La soixantaine mélancolique, Chuck Lorre est la preuve vivante que nul n’a forcément le physique de son emploi. Ce boss de la sitcom classique (Dharma et Greg, Mon oncle Charlie, c’était lui ; il a créé The Big Bang Theory qui entame sa onzième saison) a grandi en regardant le duo vintage Abbott et Costello et les […]
Chuck Lorre est le maître de la sitcom, genre historique de la télé US. Rencontre avec un bosseur acharné.
La soixantaine mélancolique, Chuck Lorre est la preuve vivante que nul n’a forcément le physique de son emploi. Ce boss de la sitcom classique (Dharma et Greg, Mon oncle Charlie, c’était lui ; il a créé The Big Bang Theory qui entame sa onzième saison) a grandi en regardant le duo vintage Abbott et Costello et les Marx Brothers.
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S’il fait rire l’Amérique et au-delà depuis une vingtaine d’années, il ne semble en tirer aucune joie de vivre – ou alors bien cachée. “La plupart de mes journées se passent à écrire ou réécrire, raconte-t-il, un jour d’orage dantesque à Paris. A un moment, ce boulot me prenait soixante-dix heures par semaine et j’y passais des nuits. Maintenant, je me repose un peu plus. Je sais que la vie des personnages est plus importante que celle des scénaristes, mais il faut avoir une vie pour écrire, au moins une vie intérieure. Et puis, je me suis rendu compte que l’on regrette souvent le lendemain ce qu’on écrit quand on est trop fatigué.”
Une mécanique harassante
La vie d’un showrunner est plus glamour que celle d’un moine, palmiers californiens obligent, mais le genre qu’a choisi Chuck Lorre requiert une mécanique harassante. Vingt-quatre épisodes, si possible drôles, doivent être mis à l’antenne en huit mois chaque année.
Dans cette production industrielle du LOL, le moment que préfère l’homme qui a débuté sur Roseanne (après une carrière de guitariste et songwriter, notamment pour Deborah Harry !) est celui des répétitions.
“Parfois, la comédie se trouve dans la réaction d’un personnage qui ne moufte pas”
“On se demande comment améliorer les mots et le mouvement des corps. On parle du placement de caméra : elle peut vous aider ou vous plomber. Si le gag est par là-bas et que la caméra pointe de l’autre côté, on a un problème. Parfois, la comédie se trouve dans la réaction d’un personnage qui ne moufte pas.”
Lorre défend la présence du public lors de l’enregistrement des épisodes – à l’origine des fameux rires enregistrés – alors qu’il est de bon ton d’en critiquer l’artificialité. “Cela vient d’une tradition théâtrale. L’un des avantages, c’est qu’on ne se sent jamais en maîtrise. On n’a pas la position du maître, car les gens nous rappellent constamment que l’on peut avoir tort. Ils rient de choses que l’on pensait anodines et en détestent certaines que l’on trouvait fortes, sans en avoir rien à faire de nos sentiments.”
“Vous trouvez que je ressemble à quoi, un ptérodactyle ?”
Comme spectateur, le trublion malgré lui ne regarde que des drames – Game of Thrones, Breaking Bad, Better Call Saul. Il prépare en ce moment une adaptation du Bûcher des vanités “pour l’univers du streaming”, sa première incursion potentielle en dehors du monde du gag. Mais il restera quoi qu’il arrive identifié aux blagues à la chaîne.
La sitcom existe depuis les débuts du petit écran et Lorre la perpétue à l’ancienne, comme si les avancées récentes de la comédie de vingt-six minutes (d’Atlanta à Better Things) n’existaient pas. Alors que c’est de moins en moins le cas depuis une décennie, il utilise plusieurs caméras. Difficile de ne pas voir en lui un touchant dinosaure. La formulation fait sursauter l’animal : “Vous trouvez que je ressemble à quoi, un ptérodactyle ? (rires) Je ne suis pas le gardien d’une forme.”
https://youtu.be/ly019ZF0lsk
Alors qu’il vient de collaborer avec Netflix pour Disjointed (avec Kathy Bates en fan de marijuana) et dévoile cette semaine le spin-off de The Big Bang Theory, Young Sheldon, Lorre a réussi à prouver qu’il n’est pas seulement un faiseur.
https://youtu.be/KhxKEg-IBBo
Mom, l’une de ses plus belles créations qui entame sa saison 5 en novembre, raconte avec brio et mélancolie les aventures d’une mère et d’une fille (géniales Allison Janney et Anna Faris) tentant de mettre la boisson et la drogue derrière elles. Chuck Lorre a lui-même été alcoolique. “Mom est une allégorie noire et drôle du changement. On peut être un soûlard pris dans une addiction et se relever peu à peu pour vivre une existence heureuse, devenir un citoyen respectable.”
A l’ère Trump, l’entertainment prend aussi une dimension politique, même si l’intention de départ ne l’est pas. L’élection de novembre 2016 a fait bouger les lignes sans prévenir. “J’ai d’abord eu peur que l’élection rende mon travail sans saveur. Dans un moment aussi effrayant, pourquoi se lever le matin et fabriquer une sitcom ? Est-ce utile ? Important ? Mes séries n’ont probablement jamais été importantes, mais elles existaient dans un environnement bénin. Cet environnement a changé. Il se trouve par exemple que The Big Bang Theory parle de gens pour qui la science est liée à des faits et non à la foi. Ces types croient à la théorie de l’évolution et aujourd’hui, cela n’a rien d’anodin.”
The Big Bang Theory et Young Sheldon A partir du 2 octobre, 22 h 10, Canal+ Séries
Disjointed Sur Netflix
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