Après des années à n’avoir misé que sur des drames, Arte va diffuser prochainement une série comique de 26 minutes dans le milieu des services secrets français au début des années 1960. Nous avons parlé de Au service de la France avec ses trois scénaristes, de leur méthode de travail et de la place des comédies sur le petit écran.
Dire que Au service de la France en surprendra plus d’un est un euphémisme. Sur la forme déjà : la nouvelle série d’Arte compte 12 épisodes de 26 minutes, un format que l’on voit rarement à la télévision française. Les épisodes seront d’ailleurs diffusés (à partir du 29 octobre) par groupe de quatre par soirée, pour se rapprocher du format plus classique du « 2×52 minutes » que les chaînes ont pris l’habitude d’adopter.
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Sur le fond, le programme ne ressemble à rien de ce que l’on a pu voir sur le petit écran. Située en 1960, l’intrigue Au service de la France s’attarde sur le quotidien d’un groupe d’agents au sein des service secrets français. Un petit nouveau tout juste rentré d’Algérie, André Merleaux (Hugo Becker, déjà à l’affiche de Chefs en 2015), est plongé dans ce monde surréaliste où règnent procrastination, oisiveté et incapacité. La série, dont nous avons visionné les deux premiers épisodes, fait la part belle à l’absurde mais aussi à l’injure, poussée à l’extrême dans le but de tourner en ridicule les personnages, tous plus misogynes et racistes les uns que les autres.
Forcément, il est impossible de ne pas voir la ressemblance avec OSS 117: Le Caire, nid d’espions, film au succès populaire que l’on connait, avec qui la série partage son scénariste et créateur Jean-François Halin. Pour développer Au service de la France, il s’est entouré de deux scénaristes chevronnés, Jean-André Yerles et Claire LeMaréchal, qui ont notamment travaillé sur les trois premières saisons de la série de France 2 Fais pas ci, fais pas ça. À l’occasion du Festival de la fiction TV de la Rochelle, nous les avons rencontrés pour parler de la création du programme, de leur méthode de travail et de l’avenir des séries comiques en France.
Quand avez-vous commencé à travailler sur la série ?
Claire LeMaréchal – On a eu un coup de fil le 15 juin 2010, je m’en souviens car on était à l’anniversaire d’une amie en commun avec Jean-André. C’était un coup de fil de Gilles de Verdière [le producteur, ndlr], à Jean André qui me dit « Gilles nous propose un truc, ça me plait bien, il voudrait qu’on rencontre Jean-François Halin parce qu’il a vendu un concept qui a l’air top à Canal, rencontrons-nous. »
A Canal ?
Jean-François Halin – Oui, on a pensé à Canal+ tout de suite, pour le principe. Au départ, on aurait pu imaginer qu’elle serait une sorte de mélange entre Mad Men et OSS 117, même si ce n’était pas du tout comme ça qu’on l’avait identifié, mais du coup on a pensé à Canal+. Ça a été développé chez eux pendant 18 mois. On n’arrivait pas à trouver un terrain d’entente, donc on a choisi de partir. Ce qui était quand même risqué… voire suicidaire! (rires)
CLM – Nous, on a cru que c’était mort. D’ailleurs c’était à 95% mort. Mais Gilles de Verdière s’est entêté et a dit « non c’est pas fini, on va le vendre à Arte ».
JFH – On a pensé qu’on pouvait rentrer dans le style d’Arte, dans leur désir, et effectivement ça a marché tout de suite.
CLM – Chez Arte, ils ont été tout de suite séduits. Mais ils nous ont prévenus: « On n’a pas de case de diffusion, on ne fait pas de comédie, mais on aime beaucoup, est-ce que vous êtes prêts à prendre le risque de continuer à écrire, sachant que même si on aime on n’est pas sûrs de pouvoir aller au bout? » Alors on a dit oui quand même, et on n’a pas regretté une seconde.
