou de résignation. Ce temps passé avec elleux – à les contempler deviser de la mort et plus encore de la vie, à assister aux histoires qu’ils et elles se racontent pour mieux se raconter elleux-mêmes – semble être la raison d’être de cette série de fantômes, qui, plus que toute autre chose, scrute les vivants.
Chacun des 10 épisodes est conçu de la même manière : on suit, en parallèle, l’enquête d’Ilonka sur les mystères de Brightcliffe, et l’histoire qu’un·e des pensionnaires raconte à ses camarades dans les crépitements d’un feu de cheminée. L’occasion pour Flanagan et ses scénaristes d’investir les thèmes inoxydables de l’horreur, de la fantasy et de la science-fiction, et, façon Twilight Zone, de les déplier en petites histoires indépendantes, qui régénèrent aussi l’esprit “feu de camp” de programmes en vogue dans les années 1990, comme Fais moi peur ou Chair de poule, qui fonctionnaient selon un principe similaire.
Il faut une foi inébranlable en la fiction pour faire tenir debout cette histoire qui en entremêle d’autres ; et ni son récit extrêmement référencé, ni ses excès lacrymaux (on y pleure beaucoup), ni ses accents spielbergiens (comme une métastase des productions Amblin) ne nous feront oublier la radicalité du projet. Si on peut regretter une dernière séquence dispensable (et un peu en contradiction avec le reste de la série) et des histoires plus faibles que d’autres (c’est le jeu), The Midnight Club est une réussite éclatante, qui prouve une fois de plus le talent de Mike Flanagan pour sculpter, à même nos cauchemars, des histoires de fantômes qui nous terrifient finalement moins qu’elle nous ébranlent.
The Midnight Club de Mike Flanagan, 10 épisodes, disponible sur Netflix.
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