Plus coutumier des sentiers du cinéma indépendant que des pyrotechnies super-héroïques, Ethan Hawke met le pied dans l’univers Marvel en interprétant l’antagoniste de la série “Moon Knight”, une aventure rocambolesque parmi les dieux d’Égypte. Rencontre avec un acteur éclectique qui ajoute une corde inattendue à son arc.
Cela fait presque quarante ans qu’Ethan Hawke, regard bleu métallique et visage taillé à la serpe, sillonne le cinéma américain de ses marges indépendantes à ses rives populaires, guidé par une exigence qui le soustrait souvent à la pleine lumière pour le pousser vers des compositions secondaires ou discrètes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Malgré sa dégaine de cowboy et son sourire charmeur, une forme d’inquiétude sourd entre les traits de plus en plus burinés de cet acteur qui ne cesse de conjuguer les contraires, entre raideur militaire et timidité adolescente, virilité bourrue et douceur mélancolique. Habitué aux personnages charismatiques rongés de l’intérieur, il affronte les bourrasques comme un arbre dans la tempête, craquant à toutes les jointures et frôlant dangereusement le point de rupture.
Des États-Unis au Royaume-Uni
Né à Austin, Texas en 1970, Ethan Hawke a passé son enfance en Grande-Bretagne, terre d’accueil qui a peut-être inconsciemment réveillé l’esprit shakespearien qui visite régulièrement sa carrière. Des cours de théâtre pris à l’adolescence dans le New Jersey le mènent jusqu’aux planches de Broadway, où il brille parallèlement à ses premières expériences cinématographiques : le grand public le découvre en gamin rêveur aux côtés de River Phoenix dans Explorers de Joe Dante et en élève réservé dans Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir.
Bourgeonne alors une carrière arborescente qui le mènera de la science-fiction dystopique (Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol) au drame indé (First Reformed de Paul Schrader) et de l’horreur made in Blumhouse (Sinister de Scott Derrickson) à l’échappée parisienne de Kore-eda (La Vérité, où il donne la réplique à Catherine Deneuve et Juliette Binoche). Mais c’est à travers ses collaborations filées avec Richard Linklater (Boyhood) et Julie Delpy (la trilogie Before) qu’il nous a le plus ému·es, en nous rendant témoins d’une évolution des personnages intriquée à son vieillissement réel.
Une curiosité pour Marvel
On le retrouve aujourd’hui dans Moon Knight, la nouvelle série Marvel de Jeremy Slater (L’Exorciste, Umbrella Academy) où il campe un vilain tout en flegme aristocratique et manières doucereuses. Leader d’une secte vénérant la déesse égyptienne Ammit, son docteur Arthur Harrow, décidé à éradiquer le Mal de la Terre en exécutant les pécheurs avant même qu’ils n’aient fauté, affronte le héros aux personnalités multiples interprété par Oscar Isaac.
Qu’est-ce qui a poussé cet acteur jusqu’ici rétif – pour ne pas dire critique – aux franchises hollywoodiennes à s’aventurer dans la galaxie super-héroïque ? “Comme tous les habitants de cette planète, j’ai vu à quel point les productions Marvel galvanisaient les foules, nous explique-t-il alors que nous l’interrogeons quelques semaines avant la diffusion de la série. Ma curiosité pour cet environnement de travail grandissait, mais je me demandais si je pourrais y composer quelque chose d’intéressant. La présence d’Oscar Isaac, dont j’admire le travail, m’a poussé à franchir le pas. Je me suis souvenu de la façon avec laquelle Robert Downey Jr. avait subverti le genre de l’intérieur dans Iron Man, et je me suis dit que si Oscar pouvait exprimer une telle liberté créative à son tour, je voulais être dans les parages.”
Structurant les premiers épisodes, le face à face entre les deux comédiens, tous deux passés sous le regard rigoriste de Paul Schrader (First Reformed pour Hawke, The Card Counter pour Isaac), prend la forme d’un jeu du chat et de la souris virevoltant dont découle en partie la caractérisation de leurs personnages. “De façon générale à travers l’histoire du cinéma, le méchant est le personnage considéré comme fou. Dans notre histoire, c’est le héros qui souffle de troubles mentaux (le timide Steven Knight partage son esprit avec Marc Spector, un mercenaire sans pitié, ndlr.). Ça m’a poussé à construire un antagoniste plus équilibré, en opposition au héros.”
Un équilibre de façade qui masque à peine le fanatisme du personnage, prêt aux exactions les plus cruelles pour parvenir à ses fins. Un rôle qui s’inscrit parfaitement de la filmographie récente de l’acteur, qui a interprêté l’abolitionniste illuminé John Brown dans la série The Good Lord Bird et le pasteur en crise spirituelle de First Reformed. “Il y a définitivement une continuité ces personnages, qui auraient sûrement beaucoup de choses à se dire ! Je bossais sur le scénario de The Good Lord Bird pendant que je tournais First Reformed, et une part de moi imaginait Arthur Harrow comme un John Brown qui serait passé du mauvais côté de l’Histoire. Au fond, c’est la même forme de fanatisme : ils cherchent à servir une forme de Bien suprême par tous les moyens possibles, y compris la violence.”
Une expérience ludique aux côtés d’Oscar Isaac
Également réalisateur (cinq longs métrages), romancier et coscénariste (avec Richard Linklater ou Julie Delpy), Ethan Hawke ne s’est-il pas senti à l’étroit dans une machinerie qu’on imagine parfaitement huilée voire un peu rigide ? “En général, quand on manie de très gros budgets, les gens deviennent craintifs. La cuisine Marvel était au contraire très ludique : il y a certes des outils, des façons de raconter des histoires qu’ils veulent utiliser mais ils restaient ouverts aux propositions. Moon Knight n’est pas aussi connu que Batman, Superman ou Spiderman : il est propice à l’interprétation, et c’était à nous de paver le chemin. La durée du tournage nous a permis d’approfondir les personnages et l’univers de façon collaborative.”
Une aventure qui lui a fait croiser la route de Gaspard Ulliel, disparu tragiquement en décembre dernier et qui tient dans Moon Knight l’un de ses derniers rôles, celui d’un riche collectionneur aux intentions troubles. “Gaspard dégageait une forme d’aura hypnotique, à la fois comme acteur et comme être humain. Nous n’avons tourné ensemble que quelques jours, mais il était très intelligent et sensible. Il était si excité par son futur… Sa disparition m’a beaucoup attristé.”
Bien que Moon Knight, évitant les caméos et clins d’œil en tous genres, se démarque des autres productions Marvel par son autonomie narrative, il n’est pas impossible que l’on recroise ses personnages dans d’autres projets de la maison. De là à imaginer Ethan Hawke reproduire à l’échelle du blockbuster les expérimentations temporelles menées avec Delpy ou Linklater (cela fait presque quinze ans que Samuel L. Jackson interprète Nick Fury dans le MCU, et Robert Downey Jr. a endossé l’armure d’Iron Man pendant plus d’une décennie) ? “Quand on incarne un personnage de sequel en films dérivés, le vieillissement est plutôt une conséquence indirecte du succès. La logique était différente pour Boyhood ou la trilogie Before, car le temps est le sujet même de ces films.” Si on risque de ne pas voir vieillir Arthur Harrow au sein de l’univers Marvel, Ethan Hawke s’est offert, par ce pas de côté inattendu, une cure de jouvence originale.
Propos recueillis par Alexandre Büyükodabas lors d’une interview réalisée par visioconférence en mars 2022.
{"type":"Banniere-Basse"}