C’est très rare, de trouver du 26 minutes à la télévision française…
JFH- Oui, il n’y a pas de 26 minutes sur Arte. C’est d’ailleurs pour retrouver ce principe de 2×52 minutes qu’il y aura 4 épisodes diffusés à la suite. Ça fait bizarre : voilà 5 ans qu’on a commencé à écrire, et ce sera fini en trois semaines !
Comment s’est passée la collaboration avec Arte ?
JFH – A partir du moment où on est arrivé chez eux, ça a été quand même assez simple.
Jean-André Yerles – Ça a été un bonheur pour un auteur. Moins pour la liberté que l’intelligence, le regard qu’on a eu en face de nous sur ce qu’on avait fait. C’était super motivant, car on a pu continuer à faire nos conneries en sachant que ça allait peut-être les faire marrer.
CLM – Ils nous ont posés beaucoup de questions. Ils ne nous ont jamais dit « on attend que » ou « ça manque de ».
Dans la série, il y a beaucoup de blagues racistes, misogynes : il n’y a pas eu de souci avec des dialogues trop bordeline ?
JFH – Non au contraire, ils nous ont encouragés. Les soucis marketing ou d’audience n’ont jamais été évoqués : on nous a jamais dit « le public ne va pas comprendre » ou que ça pouvait être trop méchant.
L’épisode pilote repose beaucoup sur l’absurde. Pourtant pendant la projection au festival de la Rochelle, c’est le deuxième, sur l’Allemagne, qui a récolté le plus de rires.
JFH – Le premier est peut-être plus désarçonnant.
CLM – La dramaturgie est plus classique dans le second que dans le premier, c’est sûr.
Du coup entamer par cet épisode n’était-il pas risqué?
JFH – Bien sûr que si, c’était un gros risque, mais on est obligé de passer par cet épisode-là. Ceci dit, tu plonges dans un univers étonnant, d’époque, avec un contexte… Je pense que tu as quand même envie de rester pour le deuxième! Après je ne sais pas, je ne suis pas objectif. Et puis c’est Arte : c’est un public un peu plus captif, qui va choisir ce qu’il va regarder.
Pour l’instant, les personnages féminins ne sont vraiment pas très développés…
CLM – On traite quand même d’un univers très masculin, très misogyne à la base…
Oui mais dans Mad Men aussi, ce qui n’empêche pas d’avoir des personnages féminins forts, très présents.
JAY – Ça changera vraiment au fur et à mesure que la série avancera.
JFH – Oui, au début, on veut montrer que ces mecs sont persuadés que le monde est français, et que le monde est masculin. Et après, au fil des épisodes, le « feuilletonnant » se met en place et on leur montre le contraire.
Vous n’avez pas pensé à faire des épisodes unitaires, sans lien les uns avec les autres?
JAY – Si, on a commencé comme ça.
JFH – Hormis les 3 derniers épisodes, on peut les regarder indépendamment.
CLM – L’histoire feutilletonnante prend quand même de plus en plus de place! Et pour ce qui est des reflexions qu’on a entamées sur la saison 2, on sera beaucoup plus près des personnages que des intrigues. On n’a pas raisonné en événements, mais en terme de personnages, de ce qu’on a envie de leur faire vivre.
JFH – La série parle beaucoup du problème algérien évidemment, mais aussi de l’indépendance africaine, ça parle de l’émancipation féminine, ça parle des jeunes, du futur mur en Allemagne, des essais atomiques… De ce monde qui est en train d’évoluer et que les personnages, eux, ne voient pas évoluer du tout.
Un héros incapable de s’adapter au monde qui change, le thème fait quand même penser à Mad Men..
CLM – C’est le service qui est bloqué dans son époque, mais il y a un jeune mec (André Merleaux, ndlr) qui, lui, voit les choses changer.
JFH – Il n’y a aucune volonté de vouloir faire un Mad Men français. On veut faire quelque chose qui se passe en 1960, montrer une France qui est entre deux eaux : la sortie de la guerre, et un truc qui est en train de se profiler. C’est d’ailleurs ce qu’on peut voir dans le décor: il y a leurs vieux bureaux, dont tu as l’impression qu’ils sont là depuis les années 1930, et puis cet espèce d’aquarium très moderne en hauteur. Ce sont deux mondes qui se mélangent.
