De l’élection de Mitterrand au mariage pour tous, la vie d’un homosexuel, ado puis adulte. Fiertés, de Philippe Faucon, est une merveille d’intelligence. La minisérie événement de l’année diffusée sur ARTE.
Voilà donc quelques cinéastes français qui ont l’ âge (40 ans, etc.) d’être devenus adultes en même tant que le sida prospérait, et qui font de cette cohabitation funèbre le moteur de leurs fictions. L’an passé, 120 battements par minute de Robin Campillo, bientôt Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré (en sélection officielle au Festival de Cannes et en salle le 10 mai) et sur ARTE à partir du 3 mai, Fiertés, une minisérie en trois épisodes de Philippe Faucon qui, de 1981 à 2013, suit le personnage de Victor au fil de sa vie d’homosexuel, adolescent puis adulte.
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Faut-il donc qu’une génération ait été menacée de mort dans son existence sensuelle (Sida = Guerre) pour mieux ressusciter dans un film ? Sans doute. Mais pas plus que la génération précédente, qui fut jeune dans les années 1970 et qui tanguait entre libération sexuelle plus ou moins gauche et gauchisme contrarié. A chacun ses désillusions, à chacun sa dose homéopathique de fictions pour soigner un sentiment ancestral d’abandon.
L’évocation subtile de l’arrivée du sida
Reste que la perdition propre à la jeune génération des années 1980-90, qui sert de toile de fond à Fiertés, est tout entière, à cor et à cri, déterminée par la “malédiction” du sida dont l’impromptu est tombé comme une météorite dans le jardin des délices. Philippe Faucon filme le surgissement assassin à l’aune de ce foudroyant “incroyable mais vrai”. Au début des années 1980, le jeune Victor vit en couple avec Serge, un “vieux” d’au moins 40 ans, qui au détour d’analyses médicales de routine découvre que quelque chose est en train de dérailler au fin fond de son organisme. “Rien d’inquiétant”, dit-il.
De fait, filmée en toute quiétude, la scène alerte d’autant plus par sa banalité affichée et s’avère parlante pour quiconque a connu la petite mort vécue à chaque test de dépistage. Dans sa distance délicate, cette première évocation du sida est un précipité du charme discret de Fiertés. Certes, les grands événements sont évoqués (élection de Mitterrand, naissance d’un militantisme gay radicalisé, Pacs, mariage pour tous), mais comme des Post-it sur la porte du frigo.
Qu’est-ce qui fait événement ? Aller un jour à la manif ou faire de son existence une manifestation permanente ?
N’oublie pas, camarade, le sensationnel enthousiasme accompagnant l’élection d’un Président socialiste, la mobilisation pour “dépénaliser” les malades du sida, la solidarité pour dégommer les charognards archaïques de la Manif pour tous. Mais ces aide-mémoire, dont il y a de quoi être fier en effet, sont comme la bande-son modérée d’une vie autrement musicale : musique de chambre plutôt qu’orchestre symphonique. “Intimités” pourrait être l’autre titre de Fiertés. Qu’est-ce qui fait événement ? Aller un jour à la manif ou faire de son existence une manifestation permanente ? Dehors, dedans. Privé, public. Fiertés est un film politique.
Ainsi du soir du 10 mai 1981, où les parents de Victor et leurs amis militants de gauche sont rongés par l’angoisse, assis devant la télé peu avant 20 heures et l’annonce du résultat. Loin du raffut historique, la victoire de Mitterrand est cadrée du point de vue de Victor et de son père, assis sur les marches du perron de la maison, tous deux claquemurés dans le mutisme depuis que le jeune homme a déclaré son homosexualité. Mais voilà que soudain, événement aussi puissant que ce qui se passe à la télé, le programme commun d’un sourire embellit le visage du père et du fils.
Epure, pudeur et sérénité
De même, au début des années 2010, la mort de Serge, qui est d’abord un bruit sourd dans la salle de bains, avant d’être l’image forte d’un cadavre sur le carreau. Epure, pudeur et sérénité, comme une fédération d’intelligences qui permet de se glisser dans la fiction, de trouver sa place à la table d’hôtes sans sortir les mouchoirs de la compassion. Eux, c’est nous. Et nous qui sommes veufs de nos amis perdus, nous nous sentons moins seuls. Tous les acteurs de Fiertés, premiers ou seconds rôles, “stars” invitées (Chiara Mastroianni, Jérémie Elkaïm, Emmanuelle Bercot…), ou personnages présents tout au long de la série, sont au diapason de cet esprit de fraternité.
Non pas tant une pléiade de talents qu’un collectif qui partage le bien commun d’un récit qui fait du bien. Révélation avec le juvénile Benjamin Voisin (Victor adolescent), trouble avec le sexissime Samuel Theis (Victor adulte), magnifique confirmation avec Stanislas Nordey (Serge), ou sidération bouleversante avec Frédéric Pierrot (le père de Victor). On aimerait tous les connaître. D’ailleurs, autre magie de Fiertés, pas besoin qu’ils nous soient présentés pour savoir qu’on les connaît déjà, qu’ils sont nos frères et sœurs en joie de vivre et renaissance, malgré tout. Gérard Lefort
Fiertés de Philippe Faucon, le 3 mai sur ARTE, minisérie en trois épisodes (3 x 48 min) et déjà en DVD (ARTE Editions)
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