Comment s’est organisée l’écriture de la série ?
CLM – Avec Jean-André, on a travaillé sur de nombreuses séries, et là c’est une de celles sur laquelle on a eu le moins de « méthode dramaturgique ». Jean-François a amené cet univers, on s’y est coulé le mieux possible et on s’est nourri les uns les autres de ce qu’on pouvait apporter. Mais on serait incapable de décrire un modèle d’écriture ou un modèle dramaturgique. Il y avait une envie au départ, et on a construit les personnages et les situations en se parlant.
Au service de la France est une série comique, mais il n’y a pas vraiment de punchlines ou de « blagues à minutes » comme dans des séries américaines comme Veep ou The Office. Vous n’étiez pas tentés de faire ça ?
JAY – Non, on ne s’est jamais dit qu’on allait faire une sitcom avec une punchline toutes les trente secondes.
CLM – Ce n’était pas du tout l’objectif.
JFH – Surtout je connais pas de séries comme ça en France, avec des rires toutes les minutes…
CLM – Non mais y a eu H, Blague à Part, etc.
JFH – Dans Au service de la France, tu es quand même obligé d’instaurer des personnages, avant de rire avec eux ou d’eux.
JAY – On comprend qu’il y ait des gens qui puissent être perturbés.
Vous ne pensez pas qu’il soit possible en France de faire du « 30 Rock », qui enchaine les vannes de manière fulgurante?
CLM – Peut-être, mais ce n’est pas ce qu’on a voulu faire.
JFH – Si, sans doute, mais je n’ai pas d’exemple en tête. Moi les séries françaises qui m’ont plu elles ne sont pas comme ça. J’ai adoré Hénaut Président (2007) par exemple : pour moi c’est la série française la plus drôle qui ait eu.
En même temps, l’humour, c’est « segmentant », comme on dit.
JFH – Oui voilà, le mot est là. Et moi ça m’est complètement égal. Ce n’est pas de la prétention ; ce n’est pas grave de faire quelque chose qui ne plaise pas à tous le monde ! Si ça plait à des gens, c’est ça qui compte. Et que ces gens là soient assez nombreux [à regarder] pour que ça puisse exister. Tu peux faire des one man show en remplissant des zenith mais tu peux aussi faire des one man show qui remplissent des salles moyennes, avec des gens qui aiment beaucoup ça.
Mais les chaînes miseront moins sur les comédies que les drames, parce que c’est plus risqué.
JFH – Bien sûr, mais on a la chance d’être sur une chaîne qui n’est pas comme ça.
Et encore, vous êtes les premiers depuis un petit moment
JAY – Il y a quand même eu Venus et Appollon de Tonie Marshall…
CLM – Les Invincibles, aussi.
https://www.youtube.com/watch?v=uhRoH9RmKtA
Ou La minute vieille, mais c’est un format court. Ça reste quand même anecdotique, sur une si grande période.
JFH – Oui mais la comédie c’est vachement dur. C’est à la fois le genre qui est le plus prisé à la télévision et au cinéma, à la fois…
CLM – (Elle le coupe) On a longtemps appelé à la télévision « comédie » ce qui n’était ni du drame, ni polar, ni du mélo, c’était un peu le choix par défaut.
Au-delà de l’écriture, quelle était votre implication sur le tournage de la série?
JAY – Jean-François était là tout le temps, tous les jours.
Donc le résultat est cohérent avec ce que vous avez écrit ?
JHL – Après il y a toujours la part d’écriture du réalisateur, mais oui. Mais il n’y avait pas de « showrunner » à proprement parler.
JAY – On voyait quand même les rushes tous les soirs, moi je suis allé sur le plateau aussi, on a vu les pré-montages, Jean-François était au montage…
CLM – Un showrunner c’est indispensable pour faire une bonne série. C’est ce qu’on espère pour la saison 2.
Propos recueillis par Marie Turcan
Au Service de la France, tous les jeudis sur Arte, du 29 octobre au 12 novembre
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